MIME-Version: 1.0 Content-Type: multipart/related; boundary="----=_NextPart_01C655BD.1E8B1890" This document is a Web archive file. If you are seeing this message, this means your browser or editor doesn't support Web archive files. For more information on the Web archive format, go to http://officeupdate.microsoft.com/office/webarchive.htm ------=_NextPart_01C655BD.1E8B1890 Content-Location: file:///C:/267B59B6/StJv.htm Content-Transfer-Encoding: quoted-printable Content-Type: text/html; charset="us-ascii"
=
Les pierres parlent à ceux qui savent =
les
entendre (A. France)
J’étais né impressionnabl=
e et
sensible. Les choses extérieures, à peine aperçues,
laissaient une vive et profonde impression en moi ; et quand elles ava=
ient
disparu de mes yeux, elles se conservaient présentes dans ce qu̵=
7;on
nomme l’imagination. Mon âme animait ces images, mon cœur =
se
mêlait à ces impressions. Il ne me manquait que la voix. Cette
voix que je cherchais et qui balbutiait sur mes lèvres d’enfan=
t,
c’était la poésie.&nbs=
p;
(A. de Lamartine)
Je savais que je vivais
quelque chose de merveilleux. Chaque moment de mes journées é=
tait
exceptionnel, mais aussi je souffrais quelque chose qui allait dispara&icir=
c;tre
et dont il ne me resterait que des souvenirs.
J’aurais aim&eac=
ute;
retenir le temps, le garder dans mes bras, le humer. Mais cela aurait pu
ressembler à du délire
Aujourd’hui, mal=
habile
pour ne pas avoir su hier tout emporter, je ne peux que peindre ce qui me r=
este
de mes souvenirs à travers une écriture fade, sans couleur, s=
ans
senteur, sans mouvement ni son.
Quand j’ouvre mes
yeux, je ne peux m’imaginer que mon petit château a fermé
ses portes. Déserté de ses habitants, seul, à
l’abandon, dont les pierres hantées par nos fantômes, gardent l’empreinte de notre passage.
De cette terre d'o&ugr=
ave;
nous avons été chassés , de mon village duquel nous av=
ons
été séparés, de ma maison à laquelle nous
avons été arrachés, de cette période de ma vie
où le parfum du passé est resté imprégné
dans mon esprit, j’essai de n’en conserver que le sublime. Enfa=
nt
à l’esprit très sensible, au cœur noueux comme un =
cep
de vigne, j’ai su observer avec beaucoup d’attention les choses
simples et fortes de la vie qui ont fait naître en moi toutes ces ima=
ges.
En sont volontairement exclus les moments vraiment tragiques. Je m’en
suis tenu à essayer de peindre les images poétiques, afin
d’en conserver le plus longtemps possible le souvenir, le rêve =
d’une
enfance merveilleuse, où nous, enfants, protégés dans =
un
cocon soigneusement filé par nos parents, vivions un avant-goû=
t du
paradis. Rêver, continuer, car le rêve c’est encore croir=
e au
Père Noël
A ma grand-mère
maternelle, à mon oncle Henri, mes grands-parents paternels, à
mon père et ma mère, à mes sœurs Christiane et
Ghislaine, en souvenir de ce bonheur d’enfance, de ses joies qui
perdureront encore longtemps dans ma mémoire et qui hanteront &agrav=
e;
jamais mon esprit.
Mais où est donc
passé ma maison, celle où je suis né. Celle dans laque=
lle
mes yeux se sont ouverts pour la première fois.
Cette maison ou plut&o=
circ;t
ce petit château, sorti tout droit des contes de fées, petit
paradis bâti dans le djebel Algérien.
Bâtisse rayonnan=
te de
chaleur qui s’élevait fièrement et courageusement sur l=
es
hauteurs de Ménerville, mon village.
Maison de mon enfance,=
de
mes rêves, de mes jeux, et dont il ne me reste aujourd’hui que =
les
souvenirs d’un temps passé mais pourtant si présent. Al=
ors
je ferme mes paupières et j’écoute, j’écou=
te
mes souvenirs qui inondent mes yeux fiévreux de gouttelettes chaudes=
. Ma
plume accrochée à ma main vacillante, se met à compose=
r de
mes souvenances.
