MIME-Version: 1.0 Content-Type: multipart/related; boundary="----=_NextPart_01C655BD.1E8B1890" This document is a Web archive file. If you are seeing this message, this means your browser or editor doesn't support Web archive files. For more information on the Web archive format, go to http://officeupdate.microsoft.com/office/webarchive.htm ------=_NextPart_01C655BD.1E8B1890 Content-Location: file:///C:/267B59B6/StJv.htm Content-Transfer-Encoding: quoted-printable Content-Type: text/html; charset="us-ascii" Menerville nos souvenirs, Algerie, Thenia

 

 

 

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Les pierres parlent à ceux qui savent = les entendre (A. France)

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J’étais né impressionnabl= e et sensible. Les choses extérieures, à peine aperçues, laissaient une vive et profonde impression en moi ; et quand elles ava= ient disparu de mes yeux, elles se conservaient présentes dans ce qu̵= 7;on nomme l’imagination. Mon âme animait ces images, mon cœur = se mêlait à ces impressions. Il ne me manquait que la voix. Cette voix que je cherchais et qui balbutiait sur mes lèvres d’enfan= t, c’était la poésie.&nbs= p; (A. de Lamartine)

 

Mén= erville mon village   = ;

 

 

 

 

Je savais que je vivais quelque chose de merveilleux. Chaque moment de mes journées é= tait exceptionnel, mais aussi je souffrais quelque chose qui allait dispara&icir= c;tre et dont il ne me resterait que des souvenirs.

 

J’aurais aim&eac= ute; retenir le temps, le garder dans mes bras, le humer. Mais cela aurait pu ressembler à du délire

 

Aujourd’hui, mal= habile pour ne pas avoir su hier tout emporter, je ne peux que peindre ce qui me r= este de mes souvenirs à travers une écriture fade, sans couleur, s= ans senteur, sans mouvement ni son.

 

Quand j’ouvre mes yeux, je ne peux m’imaginer que mon petit château a fermé ses portes. Déserté de ses habitants, seul, à l’abandon, dont les pierres hantées par nos fantômes, gardent l’empreinte de notre passage.=

 

De cette terre d'o&ugr= ave; nous avons été chassés , de mon village duquel nous av= ons été séparés, de ma maison à laquelle nous avons été arrachés, de cette période de ma vie où le parfum du passé est resté imprégné dans mon esprit, j’essai de n’en conserver que le sublime. Enfa= nt à l’esprit très sensible, au cœur noueux comme un = cep de vigne, j’ai su observer avec beaucoup d’attention les choses simples et fortes de la vie qui ont fait naître en moi toutes ces ima= ges. En sont volontairement exclus les moments vraiment tragiques. Je m’en suis tenu à essayer de peindre les images poétiques, afin d’en conserver le plus longtemps possible le souvenir, le rêve = d’une enfance merveilleuse, où nous, enfants, protégés dans = un cocon soigneusement filé par nos parents, vivions un avant-goû= t du paradis. Rêver, continuer, car le rêve c’est encore croir= e au Père Noël

 

 

A ma grand-mère maternelle, à mon oncle Henri, mes grands-parents paternels, à mon père et ma mère, à mes sœurs Christiane et Ghislaine, en souvenir de ce bonheur d’enfance, de ses joies qui perdureront encore longtemps dans ma mémoire et qui hanteront &agrav= e; jamais mon esprit.

 

Mais où est donc passé ma maison, celle où je suis né. Celle dans laque= lle mes yeux se sont ouverts pour la première fois.

Cette maison ou plut&o= circ;t ce petit château, sorti tout droit des contes de fées, petit paradis bâti dans le djebel Algérien.

Bâtisse rayonnan= te de chaleur qui s’élevait fièrement et courageusement sur l= es hauteurs de Ménerville, mon village.

Maison de mon enfance,= de mes rêves, de mes jeux, et dont il ne me reste aujourd’hui que = les souvenirs d’un temps passé mais pourtant si présent. Al= ors je ferme mes paupières et j’écoute, j’écou= te mes souvenirs qui inondent mes yeux fiévreux de gouttelettes chaudes= . Ma plume accrochée à ma main vacillante, se met à compose= r de mes souvenances.

Je me souviens l= orsque, avec mes parents et mes sœurs, nous prenions à la gare d’Alger le petit train qui nous menait à = Ménerville, petit village aux limites de la grande la Kabylie, notre Oncle Henri «Tonton Henri» nous attendait avec son mulet rouge du nom de «Cadet». Toute la famille montait sur la charrette en bois d’un ton vert fané qui était constituée d’= un essieu à deux roues montées de pneus et d’un brancard en fer. La banquette avant était légèrement rehauss&eacut= e;e pour la place du cocher et d’un ou deux passagers= et d’une plate-forme arrière munie de deux ridelles où = le reste de la famille prenait place. Alors, mon oncle tirait sur les rê= nes de cuir qu’il faisait claquer sur la croupe de Cadet afin de le faire trotter.

J’étais h= eureux quand je pouvais m’asseoir près de mon oncle aux airs de bohème qui d’une manière indolente besognait admirablem= ent bien cet attelage.

Lorsque nous traversio= ns le village, j’osais espérer que le monde entier nous regarde, qu’il nous jalouse, car, nous ne pouvions qu’être les seu= ls à nous faire charroyer d’une manière aussi romanesque v= ers ce berceau natal. Nous empruntions la route nationale 5, rue principale du village où se situaient la plupart des petits commerces, ensuite nous passions devant la place du village, nous tournions un peu plus loin sur le pont de chemin de fer et surgissions peu après devant le march&eacut= e; et les H.L.M. de la Sablière où demeuraient mes grands-parents paternels, puis il fallait donner l'assaut à une côte assez pentue, au bord de laquelle se situait l’école ménagère et bien d’autres habitations dont celles du docteur Choussat et le chauffeur de taxi Ra&ium= l;s, que notre pauvre mulet Cadet devait appréhender. Au-delà de c= ette côte, d’environ 300 m, l’expédition atteignait un chemin de terre où nous étions tous plus ou moins brinquebalés dans notre charrette. Nous franchissions un petit pont,= qui enjambait un ravin aux profondeurs qui me semblaient inquiétantes, s= ous lequel coulait un oued, et aux dires de mon oncle, plus d’un attelage= y avait basculé. Puis de nouvelles côtes et courbes pour enfin découvrir sur la gauche notre doux royaume qui me captivait tant. Al= ors à notre approche et autant de fois que je pénétrais en= ces lieux, mon petit cœur se mettait à battre de ravissement.<= /o:p>

 

Un colossal portail de= fer, un brin rouillé, de couleur orange défraîchie par les saisons, récusait l’accès à tout intrus. Mon père descendait de la charrette et ouvrait les deux vantaux de ce portail dont la hauteur devait atteindre le firmament. Là, ma grand-mère nous attendait bras ouverts pour nous fêter.

Ce portail, une fois o= uvert, exhibait une grande cour de ferme, située au nord, qui nous accueill= ait dans une atmosphère réconfortante. Quand nous pénétrions je sentais que notre ferme reflétait le bon= heur et mon âme s’emplissait de joie. Je ne suis pas certain que mes sœurs se rendaient compte de cet instant idyllique qui nous était offert. Dans cette cour vivaient une centai= ne de volailles, des canards à la marche dandinant= e, des poulets sautillants, des coqs fiers dressés sur leurs pattes au milieu de poules qui tricotaient le sol de leurs pattes folles.<= /span>

Sur la droite se tenait l’étable que nous appelions plus communément écu= rie devant laquelle trois ou quatre grands mûriers se dressaient dignemen= t, et, entre eux une longue auge où petits et gros porcs venaient s’empiffrer de pitance à certaines heures de la journée. Accolé à l’écurie, un petit bâtiment ou logeaient les mulets et dans le prolongement de l'écurie un long abreuvoir permettait aux vaches et aux mulets de se désaltére= r. Le trop plein laissait fluer l’eau en un petit ruisseau qui faç= ;onnait une barbotière. Bouses et boue associées donnaient un aspect noirâtre, à forte émanation âcre, qui offrait l’opportunité aux canards de barboter et aux porcs de s’y vautrer. Au milieu de cette fange, des pierres étaient disposé= ;es ça et là et nous, enfants, sautions d’une pierre &agrav= e; l’autre, tels des équilibristes, en évitant de plonger = un pied.

Juste en face, à l’ouest, un long poulailler dont une partie servait naguère de bergerie, où cohabitaient à même le sol des lapins et cochons d'indes et l'autre partie centralisait des pigeons. A sa droite, un grand enclos qui jouxtait la cour ou s’élevait une porcherie e= t au nord un grand hangar servant pour le stockage de la paille et qui servait a= ussi de colombier. A gauche du poulailler un portail séparait une petite fontaine où nous aimions nous égayer.

Au sud, une habitation= nous ouvrait ses entrailles. Nous passions d’abord par une mystérie= use et silencieuse verrière, aux soubassements de br= iques, vitrée sur deux côtés et dont certains carreaux avaient été remplacés par de vulgaires planches de bois ou cartons. A gauche de la verrière, une porte s’ouvrait sur une = cour qui était délimitée par la maison d’habitation s= ur la droite et a l’opposé une ancienne volière servait de poulailler. Une buanderie vétuste faisait suite, le sol en terre battu et les murs dont certaines pierres plus ou moi= ns disjointes, procurait un esprit primitif, c’est là que ma grand-mère faisait sa lessive quand ce n’était pas tout simplement dans un grand baquet en zinc posé sur des briques et placé au milieu de la cour. Puis face à l’habitation un grand mur un peu délabré délimitant la propriété faisait front à une nature secrète. D= ans l’angle qui faisait face à la buanderie, des escaliers aboutis= sant dans une cave située sous la maison. L’ensemble des toitures d= e la propriété était en tuiles plates d’un rouge fatigué par le soleil d’Afrique du Nord. De la verrière, nous entrions dans la maison, une grande cuisine toute simple mais vraie, q= ui sentait le fromage blanc, la fumée de la vieille cuisinière à bois charbon de couleur noire, et principalement l’eau savonneuse, car il y avait en permanence, dans l’évier, une bassine en fer émaillé remplie d’eau, avec un savon noir rabougri à proximité. Une merveilleuse senteur de vache, que = le vieux fauteuil, recouvert d’un tissu usé bleu rayé de j= aune et de rouge, conservait jalousement. C’était sur lui que mon o= ncle Henri se délassait lorsqu’il rentrait de l’écurie= . Ce fauteuil se tenait à droite en entrant dans la cuisine. A l’en= coignure du fauteuil, un placard imposant de couleur marron rouge, avec de maintes petites portes coulissantes à poignée laiton, couvrait tout un pan de mur. Un des compartiments du placard, à porte grillagé= e, servait de garde manger. A une certaine période, ce garde manger ava= it servi de logis à des souris blanches. Face à l’entrée, se dressait tout le plan de travail où ma grand-mère, « mémé », cuisinait.= Ce plan de travail appelé potager était habillé de petits carreaux rectangulaires marron et blanc, entre lequel venait s’interc= aler la cuisinière. Sous le plan de travail et l’évier, des petites portes grillagées fermées des espaces de rangement, où ma grand-mère logeait parfois un poulet malade afin qu’il retrouve, dans cette maison de repos, une certaine santé= .

A gauche de l’évier, une grande fenêtre s’ouvrait au levant, f= ace à la cour à laquelle nous avions accès par la verrière et où séjournait une multitude de volailles sélectionnées par ma grand-mère pour avoir été reconnues comme bonnes pondeuses ou de bonne race. Deux v= ieux chiens côtoyaient ces volailles, l’un d’eux s’appel= ait Brusco. De cette fenêtre, nous pouvions apercev= oir qu’en fond de cour, un grand mur nous séparait du monde extérieur.