Je me souviens l= orsque, avec mes parents et mes sœurs, nous prenions à la gare d’Alger le petit train qui nous menait à = Ménerville, petit village aux limites de la grande la Kabylie, notre Oncle Henri «Tonton Henri» nous attendait avec son mulet rouge du nom de «Cadet». Toute la famille montait sur la charrette en bois d’un ton vert fané qui était constituée d’= un essieu à deux roues montées de pneus et d’un brancard en fer. La banquette avant était légèrement rehauss&eacut= e;e pour la place du cocher et d’un ou deux passagers= et d’une plate-forme arrière munie de deux ridelles où = le reste de la famille prenait place. Alors, mon oncle tirait sur les rê= nes de cuir qu’il faisait claquer sur la croupe de Cadet afin de le faire trotter.
J’étais h=
eureux
quand je pouvais m’asseoir près de mon oncle aux airs de
bohème qui d’une manière indolente besognait admirablem=
ent
bien cet attelage.
Lorsque nous traversio=
ns le
village, j’osais espérer que le monde entier nous regarde,
qu’il nous jalouse, car, nous ne pouvions qu’être les seu=
ls
à nous faire charroyer d’une manière aussi romanesque v=
ers
ce berceau natal. Nous empruntions la route nationale 5, rue principale du
village où se situaient la plupart des petits commerces, ensuite nous
passions devant la place du village, nous tournions un peu plus loin sur le
pont de chemin de fer et surgissions peu après devant le march&eacut=
e;
et les H.L.M. de la Sablière où demeuraient mes grands-parents
paternels, puis il fallait donner l'assaut à une côte assez
pentue, au bord de laquelle se situait l’école
ménagère et bien d’autres habitations dont celles du
docteur Choussat et le chauffeur de taxi Ra&ium=
l;s,
que notre pauvre mulet Cadet devait appréhender. Au-delà de c=
ette
côte, d’environ 300 m, l’expédition atteignait un
chemin de terre où nous étions tous plus ou moins
brinquebalés dans notre charrette. Nous franchissions un petit pont,=
qui
enjambait un ravin aux profondeurs qui me semblaient inquiétantes, s=
ous
lequel coulait un oued, et aux dires de mon oncle, plus d’un attelage=
y
avait basculé. Puis de nouvelles côtes et courbes pour enfin
découvrir sur la gauche notre doux royaume qui me captivait tant. Al=
ors
à notre approche et autant de fois que je pénétrais en=
ces
lieux, mon petit cœur se mettait à battre de ravissement.
Un colossal portail de=
fer,
un brin rouillé, de couleur orange défraîchie par les
saisons, récusait l’accès à tout intrus. Mon
père descendait de la charrette et ouvrait les deux vantaux de ce
portail dont la hauteur devait atteindre le firmament. Là, ma
grand-mère nous attendait bras ouverts pour nous fêter.
Ce portail, une fois o=
uvert,
exhibait une grande cour de ferme, située au nord, qui nous accueill=
ait
dans une atmosphère réconfortante. Quand nous
pénétrions je sentais que notre ferme reflétait le bon=
heur
et mon âme s’emplissait de joie. Je ne suis pas certain que mes
sœurs se rendaient compte de cet instant
idyllique qui nous était offert. Dans cette cour vivaient une centai=
ne
de volailles, des canards à la marche dandinant=
e,
des poulets sautillants, des coqs fiers dressés sur leurs pattes au
milieu de poules qui tricotaient le sol de leurs pattes folles.
Sur la droite se tenait
l’étable que nous appelions plus communément écu=
rie
devant laquelle trois ou quatre grands mûriers se dressaient dignemen=
t,
et, entre eux une longue auge où petits et gros porcs venaient
s’empiffrer de pitance à certaines heures de la journée.
Accolé à l’écurie, un petit bâtiment ou
logeaient les mulets et dans le prolongement de l'écurie un long
abreuvoir permettait aux vaches et aux mulets de se désaltére=
r.