A gauche de l’entrée, un bahut trapu et vieillot badigeonné d’= ;une peinture blanche servait aux ustensiles de cuisine. Sur ce dernier trônait un vieux poste radio. Une grande table toute simple siégeait au centre de la pièce et sur celle-ci il y avait toujours une assiette contenant un buvard saupoudré d’un peu de sucre et nous avions enfants, interdiction de toucher à ce poison qui était destiné à zigouiller malheureusement de pauvres mouches, qui comme moi devaient sûrement être satisfaites de vi= vre près de ma grand-mère et de mon oncle dans un milieu aussi féerique. Cette table avait aussi deux tiroirs, l’un contenait fourchettes, cuillères, couteaux, l’autre un marteau, du fil, = de vieux bouchons et plein d’autres vieux trésors.

Au-dessus du fauteuil, fixé au mur, un petit panneau de bois sur lequel étaient alignés des petits clous servait de porte-clés. Une bobine de= ficelle était suspendue à l’un de ces clous, et à l’intérieur de la cavité de la bobine une guêpe a= vait fait son nid. Moi, poussé par ma grand-mère, je contemplais debout sur le fauteuil, sans me déchausser car tout était per= mis, l’ouvrage de l’insecte.

 

La cuisine donnait accès dans un long couloir, obscur dans sa totalité, et relativement frais, qu’on appelait « corridor » (j’étais persuadé qu’un loup ou des petits esprits malins s’y cachaient) Je n’avais pas beaucoup d’effroi en m’imprégnant de l’esprit qui régnait dans ce lieu puisqu’il faisait parti d’un organe vital de mon domaine et de = mes zones de jeux. L’une des extrémités du couloir donnait = sur les WC, l’autre nous menait vers différentes pièces de = la maison.

Au bout de ce couloir,= un autre venait à sa rencontre que nous traversions, nous aboutissions = dans une grande pièce qui était la salle à manger. Sur la droite, un grand buffet qui abritait toute une vaisselle réserv&eacu= te;e aux jours auréolés, des bouteilles d’apéritif, a= insi qu’une bouteille de sirop d’orange réservé aux enfants. Sur une petite table, derrière la porte vitrée du sa= lon, reposait un vieux poste radio qui avait rendu l’âme et sur lequ= el un magnifique petit cheval noir en bronze se dressait fièrement. En hauteur, une petite ouverture toute ronde, appelée œil de bœuf, s’ouvrant sur une petite cour extérieure, permettait d’apporter un peu de luminosité et d'air. A gauche, la salle à manger aboutissait dans un petit salon où un antique et vénérable piano attendait avec sans doute beaucoup d’ap= préhension que nous, enfants, le fassions vibrer tel un harmonium dans une Cathédrale. D’ailleurs chiens et chats étaient de la même façon de vertueux musiciens dès que nous leur posi= ons un biscuit ou un carré de chocolat sur le clavier. Que de belles cérémonies nous élaborions avec mes deux sœurs da= ns ce qui nous paraissait être un sacro-saint lieu de Bondieuserie.=

La porte de ce salon s’ouvrait vers l’extérieur sur une grande terrasse, où plusieurs marches nous permettaient de descendre vers un jardin e= nchanté. Ancrée à cette porte, une petite main de bronze permettait aux visiteurs de se signaler.

La salle à mang= er donnait sur un autre salon, une des deux tours du «château&raqu= o;. La pièce était solennelle, même si lors de chutes de pluies, il convenait de mettre quelques bidons ou bassines au sol pour recueillir l’eau des gouttières. Trois fenêtres spacieus= es s’ouvraient sur des directions opposées. Nous pouvions ainsi contempler de l’une d’elles, notre petit village niché d= ans la vallée, l’autre  de collines relativement arides et de la troisième l’autre aile du château.

Quand j’é= voque mon château, c’est avec le souvenir d’un enfant d’u= ne dizaine d’années, sensible au plus profond de lui-même, rêveur et imaginatif à l’extrême.

 

Toutes les portes intérieures et extérieures de la maison étaient peinte= s en noir mais les ravages du temps avaient altéré la teinte des menuiseries extérieures qui étaient plus ou moins rongé= ;es, ridées. Dans ce salon, un colossal canapé habillé d’une vieille étoffe de velours verdâtre sur lequel nous pouvions nous étendre allègrement sans aucune précauti= on d’usage supportait une abondance de petits coussins.

 

Devant l’une des fenêtres, celle qui mirait au midi, se dressait une table sur laquelle reposait en toute quiétude une multitude de plantes vertes que ma grand-mère choyait avec intensément de tendresse et qui donna= it une empreinte poétique à ce salon. Au sein de ces plantes viv= ait une mante religieuse, qui, d’après mon oncle, aurait boulott&e= acute; son mâle. Accolé à une jolie bibliothèque une commode. Sur celle-ci un vase contenait des épis de blés aux longues tiges sur lesquels étaient cramponnés une multitude de cocons de vers à soie. Au cœur de la pièce une table ron= de ou toutes sortes de bibelots s'étalaient, en particulier une bonbonn= ière enrichie de bonbons et de chocolats. D’après ma mère, certains chocolats n’étaient plus très frais, dans ce cas-là, c’était notre grand allié et inséparable Chonchon, un brave chien jau= ne et blanc, qui bénéficiait de l’aubaine.

 

Il faut dire que dans = cette maison, chiens et chats étaient rois, il n’y avait pas une cha= ise ou un fauteuil sans qu’un chat ne l’occupât, pas un tapis= de libre où un chien ne ronflait. C’était étonnant d’observer le bien-être de ces bêtes. Parfois ma mè= ;re protestait, ne comprenant pas pourquoi ma grand-mère laissait les ch= ats faire leurs besoins dans des caisses garnie de s= able situées dans le couloir. Ces caisses de fer blanc avaient été récupérées au préalable &agra= ve; la boucherie charcuterie GALL commerçants de M&= eacute;nerville.  C’était incontestable= , cela sentait le pipi de chat voire plus, mais pour ma part, je ne considé= rais pas cela comme rebutant, ceci faisait partie de mon univers où rien = ne devait changer afin d’en conserver mes repères. Un enfant vit = des choses, ressent des choses que beaucoup d’adultes finissent par oubli= er avec le temps. Un enfant vit dans son monde a lui, il voit ce que l’adulte ne voit plus. Je me rappelle très bien qu’un so= ir chez mes parents à Mouzaïaville, vi= llage ou nous avons habité pendant une certaine période, mon père était venu nous chercher ma mère et moi (je pense= que mes sœurs n’étaient pas encore nées) pour nous mon= trer que dans la petite cour derrière notre maison, sur la poubelle, une ribambelle de souris avaient envahi les lieux. Eh bien je peux assurer que toute la famille de souris était habillée, du père aux enfants en passant par la mère avec un fichu sur la tête. Ce n’était pas un rêve ! je= les ai vus. 

 

Nous ressortions du pe= tit salon, de la salle à manger, et reprenions le fameux couloir aux cha= ts qui menait tout au fond à droite à la chambre de ma grand-mère. Un lit assez grand et haut était placé face à une fenêtre qui s’ouvrait à l’Est, et c&o= circ;té extérieur, sur la cave, il y avait là aussi une infinit&eacut= e; de plantes, en particulier grimpantes, qui offraient un cachet ombrageux tel une tonnelle.

 

Sous son lit, ma grand-mère avait fagoté un grillage afin que les chats ne viennent poser culotte, expression assez imagée de mon aïeule. A coté du lit, une table de nuit à tiroir dans laquelle ma grand-mère mettait sa boîte de bonbons, d’où elle prélevait une sucrerie à laquelle nous avions droit avant de prendre le sommeil.

Ayant commencé à écrire ces quelques souvenirs de ma jeunesse, ma mèr= e en est toute retournée, vexée que je décrive certains passages. Me laissant entendre que ceux qui me liraient pourraient penser que nous étions une famille de romanichel et qu’il sera= it préférable de ne pas citer notre famille. Je peux la comprend= re puisqu’elle descendait d’une famille que je dirais bourgeoise. = Pour ma part, ne l’étant pas de par mon père, je continue do= nc.

 

Un seau de nuit, qui ne servait pas aux chats mais à ma grand-mère, trônait au = pied de son lit. Une petite encoignure où un lavabo servait pour la toile= tte. Au sol, un récipient pour étancher la soif des chiens. Une nu= it, comme je dormais à côté de ma grand-mère et qu’une envie soudaine de boire me pris, je bus l’eau de la game= lle des chiens, car le robinet du lavabo était bien trop haut pour moi à cette époque.

 

Je me souviens, que ma grand-mère peignait toujours, avec beaucoup de soins, ses longs chev= eux blancs avant d’aller au lit. Elle me disait que si les petits anges venaient la chercher pour l’emmener au ciel, il fallait qu’elle soit belle. Elle était pour son âge, encore une très be= lle femme. Assez grande, au regard ensoleillé par deux beaux yeux bleu à la fois rieurs, moqueurs et étonnés. Ma mère avait hérité de sa mère ces yeux bleus qui étai= ent aussi transparents que l'eau d'une fontaine.

 

Dans cette chambre de = couleur rose, une quantité de bibelots étaient posés sur une commode, notamment un chien de plâtre qui tenait dans sa gueule un pe= tit panier. Au-dessus de la porte d’entrée se dressait un cadre enfermant une grande photo de mes arrière-grands-parents et encore b= ien d’autres photos d’enfants qui étaient décédés jeunes, comme la petite « miss » cinq ans&nb= sp; sœur de ma grand-mère qui l’évoquée souvent lors de la prière du soir. Cette petite « miss » qui se sentait probablement mourante aurait = dit à son père malheureux : - Papa il pleut dans ton cœ= ur.

 

De cette chambre, nous avions accès à l’autre tourelle du château, et, c’est dans ces lieux que ma mère me mit au monde le 19 février 1951 vers midi, après un accouchement problématique (rêveur, et déjà distrait, je me présentais, comme disait ma grand-mère, la lune en devanture)= . La pièce était merveilleuse, avec le même nombre de fenêtres que l’autre tourelle du salon. Il y avait de tout, lit= s, commodes, cages à oiseaux, berceau ainsi qu’un petit recoin qui servait de salle de bain. Dans l’une des commodes, il y avait un tiro= ir débordant de sacs à main qui faisaient la joie de mes deux sœurs. Pour ma part, je découvris une sacoche qui me convenait = et m’était baptisé facteur. Onze ans plus tard, je dormis = avec mes sœurs pour la dernière fois, dans cette même tourelle, avant l’exode pour la France. Ce fut l’une des nuits les plus tristes de ma vie.

 

A une certaine époque, nichait dans cette tourelle une ribambelle de canaris et chardonnerets en toute liberté au milieu des meubles et des lits. Ma grand-mère n’avait pas attendu une certaine chanson pour ouvri= r la cage aux oiseaux.

 

Au pied des tourelles= , une terrasse donnait accès sur un large escalier, ressemblant à c= eux des contes de fée, aux multiples marches qui descendaient vers un ja= rdin enchanté où se côtoyaient toutes sortes de plantes, de fleurs aux mille couleurs et senteurs enivrantes au tour desquelles virevol= tait une noria de papillons. Un bassin de forme octogonale trônait en ces = lieux enchantés, et une profusion de poissons rouges vivait dans une eau verte, colorée par la mousse. Un jet d’eau central paraissait confirmer le caractère de notre petite ferme. Ce plan d’eau faisait partie de nos jeux. De ce jardin, nous pouvions contourner la maison par sa droite.

 

Devant la tourelle exposée sud sud-ouest, un grand figuier usé par les printemps= de la vie semblait savourer la place de choix que les hommes lui avait attribué. A sa souche, une ancienne niche bâtie de briques et de tuiles, en partie disloquées donnait une signature romantique au lieu, qui semblait cependant délaissé= par les chiens de la maison. Sur le côté, au couchant, une petite = cour palissadée par un muret juché d’une clôture barreaudée de fer ainsi qu’un petit portillon donnant acc&egra= ve;s dans celle-ci. Dans cette cour, une autre habitation plus modeste s’accolait à la propriété. La porte du couloir a= ux chats s’ouvrait dans cette petite cour et dans ce prolongement venait= la petite habitation. Une porte verte dont la partie haute encadrée par= une moustiquaire s’ouvrait dans une  pièce qui servait de débarras. Que de trésors! = Des caissettes contenant de nombreuses petites bouteilles de verre vides, toutes sortes de boîtes de conserves désemplies, de vielles revues poussiéreuses, ainsi que cette senteur d’oranges momifié= ;es qui embaumaient l’enceinte. De cette pièce, on accédait dans les salles attenantes dont je n’ai plus grande mémoire si= ce n’est une chambre  donna= nt sous un hangar. Parfois avec mes parents et mes sœurs, nous y dormions= . Je me souviens que certains après midi, où la sieste était requise dans ce pays, j’entendais les poules caqueter. Je pouvais les apercevoir derrière les persiennes, elles se tenaient à l’ombre, de temps à autre s’ébouriffant dans un t= rou creusé dans la terre au milieu d’un nuage de poussière, d’autres fois perchées sur une vieille voiture hors d’us= age, qui avait appartenu à mon arrière-grand-père et dont je raffolais être le chauffeur imaginaire mais que malheureusement les poules maculaient de leur fiente. Il y avait aussi quelques dindons à= ; la queue en éventail qui semblaient se moquer de moi en devinant ma présence et qui lançaient des glous glous goguenards J’estimais que ces volailles q= ui vivaient une certaine indépendance avaient beaucoup d'aubaines en n’étant pas obligées de souffrir une sieste que le monde des adultes nous imposait.

 

A l’heure de la sieste, toute la propriété était au délassement à l’exemple de mon oncle Henri étendu sur son lit, qu’une moustiquaire soutenue en hauteur recouvrait. L’été, dans cette maison à la quiétude à peine troublée par le bourdonnement des mouches, la fraîcheur des pièces confortait l’esprit des lieux. Un après-midi, me réveillant d’une généreuse= sieste, mon oncle et ma grand-mère étaient déjà à l’extérieur, je descendis de ma couche et traversais le long couloir sombre et frais des chats, puis, je voulus emprunter le «corridor» qui menait à la cuisine afin d’y retrou= ver mon entourage. Je décidais de prendre mon héroïsme &agra= ve; deux mains et de pénétrer dans le corridor où régnait une intense obscurité. Mais je n’avais fait que quelques pas quand soudainement, au fond du corridor, dans les W.C., deux énormes points lumineux se mirent à me reluquer. Effarouché, je m’enfuis à toutes jambes en hurlant. Je sautais sur le lit et je fondais en larmes en appelant de toutes mes forces= ma grand-mère qui ne m’entendait pas et j’en arrivais même à penser qu’on m’avait tout simplement abandonné. Pourtant, « des siècles plus tard = », ma grand-mère qui pensait que j’avais suffisamment dormi, vint= me chercher. Je lui manifestais ce que j’avais bien pu voir, alors elle = me prit par la main et nous sommes revenus dans ce corridor. Je n’osais = pas relever les yeux, pourtant ma grand-mère me contraint à estim= er qu’il n’y avait aucun monstre, que seule Diane, une chienne noi= re, dormait au frais au pied du W.C. et que les deux points lumineux n’étaient autres que les deux pauvres yeux de la vieille chien= ne. Je n’en fus pas rassuré pour autant et pensais simplement que = ma grand-mère m’avait dit cela pour me consoler.

 

Dans cette maison, il y avait une pièce qui était injustement interdite aux enfants. Celle-ci était située juste en face de la chambre de ma grand-mère et sa porte toujours fermée. Quand ma grand-mère y pénétrait, j’essayais d’entre= voir quelque chose. Quels trésors cachait-on dans cette pièce = ;? Quel était ce mystère si important que les enfants ne devaient pas voir ? Il m’arrivait de penser que plusieurs personnes comme= mon grand-père ou mes arrières grands parents qu’on disait morts y étaient séquestrés. Je n’ai jamais pu y pénétrer et le regrette profondément. Ce n’est q= ue bien des années plus tard, après avoir quitté mon pays= que je sus que cette pièce était un vestiaire, qui servait au stockage de vieux vêtements et autres chiffons et que les enfants en avaient l’accès interdit à cause de la poussière. Encore aujourd’hui, malgré ma compréhension, il m’arrive de m’interroger et de penser que je ne saurais malheureusement jamais la vérité. Je me dis que parfois les adultes n’ont pas conscience du mal qu’ils font aux enfants en = les privant de ce genre de curiosité.

La découverte p= our un enfant, c’est quelque chose d’essentiel. L’en priver, c’est lui voler une partie de ses souvenirs, c’est une pi&egrav= e;ce manquante dans sa mosaïque, dans son puzzle.

 

Mon domaine privilégié était l’étable, c’était un lieu féerique. Une senteur pénétrante et enivrante de litière chaude s’en dégageait. Une dizaine de vaches y logeaient, toutes enchaînées devant une longue crèche, qui faisait les de= ux longueurs de l’étable, surmontée d’un râtel= ier en barreaux de fer. Chaque vache avait son nom : = Pluchette, au pelage blanc cassé, vache préférée de ma grand-mère. Zonzon, la châtaigne foncée et la plus viei= lle de toutes, son nom en similitude au surnom attribu&eacu= te; à la sœur de ma mère. Marquise, noire et blanche, une va= che grande et forte que mon grand-père paternel avait vendu à mon oncle Henri. Domino, sa fille, de la même robe. = Faulette, marron clair avec une tache blanche sur la tête. Joliette, blanche tachetée de noire et de jaune, ma préférée, mon père trouvait qu’elle ne donnait pas assez de lait. La Noir, la dernière arrivée et les autres dont j’ai oublié = les noms.

 

Je me souviens certains soirs où mon oncle, et parfois mon père, étaient affairés à traire, les mains tirant sur les trayons, un seau coincé entre les jambes où des giclées de lait venaient s’écraser en un bruit profond et régulier, dans une mou= sse chaude et crémeuse. Parfois la queue d’une de ces vaches chass= ant une mouche, venait leur fouetter le visage. Alors, elle ne manquait jamais = de se faire rappeler à l’ordre.

 

Une fois le lait tiré, deux fois par jour 19 h00 et 6h00, l'étable était refermé, laissant dans l'obscurité de la nuit, les vaches couchés sur leur litière avec leur ruminement lents et cadencées. Pour le matin, les portes largement ouverte à la lumière du jour et aux volailles. Ensuite mon oncle charriait les se= aux dans la cuisine. De là, ma grand-mère préparait la mis= e en bouteille pour les livraisons du lendemain. Une autre partie était vidée dans un bidon à lait et le surplus, transporté d= ans le couloir aux chats, était laissé au repos dans de grandes bassines posées sur un buffet réservé à cet eff= et. Ce lait devait servir à la fabrication du fromage blanc.<= /span>

 

Ainsi, une fois le lait caillé, ma grand-mère installait son matériel sur la t= able de la cuisine et, à l’aide d’une louche, remplissait des petits gobelets de fer blanc percé, dans lesquels une mousseline tapissait l’intérieur, laissant s’écouler le petit lait.

Au petit matin, mon on= cle après avoir trait les vaches, soigné toutes les bêtes d= e la ferme, prenait sa petite carriole à main de teinte verte et la charg= eait de bidons et de bouteilles de lait, fromages blancs, figues, poulets, œufs, pigeons, puis il quittait la ferme pour descendre au village ven= dre ses produits.

 

Quand il était possible de l’accompagner, j’étais heureux. Nous sortions par le grand portail où se dressait un imposant tas de fumier, qui laissait s’échapper des vapeurs de gaz à odeurs tr&egra= ve;s piquantes. Un liquide noirâtre s’écoulait à sa ba= se, un purin chaud qu’une noria de moucherons fous, tourbillonnant inlassablement venaient squatter.

 

Nous laissions derrière nous notre petite ferme, ma grand-mère, chiens et ch= ats et je me disais qu’ils devaient tous être fiers de ma personne,= par le fait que j'aille épauler mon oncle à gagner son pain quotidien. Ainsi il poussait sa petite voiture à bras, moi à = son côté, je le considérais de temps en temps d’un re= gard secret.

Son béret noir rabattu sur l’oreille lui donnait avec ses yeux bleus un doux visage rêveur. Deux petites fossettes lui éclairaient la face. Ses pas étaient souples et non pressants. On aurait dit qu’il é= tait envahi par la paix. C’était un homme d’une extrême= bonté et d’une très grande naïveté. Des hommes comme il = en existe malheureusement peu. Des hommes de bonne volonté. Je le remercie, aujourd’hui, d’avoir ouvert en moi cette âme rustique et sensible aux choses simples de la vie à l’essence troublante.<= o:p>

 

Le chemin de terre, si= nueux et bosselé, qui nous conduisait au village, était isolé= ; au milieu d’une nature bordée de roseaux, de figuiers de barbarie croissant sur une terre relativement aride. Nous passions devant une construction, élevée à l’aide de modestes roseau= x, appelée «Gourbi» ou une pauvre famille «d’indigènes», comme disait ma grand-mère, subsistait. Après une demi-heure de cheminement, nous arrivions aux portes du village. Alors, je sentais monter en moi une certaine angoisse, c= elle du contact avec un monde que je soupçonnais de ne pas être tout à fait le mien dans les quartiers les plus éloignés.

 

La distribution chez l= es clients pouvait commencer. Certains, devant leur porte, laissaient les bouteilles vides de la veille que nous leur changions contre des pleines. P= our d'autres, nous les servions à l’aide d’un quart qu’= ;il fallait plonger dans un des gros bidons et qui ressortait débordant d’un lait moussu et crémeux à vider dans les récipients tendus par les clients. D’autres voulaient des figu= es ou une paire de pigeonneaux, voire un poulet.

 

Une fois les clients s= ervis, poussant toujours sa petite voiture à bras dans les rues du village,= mon oncle essayait de vendre le surplus de sa marchandise, en se mettant &agrav= e; crier d’une voix claironnante:

- pigeons... œufs frais...

C’est à p= artir de ce moment là, que je me rendis vraiment compte que le monde n’était pas aussi merveilleux que ce que je pouvais l’imaginer. Je remarquais que certaines personnes se moquaient de mon oncle, essentiellement des hommes d’âge mûr. Des sourires= narquois marquaient leur faciès. Alors soudainement je sentais monter en moi = une honte, je me disais qu’ils devaient rire aussi de ma personne. Je les haïssais, car ils devaient nous prendre pour des bohémiens, de miséreux mendigots ou je ne sais quoi d’autre. Pourtant mon on= cle était correctement vêtu, toujours propre et bien rasé. = Une fois ma honte maîtrisée, je me disais qu’eux étai= ent sans doute aisés mais sûrement bêtes et méchants = avec un cœur pauvre et que de toute manière ils n’auraient jam= ais la chance de vivre dans notre petit paradis et qu’ils étaient = bien évidemment jaloux. Une fois d’ailleurs, un gamin qui devait av= oir quelques années de plus que moi et que je connaissais puisqu’il habitait dans une rue non loin de chez mes grands-parents paternel, m’interpella, et me dit en ricanant que chez lui ils n’avaient = pas besoin d’acheter de pigeons car avec son père ils allaient tir= er ceux de mon oncle quand ceux-ci sortaient de la propriété. Pendant ce temps, mon oncle était occupé, il me semble, &agra= ve; vendre une paire de pigeons. Plus jeune et plus menu que ce misérable gamin, je ne pus que le dévisager, et je n’osai en parler &agr= ave; mon oncle pour éviter de lui faire de la peine. Je savais que de tou= te manière il n’aurait rien dit et rien fait à ce môme ; car mon oncle était un brave.

La vérité c’est que mon oncle était un homme simple, sans manière= , un peu naïf certes, mais humain et sans doute trop bon, dans un pays où il fallait paraître pour être reconnu. Certaines gens= le trouvaient nigaud, sans doute par la vie champêtre qu’il menait. Dans leur petit esprit, il était probablement primitif de vivre ains= i. Pourtant le primitif, qu’il était aux yeux de ces êtres limités, avait suivi de bonnes études. Je suis certain qu'auc= un, de ceux qui se moquaient de lui à cette époque n’avait (quant à eux) autant d’instruction. Mais l’imbécillité humaine appartient à l’étroitesse d’esprit de ceux qui la cultivent.