Le trop plein laissait fluer l’eau en un petit ruisseau qui faç=
;onnait
une barbotière. Bouses et boue associées donnaient un aspect
noirâtre, à forte émanation âcre, qui offrait
l’opportunité aux canards de barboter et aux porcs de s’y
vautrer. Au milieu de cette fange, des pierres étaient disposé=
;es
ça et là et nous, enfants, sautions d’une pierre &agrav=
e;
l’autre, tels des équilibristes, en évitant de plonger =
un
pied.
Juste en face, à
l’ouest, un long poulailler dont une partie servait naguère de
bergerie, où cohabitaient à même le sol des lapins et
cochons d'indes et l'autre partie centralisait des pigeons. A sa droite, un
grand enclos qui jouxtait la cour ou s’élevait une porcherie e=
t au
nord un grand hangar servant pour le stockage de la paille et qui servait a=
ussi
de colombier. A gauche du poulailler un portail séparait une petite
fontaine où nous aimions nous égayer.
Au sud, une habitation=
nous
ouvrait ses entrailles. Nous passions d’abord par une mystérie=
use
et silencieuse verrière, aux soubassements de br=
iques,
vitrée sur deux côtés et dont certains carreaux avaient
été remplacés par de vulgaires planches de bois ou
cartons. A gauche de la verrière, une porte s’ouvrait sur une =
cour
qui était délimitée par la maison d’habitation s=
ur
la droite et a l’opposé une ancienne
volière servait de poulailler. Une buanderie vétuste faisait
suite, le sol en terre battu et les murs dont certaines pierres plus ou moi=
ns
disjointes, procurait un esprit primitif, c’est là que ma
grand-mère faisait sa lessive quand ce n’était pas tout
simplement dans un grand baquet en zinc posé sur des briques et
placé au milieu de la cour. Puis face à l’habitation un
grand mur un peu délabré délimitant la
propriété faisait front à une nature secrète. D=
ans
l’angle qui faisait face à la buanderie, des escaliers aboutis=
sant
dans une cave située sous la maison. L’ensemble des toitures d=
e la
propriété était en tuiles plates d’un rouge
fatigué par le soleil d’Afrique du Nord. De la verrière,
nous entrions dans la maison, une grande cuisine toute simple mais vraie, q=
ui
sentait le fromage blanc, la fumée de la vieille cuisinière
à bois charbon de couleur noire, et principalement l’eau
savonneuse, car il y avait en permanence, dans l’évier, une
bassine en fer émaillé remplie d’eau, avec un savon noir
rabougri à proximité. Une merveilleuse senteur de vache, que =
le
vieux fauteuil, recouvert d’un tissu usé bleu rayé de j=
aune
et de rouge, conservait jalousement. C’était sur lui que mon o=
ncle
Henri se délassait lorsqu’il rentrait de l’écurie=
. Ce
fauteuil se tenait à droite en entrant dans la cuisine. A l’en=
coignure
du fauteuil, un placard imposant de couleur marron rouge, avec de maintes
petites portes coulissantes à poignée laiton, couvrait tout un
pan de mur. Un des compartiments du placard, à porte grillagé=
e,
servait de garde manger. A une certaine période, ce garde manger ava=
it
servi de logis à des souris blanches. Face à
l’entrée, se dressait tout le plan de travail où ma
grand-mère, « mémé », cuisinait.=
Ce
plan de travail appelé potager était habillé de petits
carreaux rectangulaires marron et blanc, entre lequel venait s’interc=
aler
la cuisinière. Sous le plan de travail et l’évier, des
petites portes grillagées fermées des espaces de rangement,
où ma grand-mère logeait parfois un poulet malade afin
qu’il retrouve, dans cette maison de repos, une certaine santé=
.
A gauche de
l’évier, une grande fenêtre s’ouvrait au levant, f=
ace
à la cour à laquelle nous avions accès par la
verrière et où séjournait une multitude de volailles
sélectionnées par ma grand-mère pour avoir
été reconnues comme bonnes pondeuses ou de bonne race. Deux v=
ieux
chiens côtoyaient ces volailles, l’un d’eux s’appel=
ait Brusco. De cette fenêtre, nous pouvions apercev=
oir
qu’en fond de cour, un grand mur nous séparait du monde
extérieur.