 Il ne faut toutefois rien exagérer, la plus part des autres personnes l’aimait, l’accueillait avec beaucoup de délicatesse et de gentillesse. = Il était une figure de Ménerville et beaucoup d’enfants l'affectionnait. Ainsi lorsque mon oncle avait l’occasion de descendre au village avec sa charrette et son mulet, certains gamins lui demandait parfois une figue ou autres friandises, d’autres en profitaient pour s’accrocher à l’arrière de la charrette et mon oncle d’en sourire.

 

Mon oncle portait en bandoulière une sacoche de cuir qui lui servait à mettre le maigre argent de sa tournée. Une fois le travail achevé, il fallait faire les courses. Nous passions à la boulangerie FERRANDO p= our y acheter un pain qui devait bien peser les cinq kilos, une partie é= tait utilisée pour la soupe des chiens. Puis, nous allions à l’épicerie DERICH, la charcuterie GALL où mon oncle ne manquait jamais de m’acheter un saucisson quand ses économies le lui permettaient. Quelquefois nous nous arrêtions= au « grand magasin » qui appartenait a ROUFFIGNAC et qui faisait bazar et journaux, où il achetait une revue et m’offra= it de temps en temps une barre de pâte à modeler ou un petit illu= stré tel qu'Oscar le petit canard ou Pim Pam Poum.

 

Enfin, nous remontions= vers la propriété et pouvions dès la sortie du village admi= rer sur les hauteurs notre petite ferme aux façades blanches, semblable, avec ses deux petites tourelles souriantes et volontaires, à une nym= phe qu’un soleil radieux rendait éblouissante et dansante. Durant notre ascension, mon regard se dirigeait vers ces collines qui s’élevaient dans ce lointain que je ne connaissais pas, mais q= ui devait bien cacher quelque chose de mystérieux, comme par exemple le bout du monde. Je pensais aussi à ma grand-mère qui devait être affairée à nous préparer le repas. De temps= en temps nous nous arrêtions à l’ombre d’un figuier, = mon oncle en profitait pour s’épongeait le front à l’= aide de son mouchoir. J’aimais sentir cette sueur de brave, occasionn&eacu= te;e par l’effort physique qu’il faisait à pousser sa carriole sous un soleil généreux.

 

Quand nous arrivions à proximité de la ferme, je sentais mon cœur ému palpiter de bonheur et une jouissance intense envahir mes sens. Les chiens = nous ayant senti lançaient de grands coups de gueule de contentement. Ma = grand mère ouvrait le grand portail de la cour = et libérait les chiens, qui représentaient une sécurité à cette époque. Leur queue fouettant l’air, ils venaient en galopant à notre rencontre en nous manifestant leur affection par des petits gémissements. Chacun d’eux savait que mon oncle n’oublierait pas de leur ramener que= lque chose, tel un os pour se faire les dents. Alors je les enlaçais tendrement, heureux de leur présence.

 

Je n’étai= s pas mécontent, quand, lors de notre retour, certaines volailles n'avaien= t pu être vendues. Je me disais qu’elles avaient eu beaucoup de chan= ce de pouvoir revenir vivre en ces lieux enchantés où tas de fum= ier et bâtiments leur souriaient. Evidemment j’étais un peu peiné à l’égard de mon oncle qui n’avait p= as réalisé la vente des produits, qu’il avait escompt&eacu= te;, mais il avait l’esprit d’un homme qui se contentait de peu.

 

Mon oncle, parfois, al= lait vendre un porc ou deux, voire des porcelets ou quelques sacs de grains. La charrette était indispensable pour ce transport, alors il faisait reculer son mulet entre les deux brancards pour l’atteler, lui passait tout l’harnachement indispensable tels que harnais, brides, mors, oeillères et licol, puis chargeait son bétail derrière= sa banquette. Les porcelets couinant, étaient enfouis dans des sacs en toile de jute, et mon oncle  p= artait ainsi au village comme un bienheureux.

 

Quand nous venions pas= ser nos vacances à la ferme, mon père un homme vif, courageux et volontaire qui aimait beaucoup la terre s’investissait généreusement sur la propriété. Il répar= ait une porte cassée, construisait un poulailler, coulait une dalle dans l’écurie, creusait des canaux pour irriguer les orangers etc... Mon père trouvait toujours un peu de te= mps pour se consacrer à ses enfants. Une fois il m’enseigna comment attraper des moineaux. Il accrocha une longue ficelle à la porte du poulailler qu’il laissa ouverte et nous nous cachâmes sous le hangar de la vieille voiture. Au bout de quelques minutes, une ribambelle de moineaux investirent les lieux pour y chaparder le blé des volailles, alors mon père tira sur la corde, la porte se referma derrière eux. Pris au piège, il ne nous restait plus qu’à les attraper. A l’aide d’une petite planche, mon père assomma ces pauvres petites créatures. Egalement muni d’une planchette= , je donnais l’impression à mon père de le suivre dans son hécatombe afin de ne pas lui laisser supposer ma faiblesse en ce dom= aine et de lui laisser croire que je partageais son enseignement. Je n’en sacrifiai aucun, bien au contraire, je fis en sorte que la porte du poulail= ler s’ouvrit derrière nous afin d’en épargner le plus possible et ainsi d’offrir la liberté à certains de ces petits êtres. Mon père dût me trouver bien gauche, &agra= ve; moins qu’il ne devinât mon émotivité qu’il connaissait assurément et qu’il souhaitait changer un peu. En = fin d’après-midi, nous en avions attrapé une bonne trentain= e. C’est à ma mère et à grand-mère que reven= ait l’honneur de plumer ces miséreuses créatures.

 

Un jour par semaine, n= ous enfants, avions droit à la grande toilett= e. A la petite fontaine qui se trouvait appuyée au mur de clôture d= e la cour et qui essayait de conserver une partie de sa fraîcheur sous un soleil ardent, mes parents raccordaient un tuyau en caoutchouc  et ainsi, nous avions droit &agrav= e; la pression d’une eau naturelle et assez fraîche. Les canards, pour l’heure, étaient exclus de la fontaine, mais cela ne les empêchait pas d’essayer de récupérer quelques gou= ttes perdues du jet d’eau, alors ils se dressaient sur leurs pattes et battaient violemment des ailes en lançant d’éclatants coin-coin et cela faisait rire mon père.

 

Un jour où mes parents finissaient de doucher mes sœurs, et que j’étais = affairé dans mes jeux, je m’aperçus, soudainement, que Flambeau, un gr= and chien gris sauta sur Zina une chienne fauve. Al= ors n’écoutant que mon héroïsme, je saisis Flambeau pa= r le cou et essayai de le dégager, estimant que se battre était fo= rt laid. Ma témérité me valut de sa part un violent coup = de croc dans le pli de mon bras qui se mit à saigner abondamment. Mon père bondit de la fontaine et porta un coup de pied à ce pauv= re Flambeau. Aussitôt, on me descendit chez le médecin qui me fît deux injections dans le ventre et me posa quelques agrafes pour réduire la petite cicatrice que je conserve encore et qui fait parti= de ma vive mémoire lorsque je la contemple avec ravissement aujourd’hui. Ce n’est que bien des années plus tard, que= je compris que Flambeau et Zina ne se battaient pa= s mais qu’ils ne faisaient qu’accomplir, avec le printemps, un instinct tout à fait naturel.

 

Nos principales activités pour nous enfants, étaient les jeux. Nous aimions m= imer les adultes dans leurs tâches quotidiennes, notamment celle de mon on= cle laitier. Nous récupérions dans la remise des petites bouteill= es, que nous remplissions d’eau de la fontaine en imaginant les emplir de lait. Ensuite nous faisions la tournée au quatre coins de la ferme, = à l’aide d’une antique carriole, pour en simuler la vente aux clients. C’est à l’occasion d’un de ces jeux que ma sœur Ghislaine se fit une entaille à l’une de ses petites mains avec une des  bouteilles= qui s’était brisée. Il fallut la descendre chez le médecin du village, le docteur Choussat,= qui lui prodigua les soins nécessaires. Je me rappelle très bien qu’elle dévisagea le médecin qui lui avait fait quelques points de suture et quand celui-ci lui demanda s’il lui avait fait ma= l, elle le regarda droit dans les yeux et lui répondit: «NON&raqu= o;.

Ma sœur Christian= e ne partageait pas tous nos jeux. De nature plus calme, elle préférait d’antiques ours en peluche, qui avaient appar= tenu à ma mère ou à ses frères, qu’elle choyait comme une vrai petite mère. De vieilles  lectures et les livres d’ima= ges du petit salon la passionnaient beaucoup.

Nous aimions également nous amuser autour du bassin à poissons rouges. Nous faisions filer sur l’eau des petites barques de bois que nous chargio= ns de boules de cyprès et devenions ainsi des marins ou capitaines au long cour d’eau douce. De temps à autr= e nous venions avec ma grand-mère distribuer des mies de pains à ces poissons dont certains devaient bien faire une vingtaine de centimèt= res et quelques millimètres pour les plus petits.

 

Assez souvent, grand-mère nous emmenait faire l'inventaire des plantes de son jardi= n. Je la voyais prendre un plaisir intense à ausculter ses fleurs, sans jamais en cueillir une fraîchement éclose, se contentant d'en prélever une, parmi celles qui étaient sur le déclin. = Nous faisant observer une abeille butinant une de ces belles que le soleil avait épanoui, nous incitant à humer chaque fleurs, dans le but de = nous faire prendre conscience de la vie qui régnait dans et autour de ce jardin aux plantes troublantes et éblouissantes. <= /p>

Ce qui marquait ces li= eux et qui donnait ce caractère romantique, c’était tous ces taillis, fleurs et plantes, par leurs senteurs et leurs couleurs symphoniqu= es, tels que verveine, lanthanas, menthe, basilic, géraniums aux pompons rouge, jasmin, capucines, mousse verte du bass= in. Senteurs capiteuses qui s’exhalent dans mon âme et qui ne peuve= nt s’effacer de ma mémoire. A la frontière du jardin, deux jeunes palmiers dattiers, de taille moyenne, coiffés par de larges e= t longues palmes verdoyantes, s’élevaient fi&= egrave;rement en direction du village, laissant penser à des sentinelles indiennes. Une bonne partie de la propriété dressait ses contreforts de cyprès afin de repousser toute incursion ennemie. Nous pouvions, en outre, lorsque nous souhaitions nous rendre au village, emprunter un sentier maçonné dans sa première partie par de petits escalier= s, jalonné d’un cordon de romarin, qui dégringolaient d’une manière assez ardue en direction du village. L’aut= eur qui avait aménagé ses lieux avait eu l’ingéniosité de construire des bancs en ciment parés de petits carreaux blancs, jaunes et noirs identiques à ceux de l’escalier des deux tourelles. Ainsi, aussi vaillants que pouvaient être les propriétaires du site, dans un pays o&ugrav= e; la chaleur rend les gens fatigués, où le soleil inonde de ses lances ardentes chaque arpent de terre, ces repose-fai= néants, à l’ombre des figuiers aux troncs tortueux et chapeauté= s de larges feuilles, aux figues gorgées de sucre, parfois éclatées, que les guêpes déchiquetaient, étaient des alliés bénis lors de l’ascension de = la propriété.

Les terrains situ&eacu= te;s dans les bas fonds, en bordure du chemin dévalant en corniche, étaient en parti planté d’orangers, que mon père aimait choyer. C’est là qu’il aménagea avec mon o= ncle un système d’irrigation à l’aide de petits canaux= qui récupéraient une eau de source située à proximité des lieux.

 

La propriét&eac= ute; n’était pas bien grande, une vingtaine d’hectares de ter= res en grande partie assez arides, qui ne permettaient pas de faire de grandes cultures. Peu de surface, me semble-t-il, pouvaient être ensemencés en blé, un demi-hectare environ en orangers et tout le restant en herbe à vaches. Quelques oliviers et amandiers gîtaient en bordure de ces champs parfois accompagnés de figuiers de barbarie et de caroubiers.

C’était u= ne petite ferme, qui avait peu de bonnes terres, juste ce qu’il fallait = pour donner le vivre et le vêtir, mais une petite ferme qui sentait l’honnêteté, le parfum et la joie de vivre et dans laque= lle vivaient des êtres dignes.

 J’avais l’impression d’avoir une complicité silencieuse et secrète avec elle, mais je savais qu’à travers son silence, son âme me souriait. J’aurais aimé emporter quelques souvenirs dans une petite boîte que j’aurais gardée secrète, tel un = peu de fumier de mes vaches que j’aurais pu humer de temps en temps, ou d= e ma terre, afin de m’enivrer encore un peu de ce paradis perdu et tant aimé. Il m’arrive d’avoir peur que s’évade = mon esprit, comme le temps qui fout le camps, emport= ant à jamais avec lui ce qui me reste de mes pensem= ents.  Je l’espère aujourd’hui sans trop de solitude, que sa bâtisse soit encore debout et qu’il n’en reste pas que des ruines qui dorment sous = les broussailles avec le songe d’un passé. Parfois je ferme mes paupières, je l’écoute et la revois vivre, alors mes ye= ux se mouillent.

Je sais que cette terr= e, ce paradis bleu où ma mère me mit au monde et dont je buvais l’univers, nous n’en avions pas l’exclusivité. Nous devions la partager avec respect avec ceux qui avaient été l&= agrave;, avant nous, si nous ne voulions pas que sonne le glas. Le problème fût  alors que certains opulents colons asservisseurs ont anormalement créé des fract= ures parmi un peuple. Ces dernières ne pouvaient se ressouder, tellement = le mal avait été fait dans ce pays par l’égoïs= me, l’indifférence de certains imbéciles. S’estimant probablement de race et de classe supérieure ces méprisables ont fait le mal aussi bien pour les Algériens que pour les Européens qui n’appartenaient pas à leur rang social. Si l’esprit s’étend avec le cœur, pour certains celui-= ci devait leur faire défaut et ils sont donc respon= sable d’une fin fatalement programmée dans ce pays pour tout un petit peuple.

Ce qui nous sép= arait de ce peuple, c'était avant toute chose la misère dans lequel= ils vivaient et la dignité que certain leur refusait. Certains Européens étaient traité eux aussi = de la même façon. Dans ce pays, il aurait fallu faire l'intégration à part entière. Car à travers nos différences beaucoup d'entre nous s'aimaient. Je comprends trè= ;s bien leur révolte, ils étaient chez eux et n'avaient pratique= ment pas de droit et pour certains ils étaient des esclaves des temps modernes, voir des sous hommes. Quel gâchis! Je suis certain que nous aurions pu vivre heureux et ensemble. Dans ce pays ou beaucoup de choses no= us séparait il y avait aussi beaucoup de choses qui nous rassemblaient,= il y avait de la haine et de l'amour pour les gens de bonne volonté. Je pense que l’Algérie ne vivrait pas aujourd’hui dans le désordre et la misère sociale si nous avions su hier bâ= tir ensemble un pays indépendant à l’avenir prometteur.

 

Les après-midi, pendant la sieste, vers les trois heures, un ou deux petits bergers venaient chercher les vaches pour les faire paître. Pendant ce temps mon oncle Henri était encore embourbé dans ses rêves. Alors les jeunes bergers se mettaient à crier à maintes reprises derrière le colossal portail : - M’sieur GITTON ! M’sieur GITTON ! Cela faisait rageusement aboyer les chiens réveillés par ces appels. Alors mon oncle, tranquillement, sortait de ses rêves et allait toujours aussi calmement ouvrir. Les bêtes détachées, abandonnant pour certaines leur petit = veau dans l’écurie, venaient s’étancher à l’abreuvoir, et partaient paisiblement le mufle humide et baveux en procession vers pâtures et brousse.

 

L’alimentation d= es vaches, en complément de leur pâture, était compos&eacu= te;e de cosses de caroubier, aliment qui permettait une augmentation de la lactation. Ces cosses étaient achetées le plus souvent aux Algériens de souche, notamment aux femmes parées de leur voil= e blanc (haïk), qui les transportaient dans de grands paniers en roseaux. Ces cosses étaient ensuite stockées en tas sous le vieux hangar.<= o:p>

 

Une fois le troupeau s= orti, le portail restait ouvert, alors une grande partie des volailles en profita= it pour aller s’épouiller et picorer quelques vermines dans le ta= s de fumier.

 

La sortie du bé= tail permettait à mon oncle de curer la litière des bestiaux. Il f= aut dire que depuis que mon père avait dallé l’écuri= e, c’était devenu assurément plus pratique. Le fumier était chargé sur une antique brouette de bois et achemin&eacu= te; jusqu’au tas, qu’il fallait escalader à l’aide d’un madrier. Avec ma petite brouette de bois, dont la roue ét= ait cerclée d’un ruban de fer, je l’épaulais bravemen= t et fièrement dans ses tâches où je m’estimais indispensable. Je crois que c’est à partir de ce moment-l&agra= ve; que naquît en moi l’amour de la terre. (on<= /span> pourrait dire que c’est dans le fumier que mon esprit champêtre germa)

 

Mes moments préférés étaient le soir, au moment de la traite des vaches. Je ressentais une atmosphère de paix, de vibration. Les vaches alignées les unes aux autres, patientaient leur tour. Chacune avait dans son râtelier sa ration de fourrage, sa litière bien garnie en paille et la crèche bien remplie de caroubes. Une ou deux = ampoules électriques apportaient un soupçon d’éclairage d= ans ces lieux. On entendait quelques meuglements ainsi que les cliquetis des chaînes qui entouraient leur cou. Leur museau humide et baveux, tendu vers le râtelier, reniflait le foin qui était arraché, = mâché, puis écrasé dans leur large gueule. Tantôt, les unes levaient leurs queues et de grosses bouses s’écrasaient au sol d’un floc mou et sourd. Tantôt les autres, le dos voûté laissaient s’écouler en un gros jet une for= te urine. Je les trouvais sans pudeur, sans retenue et cela me gênait un peu. Mais elles étaient si belles, si insouciantes que je ne leur en tenais pas rigueur. Elles étaient vraies et me donnaient parfois l’impression de me sourire. Alors je m’approchais d’elles= et de mes petites mains je me plaisais à caresser les poils soyeux de l= eur cou et elles me remerciaient en me léchant à grands coups de langue gluante et râpeuse. La traite pendant ce temps se réalisait. Les plus capricieuses balançaient des coups de que= ue dans la figure. Ou bien c'était un coup de pied dans le seau à lait et s’ensuivaient des désapprobations de la part de mon on= cle ou de mon père. Mais l’endroit me laissait rêveur, les vaches, les senteurs douces et tièdes des litières me berçaient vers un monde de paix où seuls ceux qui naissent av= ec cette âme peuvent comprendre. Quand je pense à ce qu’à été ma vie en ces lieux, j’en ai le cœur serré et les yeux humides. Mes parents, à cette période de ma vie, n’ont sans doute jamais ressenti ce qui vib= rait en moi. Bien trop occupés par les tâches auxquelles doit faire face le monde des adultes.

 

Un peu plus tard, mon père acquit sa première voiture, une 2 CV grise d’un certain âge, qui ravit la famille. Ainsi, nous pouvions nous rendre p= lus souvent à notre petite ferme, et pouvions enfin connaître les = différents villages que nous traversions= avec leurs constructions typiques du pays.

 

Cette 2 CV nous = permit une année de laisser partir notre oncle en vacances pour la France, = et c’est avec elle que les distributions de lait purent se faire. Nous allions certes plus vite, mais c’était bien moins poéti= que.

 

Une année, j’appris que notre mulet Cadet avait eu les quatre jarrets tranchés alors que la pauvre bête broutait paisiblement au mil= ieu des vaches sur les hauteurs derrière la maison. Les militaires qui étaient en casernement au village vinrent, à la demande de mon oncle chagriné, abattre notre brave Cadet= , et mon oncle leur offrit la carcasse. Ainsi, les événements d’Algérie avaient fait leur entrée dans mon univers. Je trouvais cela injuste, Cadet était un mulet d’une extrême gentillesse. Ses agresseurs n’eurent aucune difficulté à= ; le trépaner, je les trouvais lâches, hideux. Comment pouvait-on s’en prendre à un animal qui n’était pour rien da= ns le problème des hommes. Mon oncle en racheta deux autres, un marron foncé et un blanc, ce dernier était très têtu et aucun d’eux ne put remplacer notre martyr.

 

Prendre part aux trava= ux de la ferme était pour moi une joie intense. Suivant les jours, il fall= ait cueillir les figues, pour certaines les faire sécher sur une petite table de marbre située sur la terrasse. Recueillir sous le grand han= gar, à l’aide d’une longue échelle, des pigeonneaux da= ns leur nid. Nettoyer l’écurie, garnir les râteliers, plong= er les seaux dans le grand tas de caroubes situé sous le hangar et les vider dans les crèches. Vider les seaux de farine, son et remoulage voire parfois du vieux pain entreposé dans un local, verser quelques seaux d’eau puisés dans l’abreuvoir et mélang&eac= ute;s le tout dans la grande auge aux porcs.

 

Le petit déjeun= er était un moment d’enchantement. Quand nous nous levions d̵= 7;un bon doux sommeil, nous nous rendions dans la cuisine où régna= it une atmosphère de paix, de senteurs caractéristiques. Les ray= ons du soleil matinal venaient percer de ses lances lumineuses les vitres de la grande fenêtre, où des poussières éthérées en un long fuseau venaient s’écr= aser sur la grande table de la cuisine, en y dégageant une douce chaleur.= De grands bols flegmatiques, faïencés de blanc, attendaient qu’on les remplisse d’un bon lait blanc et crémeux. Nous, les enfants avions droit à quelques gouttes de café mélangées à ce lait. Enfants modernes, nous dédaignions la crème, malgré les louanges ressass&eacu= te;es par ma grand-mère. Le bol de lait était accompagné de tartines beurrées. Beurre évidemment fabriqué par ma grand-mère. Je ne me souviens pas avoir vu de morceaux de sucre sur = la table, par contre le sucre cristallisé était toujours présent.

 

Le repas de midi était un peu plus bruyant. Sur la table s’étalaient en = un véritable imbroglio, toutes sortes de condiments et victuailles cert= ains encore dans leur emballage. Nous commencions souvent par des crudités telles que radis, que notre grand-mère nous initia à décorer comme de petites roses beurrées. La bouteille d’= ;eau qui pique (eau gazeuse) fabriquée par ma grand-mère (une poud= re appelée létiné qui é= ;tait versée d’un petit sachet dans une bouteille d’eau du robinet) accompagnait le repas. Parfois mon père me versait quelques larmes de vin rosé dans mon eau qui pique, donnant un goût particulier. Il y avait la ventripotente gargoulette de terre, qui conserva= it jalousement dans ses entrailles une eau fraîche permettant en ce pays chaud de s’y désaltérer et d’étancher sa s= oif après une journée de labeur. Les bouteilles de vin, toujours rosé, étaient entreposées pour les repas entre des persiennes entrouvertes. Enveloppées, telles des momies, dans de vie= ux bas en coton humidifiés. Ces bandages permettaient au vin de conserv= er une fraîcheur subtile. Le repas était souvent accompagné= ; de la vieille radio où nous écoutions le jeu des « Mille francs »

Pendant le repas, nous pouvions entendre les poules chanter et parfois de leur bec venir taper aux vitres de la fenêtre. Brusco, le vieux ch= ien qu’un des frères de mon père avait ramené de la guerre de 39/45, n’était d’ailleurs pas des derniers, son derrière posé sur une dalle qui arrivait à hauteur de = la fenêtre, à nous regarder de son masque triste, essayant de nous apitoyer afin qu’on lui accorde l’hospitalité.

 

Vers les quatre heures= de l’après-midi, venait l’heure du goûter. En dehors du traditionnel bol de café au lait et de ses tartines beurrées, ma grand-mère nous initia à nous préparer un petit goûter à sa= façon. Elle partageait en deux une figue séchée par le soleil, dans laquelle elle nichait deux petites amandes que nous dégustions d’une manière sacrée.