A gauche de
l’entrée, un bahut trapu et vieillot badigeonné d’=
;une
peinture blanche servait aux ustensiles de cuisine. Sur ce dernier
trônait un vieux poste radio. Une grande table toute simple
siégeait au centre de la pièce et sur celle-ci il y avait
toujours une assiette contenant un buvard saupoudré d’un peu de
sucre et nous avions enfants, interdiction de toucher à ce poison qui
était destiné à zigouiller malheureusement de pauvres
mouches, qui comme moi devaient sûrement être satisfaites de vi=
vre
près de ma grand-mère et de mon oncle dans un milieu aussi
féerique. Cette table avait aussi deux tiroirs, l’un contenait
fourchettes, cuillères, couteaux, l’autre un marteau, du fil, =
de
vieux bouchons et plein d’autres vieux trésors.
Au-dessus du fauteuil,
fixé au mur, un petit panneau de bois sur lequel étaient
alignés des petits clous servait de porte-clés. Une bobine de=
ficelle
était suspendue à l’un de ces clous, et à
l’intérieur de la cavité de la bobine une guêpe a=
vait
fait son nid. Moi, poussé par ma grand-mère, je contemplais
debout sur le fauteuil, sans me déchausser car tout était per=
mis,
l’ouvrage de l’insecte.
La cuisine donnait
accès dans un long couloir, obscur dans sa totalité, et
relativement frais, qu’on appelait « corridor »
(j’étais persuadé qu’un loup ou des petits esprits
malins s’y cachaient) Je n’avais pas beaucoup d’effroi en
m’imprégnant de l’esprit qui régnait dans ce lieu
puisqu’il faisait parti d’un organe vital de mon domaine et de =
mes
zones de jeux. L’une des extrémités du couloir donnait =
sur
les WC, l’autre nous menait vers différentes pièces de =
la
maison.
Au bout de ce couloir,=
un
autre venait à sa rencontre que nous traversions, nous aboutissions =
dans
une grande pièce qui était la salle à manger. Sur la
droite, un grand buffet qui abritait toute une vaisselle réserv&eacu=
te;e
aux jours auréolés, des bouteilles d’apéritif, a=
insi
qu’une bouteille de sirop d’orange réservé aux
enfants. Sur une petite table, derrière la porte vitrée du sa=
lon,
reposait un vieux poste radio qui avait rendu l’âme et sur lequ=
el
un magnifique petit cheval noir en bronze se dressait fièrement. En
hauteur, une petite ouverture toute ronde, appelée œil de
bœuf, s’ouvrant sur une petite cour extérieure, permettait
d’apporter un peu de luminosité et d'air. A gauche, la salle
à manger aboutissait dans un petit salon où un antique et
vénérable piano attendait avec sans doute beaucoup d’ap=
préhension
que nous, enfants, le fassions vibrer tel un harmonium dans une
Cathédrale. D’ailleurs chiens et chats étaient de la
même façon de vertueux musiciens dès que nous leur posi=
ons
un biscuit ou un carré de chocolat sur le clavier. Que de belles
cérémonies nous élaborions avec mes deux sœurs da=
ns
ce qui nous paraissait être un sacro-saint lieu de Bondieuserie.
La porte de ce salon
s’ouvrait vers l’extérieur sur une grande terrasse,
où plusieurs marches nous permettaient de descendre vers un jardin e=
nchanté.
Ancrée à cette porte, une petite main de bronze permettait aux
visiteurs de se signaler.
La salle à mang=
er
donnait sur un autre salon, une des deux tours du «château&raqu=
o;.
La pièce était solennelle, même si lors de chutes de
pluies, il convenait de mettre quelques bidons ou bassines au sol pour
recueillir l’eau des gouttières. Trois fenêtres spacieus=
es
s’ouvraient sur des directions opposées. Nous pouvions ainsi
contempler de l’une d’elles, notre petit village niché d=
ans
la vallée, l’autre de
collines relativement arides et de la troisième l’autre aile du
château.
Quand j’é=
voque
mon château, c’est avec le souvenir d’un enfant d’u=
ne
dizaine d’années, sensible au plus profond de lui-même,
rêveur et imaginatif à l’extrême.
Toutes les portes
intérieures et extérieures de la maison étaient peinte=
s en
noir mais les ravages du temps avaient altéré la teinte des
menuiseries extérieures qui étaient plus ou moins rongé=
;es,
ridées. Dans ce salon, un colossal canapé habillé
d’une vieille étoffe de velours verdâtre sur lequel nous
pouvions nous étendre allègrement sans aucune précauti=
on
d’usage supportait une abondance de petits coussins.
Devant l’une des
fenêtres, celle qui mirait au midi, se dressait une table sur laquelle
reposait en toute quiétude une multitude de plantes vertes que ma
grand-mère choyait avec intensément de tendresse et qui donna=
it
une empreinte poétique à ce salon. Au sein de ces plantes viv=
ait
une mante religieuse, qui, d’après mon oncle, aurait boulott&e=
acute;
son mâle. Accolé à une jolie bibliothèque une
commode. Sur celle-ci un vase contenait des épis de blés aux
longues tiges sur lesquels étaient cramponnés une multitude de
cocons de vers à soie. Au cœur de la pièce une table ron=
de
ou toutes sortes de bibelots s'étalaient, en particulier une bonbonn=
ière
enrichie de bonbons et de chocolats. D’après ma mère,
certains chocolats n’étaient plus très frais, dans ce
cas-là, c’était notre grand allié et
inséparable Chonchon, un brave chien jau=
ne et
blanc, qui bénéficiait de
l’aubaine.
Il faut dire que dans =
cette
maison, chiens et chats étaient rois, il n’y avait pas une cha=
ise
ou un fauteuil sans qu’un chat ne l’occupât, pas un tapis=
de
libre où un chien ne ronflait. C’était étonnant
d’observer le bien-être de ces bêtes. Parfois ma mè=
;re
protestait, ne comprenant pas pourquoi ma grand-mère laissait les ch=
ats
faire leurs besoins dans des caisses garnie de s=
able
situées dans le couloir. Ces caisses de fer blanc avaient
été récupérées au préalable &agra=
ve;
la boucherie charcuterie GALL commerçants de M&=
eacute;nerville. C’était incontestable=
, cela
sentait le pipi de chat voire plus, mais pour ma part, je ne considé=
rais
pas cela comme rebutant, ceci faisait partie de mon univers où rien =
ne
devait changer afin d’en conserver mes repères. Un enfant vit =
des
choses, ressent des choses que beaucoup d’adultes finissent par oubli=
er
avec le temps. Un enfant vit dans son monde a lui, il voit ce que
l’adulte ne voit plus. Je me rappelle très bien qu’un so=
ir
chez mes parents à Mouzaïaville, vi=
llage
ou nous avons habité pendant une certaine période, mon
père était venu nous chercher ma mère et moi (je pense=
que
mes sœurs n’étaient pas encore nées) pour nous mon=
trer
que dans la petite cour derrière notre maison, sur la poubelle, une
ribambelle de souris avaient envahi les lieux. Eh bien je peux assurer que
toute la famille de souris était habillée, du père aux
enfants en passant par la mère avec un fichu sur la tête. Ce
n’était pas un rêve ! je=
les
ai vus.
Nous ressortions du pe=
tit
salon, de la salle à manger, et reprenions le fameux couloir aux cha=
ts
qui menait tout au fond à droite à la chambre de ma
grand-mère. Un lit assez grand et haut était placé face
à une fenêtre qui s’ouvrait à l’Est, et c&o=
circ;té
extérieur, sur la cave, il y avait là aussi une infinit&eacut=
e;
de plantes, en particulier grimpantes, qui offraient un cachet ombrageux tel
une tonnelle.
Sous son lit, ma
grand-mère avait fagoté un grillage afin que les chats ne
viennent poser culotte, expression assez imagée de mon aïeule. A
coté du lit, une table de nuit à tiroir dans laquelle ma
grand-mère mettait sa boîte de bonbons, d’où elle
prélevait une sucrerie à laquelle nous avions droit avant de
prendre le sommeil.