 

Le repas du soir était paisible, à peine troublé par quelques aboiements de nos chiens inquiétés par la sauvag= ine que la nuit faisait sortir. Un abat-jour émaillé de blanc, au= tour duquel tournoyaient toujours quelques petits papillons, reflétait une douce lumière au centre de la table. Nous avions chacun notre place,= ma grand-mère tournait le dos au potager, moi face à elle le dos à la porte d’entrée et mon oncle à côt&eac= ute; de ma grand-mère près de la fenêtre. Mon oncle et ma grand-mère causaient de choses et d’autres, notamment des livraisons du lendemain et des éventuels achats, des fermes voisines= et de leurs occupants, des gens du village, d’une bête malade qu’il fallait soigner ou sur les événements politiques = qui frappaient le pays. Mais le repas était toujours agréable car= il y avait des plaisanteries, des devinettes et beaucoup de rires. Quand la so= upe était servie, nous n’entendions plus que les cuillères = de fer blanc crisser dans des assiettes, dont certaines avaient le bord ébréché. La soupe, en dehors de celle traditionnelle de légume, pour nous enfants, était naturellement bonne puisque = le bouillon KUB avait déjà fait son apparition. Le problè= me était tout autre lorsqu’une fois j’ai découvert d= ans la soupière une paire de tétines de vaches que ma grand-mère avait soigneusement préparée à la façon d’un pot au feu. J’étais écœuré à la vue de ce spectacle et affolé à l'idée d'en ingurgiter la moindre cuillérée. = Je n’en voulus en aucune façon, ma grand-mère contrariée et mon oncle d’en rire, et moi de penser de quelle vache ces tétines pouvaient bien provenir. Ainsi, dès le lendemain matin je courus à l’étable pour y scruter cha= cune de nos vaches. Rassuré, la paix revint en moi, mais le terrible spectacle continuait à me hanter.

 

Le soir après s= ouper, nous avions toujours un peu de temps avant d’aller au lit, c’était des amusements dans les couloirs, ou un peu de lecture= s et de découverte d’images dans le salon, si ce n’éta= it des jeux de rôle dans la pièce où il y avait le piano. = Tel que l’exemple où mes sœurs étaient des anges et mo= i le curé. L’écharpe qui servait à recouvrir les touc= hes du piano placée autour de mon coup et retombant sur mes épaul= es telle une étole, me donnait une fière allure. Une boîte= de fer blanc posée sur le piano servait de tabernacle et quelques sucre= ries faisaient office d’hosties. Alors la grand’ messe pouvait comme= ncer et les anges, aux airs de circonstances, pouvaient faire leur apparition. Plusieurs petits doigts s’acharnaient à appuyer sur les touche= s du piano, avec l’impression d’en faire sortir une musique sacrée. Deux chandeliers de bronze fixés de part et d'autres = du piano donnaient un air solennel à nos cérémonies o&ugr= ave; aucune dérision n’était admise.

 

Quand venait l’h= eure d’aller au lit, c’était toujours pour moi un moment d’émotion. Outre que ma grand-mère me donnait une friandise, il fallait réciter sa prière et évoquer tous ceux qui étaient partis vers ce ciel, que je scrutais de temps &agra= ve; autre dans la journée afin d’y surprendre un de mes ancê= tres qui aurait pu prendre la forme d’un de ces nuages qui nous survolaien= t. Je crus souvent en reconnaître certains que je n’avais pourtant jamais connus si ce n’est qu’à travers certaines photos. C’était aussi la fin d’une journée merveilleuse q= ue je laissais derrière moi. Je me mémorisais mes jeux, mes découvertes, songeant à ce que serait ma journée du lendemain. Je pensais à mon père, ma mère, mes sœ= urs quand ils n’étaient pas avec moi et me manquaient beaucoup.

 

Une fois couché, j’entendais ma grand-mère rangeant la cuisine, préparan= t le repas des chats et des chiens ainsi que la distribution du rata. Parfois av= ant de m’endormir, j’entendais les hurlements des chacals qui r&oci= rc;daient autour de la ferme, et qui venaient se disputer une charogne telle qu’= ;un porc ou une volaille crevés. Cela m’impressionnait considérablement, d’autant plus qu’ils me semblaient être énormes et cruels. Alors je glissais ma tête sous l= es draps par sécurité et m’imaginais leur rude bataille en espérant qu’aucun d’eux ne saurait pénétrer dans la chambre. Je me savais pourtant en sécurité, car nos chiens étaient là, toujours prêt à se battre, les voyant dans mon imagination les crocs en avant, se roulant à terre  dans de terrible bataille contre c= ette sauvagine. Alors je les estimais comme des guerriers un à un  : Flambeau, Zina , Fanfare, Chonchon, Brusco<= /span>, Diane et Pompom. Mais j’avais peur pour l= es chats qui eux n’étaient pas de taille à se battre et qu= i de plus, d’après mon oncle, étaient appréciés par les chacals. Alors tous les chats de la maison défilaient dans ma tête avec cette crainte de ne pas les revoir le lendemain : Rubina la chatte noire, Middle C= at la blanche, Raïza et Grisette les grises e= t bien d’autres encore oubliés. Ainsi je m’endormais, trimbalant dans mon sommeil mes imaginations et les mystères de la nuit.

 

En ce qui concerne les chats, je me rappelle que Rapatou, un gros mato= u gris avait disparu de la ferme. Sa disparition n’avait pour responsable qu= e ma grand-mère. Ainsi, elle me raconta que Rapatou<= /span> n’était qu’un vulgaire voleur, qui allait dénicher les jeunes pigeons dans leur nid pour les dévorer, et qu’elle avait donc mis fin à ses agissements en le noyant dans le bassin à poissons rouges. J’étais stupéfié d’entendre une chose pareille sortir de la bouche de ma grand-mère. Comment avait-elle osé accomplir un tel crime&nbs= p;? J’appris un peu plus tard qu’elle avait même écorché et tanné la peau de ce pauvre Rapatou qui n’avait même pas eu droit aux portes du Paradis puisque c’était un voleur. Ainsi ma grand-mère était une personne à surveiller quand un animal de la ferme ne respectait pas = les règles établies.

 

 

Quand venait l’h= iver, la vie à la maison prenait un caractère de repli. Le froid obligeait ma grand-mère à allumer la vieille cuisinière à bois et charbon, celle-ci dégageait une odeur de fumé= ;e, de charbons ardents et de bois vert. Chonchon, l’un des chiens vieillissants, aimait soulager ses rhumatismes sous la cuisinière. La place était précieuse, car les chats lui faisaient concurrence. Dans un des tiroirs à cendre de la cuisinière, mon père se plaisait à mettre quelques pom= mes de terre, juste sous la braise, et il faut avouer que cela était un délice. C’était ce genre de petites choses qui faisait l’importance de cette vie simple que nous menions dans notre petite f= erme..

 

Lorsque la pluie arriv= ait, et qu’il fallait bien l’accepter puisse que c’étai= t la Bon DIEU qui ouvrait une quantité de robinets pour faire pousser les fleurs, la cuisine était fréquemment souillée de boue = par les allers-retours de ceux qui omettaient de se décrotter les soulie= rs ou les pattes, et cela faisait rager ma douce maman qui passait son temps à l’entretien des lieux. Je n’ai jamais vu ma grand-mère se mettre en colère lorsque l’un de nous ent= rait avec les godillots crottés. Je pense qu’elle avait une certaine philosophie de la vie que n’avait pas ma mère sur la propreté.

A l’extér= ieur tout était détrempé, la cour remplie de flaques d’eau faisait le bonheur des canards qui en profitaient pour barboter= . Devant l’écurie, c’était un véritable bourbier ; Le sol piétiné par les vaches était imprégné de purin. Les chemins menant à la ferme, notamment par gros orages, étaient ravinés par les eaux, et, devenaient souvent impraticables à cause d’éboulements de talus.

 

Une année, mon grand-père paternel vint me rendre visite à la ferme. C’était une de ces journées d’hiver où la pluie était au rendez-vous. Quand il arriva à la maison, emmitouflé dans son grand imperméable noir tout ruisselant, i= l me fit de la peine lorsque je vis son visage trempé. Je trouvais que c’était une preuve d’amour qu’il avait à mon égard. Le pauvre homme aurait souhaité m’emmener chez l= ui aux H.L.M. de la Sablière, mais ma grand-mère s’y oppos= a à cause du temps. Il n’en fut d’ailleurs pas remercié par = le vieux chien Pompom à la robe marron et blanche, puisque ce dernier mordit mon grand-père à l’u= ne de ses jambes.

 

Tout n’ét= ait pas aussi enchanteur dans ce royaume. Un jour, mon oncle nous fit savoir qu’une vache s’était enlisée dans un fossé gavé de boue, suite à de = gros orages. Tout le nécessaire avait été tenté pour essayer de la sortir du piège dans lequel elle s’était embourbée. Mais rien ne put mener à bien l’opération. Il fallut donc abandonner cette pauvre bête à son malheureux destin. J’ignore si cette pauvre vache fut abattue par mon père ou mon oncle, je ne l’ai jamais su, mais = ce qui est certain, c’est que quelques temps plus tard, les chacals avai= ent fait leur travail et j’en étais écœuré.

 

En tant qu’enfant impressionnable, toutes choses avaient pour moi leur importance, une plume = de volaille, un caillou, une boule de cyprès. Je rangeais toutes ces ch= oses dans les poches de mes culottes courtes, un peu comme des trésors, en pensant qu’il y avait une vie en eux. D’ailleurs pour moi tout était vivant, cela allait du vieux baquet à lessive au respectable fauteuil estropié . J’a= vais aussi le sentiment de vivre avec une quantité d’êtres invisibles qui m’épiaient. C’était le temps de l’insouciance, le temps de la découverte, le temps du bonheur,= le temps où l’esprit est encore pur, non pollué par les incontestables combats pour la vie que mène le monde des adultes, période où je n’avais pas encore « l’âge de raison ». Quand on voit la cruauté de certains hommes, on peut se poser la question de savoir s’il ne vaudrait pas mieux que l’être humain ne franchisse pas ce seuil.

 

 

L’hiver tirait à soi Noël. Sur une commode, que je conserve encore aujourd’hui, et qui se trouvait dans la salle à manger, ma grand-mère apprêtait une crèche rustique où des santons anciens, de tailles différentes magnifiaient les lieux. Une bougie allumée, à proximité de l’enfant Jésus, à l’occasion de la prière, donnait un caractère solennel.

Sont restées en= moi, toutes ces senteurs de cire fondue, de farine de blé faisant office = de neige, de bouquets de mimosa qui embaumaient l’enceinte. Je n’ai pas souvenance de cadeaux, si ce n’est qu’un petit vélo = tout en fer, scelle comprise, aux roues pleine et sans freins avec la possibilit= é de pédaler aussi bien en avant qu’en arrière (car généralement Noël se passait chez mes grands-parents paternels.

Je me revois, mon père, ma mère, ma grand-mère, mon oncle, mes sœur= s. Nous sommes là devant la crèche, une bougie allumée déplace nos ombres dans la pièce. Le moment est solennel, nous enfants, attentifs aux prières que nous répétons &agra= ve; la suite de nos parents. Les santons de la crèche semblent animés. La vierge Marie contemple son Jésus et semble nous dire : « soyez sages mes enfants, aimez vos parents. » Dans le fond de la crèche, derrière l’enfant Jésus, l’âne et le bœuf semblent émerveillés par cette venue au monde du divin.

Je me souviens de ces moments où nous, enfants, étions en émoi devant cet événement de Noël. Je sentais qu’une grâce n= ous envahissait en observant mes sœurs boire les paroles de ma mère= et de ma grand-mère quand elles évoquaient que l’enfant Jésus, envoyé par Dieu, était venu sur terre pour appo= rter la paix aux hommes. Cet enfant me semblait détenir des pouvoirs surn= aturels.