Ayant commencé
à écrire ces quelques souvenirs de ma jeunesse, ma mèr=
e en
est toute retournée, vexée que je décrive certains
passages. Me laissant entendre que ceux qui me liraient pourraient
penser que nous étions une famille de romanichel et qu’il sera=
it
préférable de ne pas citer notre famille. Je peux la comprend=
re
puisqu’elle descendait d’une famille que je dirais bourgeoise. =
Pour
ma part, ne l’étant pas de par mon père, je continue do=
nc.
Un seau de nuit, qui ne
servait pas aux chats mais à ma grand-mère, trônait au =
pied
de son lit. Une petite encoignure où un lavabo servait pour la toile=
tte.
Au sol, un récipient pour étancher la soif des chiens. Une nu=
it,
comme je dormais à côté de ma grand-mère et
qu’une envie soudaine de boire me pris, je bus l’eau de la game=
lle
des chiens, car le robinet du lavabo était bien trop haut pour moi
à cette époque.
Je me souviens, que ma
grand-mère peignait toujours, avec beaucoup de soins, ses longs chev=
eux
blancs avant d’aller au lit. Elle me disait que si les petits anges
venaient la chercher pour l’emmener au ciel, il fallait qu’elle
soit belle. Elle était pour son âge, encore une très be=
lle
femme. Assez grande, au regard ensoleillé par deux beaux yeux bleu
à la fois rieurs, moqueurs et étonnés. Ma mère
avait hérité de sa mère ces yeux bleus qui étai=
ent
aussi transparents que l'eau d'une fontaine.
Dans cette chambre de =
couleur
rose, une quantité de bibelots étaient posés sur une
commode, notamment un chien de plâtre qui tenait dans sa gueule un pe=
tit
panier. Au-dessus de la porte d’entrée se dressait un cadre
enfermant une grande photo de mes arrière-grands-parents et encore b=
ien
d’autres photos d’enfants qui étaient
décédés jeunes, comme la petite
« miss » cinq ans&nb=
sp;
sœur de ma grand-mère qui l’évoquée
souvent lors de la prière du soir. Cette petite
« miss » qui se sentait probablement mourante aurait =
dit
à son père malheureux : - Papa il pleut dans ton cœ=
ur.
De cette chambre, nous
avions accès à l’autre tourelle du château, et,
c’est dans ces lieux que ma mère me mit au monde le 19
février 1951 vers midi, après un accouchement
problématique (rêveur, et déjà distrait, je me
présentais, comme disait ma grand-mère, la lune en devanture)=
. La
pièce était merveilleuse, avec le même nombre de
fenêtres que l’autre tourelle du salon. Il y avait de tout, lit=
s,
commodes, cages à oiseaux, berceau ainsi qu’un petit recoin qui
servait de salle de bain. Dans l’une des commodes, il y avait un tiro=
ir
débordant de sacs à main qui faisaient la joie de mes deux
sœurs. Pour ma part, je découvris une sacoche qui me convenait =
et
m’était baptisé facteur. Onze ans plus tard, je dormis =
avec
mes sœurs pour la dernière fois, dans cette même tourelle,
avant l’exode pour la France. Ce fut l’une des nuits les plus
tristes de ma vie.
A une certaine
époque, nichait dans cette tourelle une ribambelle de canaris et
chardonnerets en toute liberté au milieu des meubles et des lits. Ma
grand-mère n’avait pas attendu une certaine chanson pour ouvri=
r la
cage aux oiseaux.
Au pied des
tourelles=
, une
terrasse donnait accès sur un large escalier, ressemblant à c=
eux
des contes de fée, aux multiples marches qui descendaient vers un ja=
rdin
enchanté où se côtoyaient toutes sortes de plantes, de
fleurs aux mille couleurs et senteurs enivrantes au tour desquelles virevol=
tait
une noria de papillons. Un bassin de forme octogonale trônait en ces =
lieux
enchantés, et une profusion de poissons rouges vivait dans une eau
verte, colorée par la mousse. Un jet d’eau central paraissait
confirmer le caractère de notre petite ferme. Ce plan d’eau
faisait partie de nos jeux. De ce jardin, nous pouvions contourner la maison
par sa droite.