 

Nous avions rarement de marquantes réunions de famille chez ma grand-mère. Mais lorsq= ue l’occasion se présentait, il fallait faire les choses grandeme= nt. Ces jours-là, ma grand-mère, ma mère et sa sœur, = qui venait rarement sans doute à cause de moyens de locomotion ou de distances trop importantes qui nous séparaient, sortaient la grande nappe blanche brodée en coton avec les serviettes de table assorties, les assiettes blanches, de beaux verres ainsi que les couverts en argent.

Avant de commencer le = repas, il fallait faire la prière pour remercier le Seigneur de nous avoir offert cette nourriture et de nous avoir tous réuni. Pour ce qui était de la nourriture offerte par le Seigneur, je me disais tout de même qu’il fallait aller travailler si l’on voulait gagner son pain, mais à cette époque je ne m’interrogeais pas davantage sur la religion. Nous enfants, avions parfois envie de rire en épiant les regards pieux de circonstance des adultes, notamment celu= i de ma mère. Je me rappelle que j’évitais d’observer = mes sœurs en train de prier, car je savais que si nos regards se croisaien= t, s’en seraient suivi des explosions de rires. Compte tenu de la solennité de la chose, il valait mieux nous tenir tranquilles si nou= s ne voulions pas être foudroyés du regard des adultes. =

 

Ma grand-mère q= ui avait une belle voix, aimait chanter des petites chansons, comme par exempl= e la chanson de Line RENAUD « un joli petit chien dans la vitrine » et nous gamins, nous ressassions après chaque couplets des « ouah-ouah »= ;, et pour lors, j’étais dans la peau d’un chien. Il y avait u= ne chanson qui nous gênait, c’était quand ma grand-mè= ;re disait « Ma grand-mère est enterrée, dans le jardi= n de monsieur le curé, un chien y a fait pipi dessus et elle est revenue toute nue »

 

 C’est à l’occasi= on d’un de ces repas que je m’aperçus que ma tante Zézette (Marie Louise), sœur jumelle de ma mère, avait un problème à l’un de ses doigts. En effet, il lui manquait les deux premières phalanges de son index. Cela m’inquié= ;ta beaucoup. Ma tante, voyant mes yeux fixés sur son handicap et mon embarras, mit fin à mes interrogations, en m’expliquant qu’un cochon lui avait mangé le morceau de doigt manquant. Je m’imaginais la scène et en était horrifié. Plus tard, ma mère m’expliqua que ma tante dans sa jeunesse avait e= u un panaris et que le médecin avait été dans l’obligation de lui amputer le doigt.

 

En évoquant cet= te histoire de cochon, je ne peux oublier à quel point les porcs de la ferme m’intéressaient. J’aimais les observer, les voir manger, courir, se vautrer dans la boue, se disputer. Les jeunes gorets, les yeux vifs courraient dans la cour de la ferme comme des jeunes chiots. Drôles quand ils se poursuivaient ou quand la nourriture leur é= ;tait distribuée dans la grande auge. Les gorets ne se contentaient pas de plonger leur groin, ils se jetaient hardiment dans l’auge, se faisant bousculer par les truies ou des porcs plus gros. On entendait des grognemen= ts, des couinements, c’était une authentique mêlée d&= #8217;où s’échappait un concert anarchique.

Avec ma grand-mè= ;re, nous avions élevé un porcelet qui, sans doute malade, avait été rejeté par sa mère. Ce petit cochon que nous avions baptisé Roudoudou, nous l’avions soigné, nourri = et il finit par devenir mon ami. Ce petit cochon grandit. Un jour où no= us étions venus passer quelques jours à la ferme, je courus voir= mon Roudoudou. Son local était vide. Je fis le tour de la ferme et toujo= urs point d’animal. Je questionnais ma grand-mère sur cette mystérieuse disparition et elle me répondit qu’elle ava= it donné Roudoudou à ma tante Zézette qui voulait un coch= on pour sa ferme. J’étais contrarié. J’estimais que = ma grand-mère n’avait pas eu le droit de donner mon ami sans mon consentement, car un ami c’est pour la vie. J’étais pour= tant très jeune à cette époque, quatre ou cinq ans, mais j’en voulus à ma grand-mère.

Quelques temps plus ta= rd, avec mes parents, nous avons eu l’occasion, pour un Noël, de nous rendre chez mon oncle Bertrand et sa femme Zézette qui habitaient une ferme près de COURBET. Quand nous sommes arrivés chez eux, je demandais à ma tante où était Roudoudou. Ma tante qui visiblement n’était pas au courant de la situation me demanda qui était ce Roudoudou. Je lui expliquais ce que sa mère m’avait dit. Alors, malgré mon jeune âge, je compris que mon ami ne faisait sans doute plus partie d= e ce monde. Je ne me souviens plus de ce que répondit ma tante, mais je s= ais que ce jour-là fut pour moi la première des injustices de ce = monde.

 

Dans ce pays, ce qui marquait le plus, c’étaient les grosses chaleurs d’été. Dès la fin de la matinée, nous sentions que quelque chose changeait. La douceur matinale laissait la place= au midi. Un parfum lourd envahissait le pays et l’atmosphère deve= nait chaude, laiteuse, peu fluide.

 

En début d’après midi, le soleil était à sa plus grande forme. Insolent, il labourait, pétrissait tout ce qui n’était pas mis à couvert. A l’extérieur d= e la propriété on aurait dit que la vie s’était arrêtée, assommée par les pressions suffocantes du sole= il devenu maître des lieux. La table de marbre où séchaient les figues, les toitures, les escaliers, les murs, tout était brûl= ant. Les terres semblaient être grillées par un feu ardent et invisible. Au lointain, le petit train que l’on voyait si bien le mat= in, n’était plus qu’un fin ruban noir, flottant au milieu d’émanations d’air vibrantes et fiévreuses.<= /o:p>

C’était l’heure de la sieste pour les humains comme pour les animaux. Un sile= nce monastique régnait dans la maison, à peine troublé par= le vol fou, bourdonnant et zigzaguant des mouches .= Dans l’écurie, les vaches, couchées dans un semblant de fraîcheur, ruminaient en lançant de temps en temps quelques gr= ands souffles de bien être. Les chiens de la propriété recherchaient l’ombre, haletants , la lang= ue pendante sur le côté. Les volailles à l’abri sous= les charrettes ou tout ce qui pouvait leur apporter un peu d’ombres s’épouillaient où caquetaient. Il fallait attendre, gue= tter l’accalmie du soleil pour sortir, revivre.

 

Cette chaleur que nous contestions d’alors me manque aujourd’hui. Chaleur de chez nous= , de mon village, de mon royaume, de mon enfance.

 

Parfois, sur la terras= se, en fin de soirée, nous pouvions contempler un ciel couleur grenadine, q= ui laissait supposer que le lendemain nous aurions du « SIROCCO&nbs= p;» , un vent chaud de ce pays d’Afrique du nord.

 

Enfant rêveur et nostalgique, j’aimais me réfugier, en fin de journée, d= ans le salon de la tourelle où je me laissais flotter dans un bonheur mystérieux. Les genoux sur le divan, devant la fenêtre, je rem= arquais que le soleil commençait à faiblir, fatigué d’av= oir trop caressé nos collines, il s’enfonçait tout doucement derrière elles, épuisé, rougeoyant, ivre d’avoir abusé du sang de notre terre. Tout doucement, il disparaissait, et j= e le regrettais. Avec lui, c’était une journée qui allait s’effacer, une journée qui ne serait plus qu’un souvenir, comme ces moments merveilleux qu’on voudrait conserver à tout jamais. Ce salon, où régnait une atmosphère paisible, semblait vivre en harmonie avec les couleurs orangées, cuivré= es et vacillantes du soleil. Parfois, une lumière pénétra= it à travers les vitres avec un éclat céleste, subtil, do= ux et interrogatif. J’ai en mémoire ce rayon lumineux qui caressa= it un petit cadre, suspendu dans un angle de mur, dont je conserve le souvenir= . Il renfermait une photo en noir et blanc, représentant un troupeau de bovins. Cela me fit une sensation étrange, sans pouvoir dire ce que = je ressentais. Sans doute, était-ce quelque chose de mystique. J’avais la sensation de vivre dans un lieu de quiétude tel un sanctuaire. Pourtant, mon esprit était troublé par cette fin = de journée. Au loin sur le plateau, face au soleil couchant, dans un ca= dre bucolique, j’apercevais quelques vaches en train de paître. Ce n’était pas les nôtres, déjà rentré= es.

 

Je changeais de fenêtre, et j’essayais, en apercevant mon village, d’ente= ndre ses lointains murmures, en m’imaginant les gens affairés dans leurs tâches. Les uns rentrant chez eux, les autres faisant la causet= te dans les rues, devant leur maison ou leur jardin. Je pensais à mes grands-parents paternels, en bas, dans leur H.L.M.. Ma grand-mère préparant le souper dans sa cuisine. Sur le tard, après le repas, mon grand-père irait jouer aux boules, sous l= es platanes, devant chez lui, pendant que ma grand-mère, assise sur une chaise, dehors, devant la fenêtre de la cuisine, accompagnée d'autres femmes, le tricot dans leurs mains, regarderaient jouer les hommes. Tandis que mes oncles paternels Aimé et Claude seront pour l’u= n, en train de briquer sa moto, pour l’autre de taper l’anisette et chahuter avec ses copains, au café de monsieur BAGUR, et parler du f= oot qui dans ce village avait une place non négligeable. Je pensais aussi à mes copains qui joueraient sans moi.

 

La cueillette des figu= es faisait partie du travail de la ferme. Nous installions une échelle = ou un escabeau sous un figuier. Toutes les figues arrivées à maturation étaient ramassées. Celles qui se trouvaient dans l= es branches bien trop hautes, étaient recueillies à l’aide d’une gaule de roseaux, dont une extrémité était= fendue en trois parties égales, puis écartées à l’aide d’une petite pierre placée dans l’axe de la gaule. Ensuite, les parties fendues étaient reliées entre ell= es par du fil de fer. Cela faisait penser à de petits entonnoirs. Il ne restait plus qu’à tendre la gaule, d’emprisonner le fruit choisi et de faire pivoter la gaule d’un demi-tour pour l’en décrocher. Les figues étaient ensuite alignées dans un panier plat en osier, dont le fond avait été au préala= ble tapissé de feuilles de figuier.

 

De temps à autr= e, après avoir gardé ses vaches dans les collines, mon oncle me rapportait des petites boulettes de gommes blanches, récupérées dans le cœur de fleur de chardons. Il faisait de moi un enfant heureux et je mastiquais ces gommes, de la mê= ;me façon que les chewing gums.

 

L’année où mon oncle Henri partit en vacances pour la France, c’est mon père qui s’occupa de la propriété. Un soir qu’il retournait à l’écurie, il me demanda de le suivre. Il avait dans ses mains un vieux sac en toile de jute et me dit ava= nt d’entrer dans l’écurie si je souhaitais voir la naissance d’un petit veau. Bien évidemment ma réponse fût positive. Pour lors, je talonnais mon père et vis qu’il avait = préalablement placé une balle de paille, juste derrière une vache, sur laqu= elle nous nous sommes assis. Il essaya, je pense avec une certaine mésais= e, de me dépeindre ce qui allait se passer, et me dit entre autre, que = je commençais à être disposé pour comprendre certai= nes choses. J’étais fier et en même temps un peu embarrassé p= ar mon audace des premiers moments qui commençait à s’étioler. Après quelques minutes écoulée= s, mon père m’annonça que la vache ne tarderait pas &agrav= e; vêler. En effet, je remarquais une chose inaccoutumée : se présentait, à une partie de l’anatomie de la vache que = je ne connaissais pas, deux petits semblant de sabots. Solidairement joints ceux-ci firent leur apparition, suivis des pattes. Mon père caressa = la vache, lui dit quelques paroles pour la tranquilliser et emmaillota avec le= sac de jute les petites pattes qu’il se mit à tirer avec fermeté et bon sens afin d’aider la vache à se délivrer.

Les deux petites pattes laissèrent place à un petit museau rose, suivit la tête puis tout le reste en une  gro= sse masse gluante pour enfin être complètement expulsé. Mon père sectionna le cordon ombilical qui reliait le veau à sa mère, dégagea le veau d’une partie de son enveloppe, lui sortit quelques mucosités de la gueule, prit le veau et le dé= posa devant sa mère qui le lécha instantanément à gr= ands coups de langue râpeuse sur tout son petit corps avec beaucoup de tendresse afin de lui ôter les derniers fragments de son enveloppe. Quelques minutes plus tard, mon père guida le veau, encore tout chancelant sur ses pattes, sous le pis de sa mère, lui mit un des trayons dans la gueule, que le veau avec inhabileté téta. Mon père me dit qu’il était très important que le ve= au prenne le premier lait. Plus tard, j’appris qu’il s’agiss= ait du colostrum. La vache avait mis au monde une petite génisse à= ; la robe marron clair avec la face blanche, que nous avions baptisée Francette. J’avais été impressionné par le déroulement de l’opération, mais fier que mon pè= re me prenne pour un homme et de ce secret qu’il me dévoila. Secr= et que j’avais l’impression de ne partager qu’avec lui.=

Ainsi, ce n’était plus le bon Dieu qui déposait les bébés animaux auprès de leur mère. Une partie d= e ma naïveté venait de tomber, et je m’étais senti gran= di. Complice avec mon père d’une chose que mes sœurs ignoraie= nt et voire peut-être ma mère ? Car si les bébé= ;s animaux naissaient comme je venais de le découvrir, les bébés humains ne pouvaient qu’être achetés dans les magasins spécialisés. C’est un peu plus tard q= ue je questionnais ma mère à ce sujet et qu’elle m’appris qu’il suffisait de mettre une petite graine du papa (d= ont j’ignorais la provenance) dans le ventre de la mère, et qu’une fois le bébé grandi il suffisait de dénou= er le nombril de la maman pour que l’enfant paraisse. A  9 ans je n’étais pas très évolué sur ce sujet. Entre 12 et 13 ans quand j’embrassais pour la première fois une fille sur ses lèvres, je crus que peut-être elle serait enceinte. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le mardi était = jour de marché. J’aimais être présent chez mes grands-parents paternels, ils habitaient juste en face du marché, ai= nsi nous pouvions voir les allées et venues des commerçants.=

 

Perchés sur leu= rs dromadaires, mulets, bourricots, chevaux de petites tailles, ils arrivaient= en longues caravanes ou en solitaires, mais il en arrivait de partout. Beaucoup descendaient des montagnes, venaient de tous les bleds environnants. De véritables clameurs s’élevaient. Cris des caravaniers, blatèrement des dromadaires, bêlement des troupeaux de moutons= et de chèvres, braiment des mulets et bourricots.

Un bruit sourd et sec montait d’un sol résonnant, martelé par les sabots des bestiaux. En plus de leur cavalier, les bêtes transportaient des pani= ers qui leurs cintraient les flancs, chacun de ces paniers était rempli = de marchandises tels que légumes, volailles, épices. Pour d’autres c'était des tapis ou différentes étoffe= s.

 

Tous arrivaient devant l’entrée du marché et s’engouffraient par l’unique porte. Chacun d’eux essayait de trouver une place pour loger sa monture. C’était un véritable brouhaha. Certai= ns dromadaires, qui ne voulaient pas se baisser, donnaient de véritables difficultés aux cavaliers qui souhaitaient descendre de leur monture. Alors s’en suivaient quelques coups de gueule, quelques coups de bâton, et les bêtes, dans des blatèrements rageurs finissaient par se coucher. Les bourricots, parfois, se mettaient à braire, levant leur museau vers le ciel et se laissaient aller dans de long= ues lamentations.

Les moutons et chèvres étaient rassemblés par petits groupes, chaque propriétaire les proposant à la vente.

 

Certains « = Indigènes » transportaient sur leur dos des carcasses de moutons, aux toisons toutes sanguinolentes et dont la tête traînant au sol laissait des tra= ces sur la chaussée, qui venaient d’être égorgé= ;s dans une pièce réservée à cet usage.=

Sur la grande place du= marché, chaque commerçant s’installait. Assis à même le s= ol, les commerçants avaient dressé leurs étalages d’où s’élevaient des petites pyramides de différentes épices, de gâteaux de semoule et de miel.

Les discussions allaie= nt bon train entre commerçants et clients. Le marchandage était de coutume. Des femmes voilées, transportaient sur leur tête des petits paniers en roseaux tressés, remplis de légumes, fruits= etc...

 

Mon grand-père paternel, un couffin dans une main, un filet dans l’autre, partait ai= nsi au marché. Il pénétrait de ce fait au milieu de tous c= es marchands qu’il connaissait pour la plupart. Il leur parlait en arabe, échangeant des gentillesses, parfois des reproches quand le commerçant exagérait sur les prix. Alors mon grand-père marchandait, rigolait et faisait semblant de partir et le commerçant= qui ne voulait pas perdre son client de le rattraper et lui proposait un meille= ur prix.

 

Mon grand-père serrait la main à plusieurs de ces commerçants et chacun d’eux portait machinalement une main à la poitrine qu’il ramenait ensuite en avant en disant en arabe « LA BESSE &ra= quo; et à mon grand-père de répondre « LA BESSE » (qui veut dire ça va bien !). Mon grand-père qui savait très bien parler l’arabe, engagea= it alors de petites discussions avec eux. Puis, il continuait sa tourné= e, remplissant son couffin, suivant une liste de commissions parfois établie par ma grand-mère ou bien choisie par lui suivant la qualité des produits exposés. Alors, le couffin se remplissai= t de beaux légumes frais, de beaux fruits tels que melons, pastèqu= es, nèfles. Ensuite, il achetait une paire de poulets ou un lapin vivant. Pour certains produits comme la viande, il préférait aller ch= ez son boucher, sans doute estimait-il que la viande était plus saine.<= o:p>

L’ét&eacu= te;, une ou deux fois par semaine, il allait acheter = un bloc de glace chez le glacier qui était accolé au café BAGUR qui, à l’aide d’une pique en fer, décrochait d’une grande poutre de glace un petit bloc que mon grand-père glissait dans son filet. Ce bloc de glace était placé par la suite dans une glacière située dans leur cuisine et qui permettait ainsi de conserver aux frais certains aliments périssables ainsi que des bouteilles de bière.

 

Ma grand-mère paternelle était une personne très soignée pour sa mai= son. Chaque pièce était soigneusement entretenue, aucune poussière n’était tolérée. Bonne cuisinière, je me souviens de ses petits ragoûts qu’elle faisait revenir dans sa cocotte en fonte. Elle versait un peu d’huile qu’elle faisait chauffer, puis elle versait quelques petites échalotes qu’elle faisait revenir et ajoutait un morceau de mo= uton ou de boeuf, cela sentait bon. Parfois nous plongions un petit morceau de p= ain au fond de la cocotte que nous nous empressions de savourer. Ma grand-mère utilisait souvent de la sauce tomate. Parmi ses recettes, nous pouvions trouver les flans, le pain perdu, les poires au vin et une ch= ose que je détestais c’était le flan au riz.

Les après-midi,= comme chez ma grand-mère maternelle, nous faisions une petite sieste. Ensu= ite, ma grand-mère se mettait à faire son repassage dans la cuisin= e. Elle disposait de trois fers en fonte qu’elle mettait à chauff= er sur une cuisinière à charbon. Puis à tour de rôl= e, dès qu’un des fers était suffisamment chaud, elle l’employait en le faisant glisser sur un torchon humidifié qui couvrait le vêtement à repasser. Je trouve que ma grand-mère avait beaucoup de courage lorsqu’elle repassait l’été, où à l’extérieur une chaleur torride tapait contre les façades de la maison.

 

Les vacances passées chez mes grands-parents paternels, étaient bien différentes = de celles vécues à la ferme. La discipline était de rigue= ur. Bien évidemment il n’était pas question de monter sur l= es fauteuils avec les chaussures ou d’étaler une armée de petits cailloux dans la salle à manger, ni même de s’amu= ser avec l’eau du robinet. L’appartement de mes grands-parents était toujours bien propre, et nous enfants, comme les adultes, devi= ons continuellement avoir une tenue correcte. Mes grands-parents sortaient de la campagne, mais pour ma grand-mère la propreté était essentielle. Nous avions les heures bien réglées. La grâ= ;ce matinée n’était pas tolérée, alors venait l’heure du petit déjeuner, de la toilette après que cha= cun des enfants ait lavé son bol de lait. Puis arrivait l’heure de faire les courses avec mon grand-père. Au retour, nous avions droit = de nous amuser sur le trottoir devant la maison. Un peu avant midi nous aidion= s ma grand-mère à mettre la table. Au carillon qui se trouvait dan= s le couloir sonnait midi, l’heure du repas. A table nous devions nous ten= ir correctement, les coudes n'étaient pas autorisés et le silence était de règle pour nous enfants tant que la parole ne nous était pas donnée. Après le repas, venait l’inévitable petite sieste. Arrivait ensuite mon moment tant redouté, celui des devoirs. Mon grand-père tenait à ce= que j'aie une instruction suffisante afin de ne pas devenir un « âne » comme il disait. J’avais horreur d’étudier, dès qu’il s’agissait de la géographie et qu’il me fallait réciter sans fautes les départements Français, de nommer le lieu où prenait sa source tel fleuve, cela me faisait bailler et m’ennuyait beaucoup. Evidemment, cela n’était pas du tout du goût de mon grand-père qui me réprimandait. Venait ensuite le calcul ment= al, puis l’inévitable dictée criblée de fautes d’orthographe ; rêveur, je laissais ma plume parler un lan= gage qui était mien, écrivant un sens de mots par un autre, du style :- demain je me lèverai de bonne heure ; par : - demain, je me lèverai de bonheur. Alors, mon grand-père se fâchait, et je me mettais à pleurer, et regrettais mon petit royaume avec ses vaches, ses chiens et ses cochons. Enfin sonnait l’h= eure de la libération, et au sourire de revenir. Ma grand-mère me donnait une tranche de pain perdu ou une tranche de pain avec une barre de chocolat et je partais heureux, traînant derrière moi mon chev= al de bois attelé à sa carriole, m’amuser avec mon copain = Riri qui habitait quelques maisons plus loin.

Après le repas = du soir, nous pouvions nous amuser dans la cuisine, pendant que ma grand-m&egr= ave;re faisait la vaisselle. Mes oncles Aimé et Claude s’amusaient de nous en nous taquinant, alors les rires s’élevaient et mon grand-père qui était dans la salle à manger de rouspéter, car il ne pouvait écouter les informations données par le vieux poste radio et cela faisait rire ma grand-mère. Après la vaisselle, nous nous rendions dans la sa= lle à manger. Ma grand-mère se mettait à tricoter, assise = sur une chaise près de mon grand-père, et moi à califourch= on sur le rebord du canapé en cuir où se trouvait mon grand-père qui écoutait une pièce diffusée &agr= ave; la radio. Arrivait l’heure d’aller au lit, alors mon grand-père nous prenait un moment dans son lit et nous racontait des histoires qui nous ravissaient. Il terminait toujours ses histoires de la même façon. Il nous disait : - elles étaient bien = ou pas ces histoires ? Nous étions toujours embarrassés, ca= r, si nous répondions que les histoires étaient bien, il nous répondait : - si elles étaient bien alors ça suff= it pour aujourd’hui !. Et si nous lui répondions que les histoires n’étaient pas bien, il nous disait : - puisse que mes histoires ne sont pas bien je ne vous en rac= onte plus ! Alors, nous partions nous coucher en grommelant, et entendions notre grand-père rire malicieusement dans son lit. Quand nous étions au lit, il ne fallait plus chuchoter, sinon nous entendions le grand-père siffler afin de nous faire taire ou dire : - si je me lève.... ! Lorsqu’il n’y avait pas suffisamment de place pour coucher toute la famille, je dormais entre mes grands-parents et là bien évidemment les histoires se prolongeaient.=

Une ou deux fois par semaine, mes grands-parents faisaient la lessive. Le lavoir se situait sur = la terrasse de l’H.L.M. Je revois ma grand-mère la tête plongée vers le bassin, une brosse à la main et frotter les bleus de travail de mon grand-père <= o:p>

 

 

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