Devant la tourelle
exposée sud sud-ouest, un grand figuier usé par les printemps=
de
la vie semblait savourer la place de choix que les hommes lui avait attribué. A sa souche, une ancienne niche
bâtie de briques et de tuiles, en partie disloquées donnait une
signature romantique au lieu, qui semblait cependant délaissé=
par
les chiens de la maison. Sur le côté, au couchant, une petite =
cour
palissadée par un muret juché d’une clôture
barreaudée de fer ainsi qu’un petit portillon donnant acc&egra=
ve;s
dans celle-ci. Dans cette cour, une autre habitation plus modeste
s’accolait à la propriété. La porte du couloir a=
ux
chats s’ouvrait dans cette petite cour et dans ce prolongement venait=
la
petite habitation. Une porte verte dont la partie haute encadrée par=
une
moustiquaire s’ouvrait dans une
pièce qui servait de débarras. Que de trésors! =
Des
caissettes contenant de nombreuses petites bouteilles de verre vides, toutes
sortes de boîtes de conserves désemplies, de vielles revues
poussiéreuses, ainsi que cette senteur d’oranges momifié=
;es
qui embaumaient l’enceinte. De cette pièce, on accédait
dans les salles attenantes dont je n’ai plus grande mémoire si=
ce
n’est une chambre donna=
nt
sous un hangar. Parfois avec mes parents et mes sœurs, nous y dormions=
. Je
me souviens que certains après midi, où la sieste était
requise dans ce pays, j’entendais les poules caqueter. Je pouvais les
apercevoir derrière les persiennes, elles se tenaient à
l’ombre, de temps à autre s’ébouriffant dans un t=
rou
creusé dans la terre au milieu d’un nuage de poussière,
d’autres fois perchées sur une vieille voiture hors d’us=
age,
qui avait appartenu à mon arrière-grand-père et dont je
raffolais être le chauffeur imaginaire mais que malheureusement les
poules maculaient de leur fiente. Il y avait aussi quelques dindons à=
; la
queue en éventail qui semblaient se moquer de moi en devinant ma
présence et qui lançaient des glous glous goguenards J’estimais que ces volailles q=
ui
vivaient une certaine indépendance avaient beaucoup d'aubaines en
n’étant pas obligées de souffrir une sieste que le monde
des adultes nous imposait.
A l’heure de la
sieste, toute la propriété était au délassement
à l’exemple de mon oncle Henri étendu sur son lit,
qu’une moustiquaire soutenue en hauteur recouvrait.
L’été, dans cette maison à la quiétude
à peine troublée par le bourdonnement des mouches, la
fraîcheur des pièces confortait l’esprit des lieux. Un
après-midi, me réveillant d’une généreuse=
sieste,
mon oncle et ma grand-mère étaient déjà à
l’extérieur, je descendis de ma couche et traversais le long
couloir sombre et frais des chats, puis, je voulus emprunter le
«corridor» qui menait à la cuisine afin d’y retrou=
ver
mon entourage. Je décidais de prendre mon héroïsme &agra=
ve;
deux mains et de pénétrer dans le corridor où
régnait une intense obscurité. Mais je n’avais fait que
quelques pas quand soudainement, au fond du corridor, dans les W.C., deux
énormes points lumineux se mirent à me reluquer.
Effarouché, je m’enfuis à toutes jambes en hurlant. Je
sautais sur le lit et je fondais en larmes en appelant de toutes mes forces=
ma
grand-mère qui ne m’entendait pas et j’en arrivais
même à penser qu’on m’avait tout simplement
abandonné. Pourtant, « des siècles plus tard =
»,
ma grand-mère qui pensait que j’avais suffisamment dormi, vint=
me
chercher. Je lui manifestais ce que j’avais bien pu voir, alors elle =
me
prit par la main et nous sommes revenus dans ce corridor. Je n’osais =
pas
relever les yeux, pourtant ma grand-mère me contraint à estim=
er
qu’il n’y avait aucun monstre, que seule Diane, une chienne noi=
re,
dormait au frais au pied du W.C. et que les deux points lumineux
n’étaient autres que les deux pauvres yeux de la vieille chien=
ne.
Je n’en fus pas rassuré pour autant et pensais simplement que =
ma
grand-mère m’avait dit cela pour me consoler.
Dans cette maison, il y
avait une pièce qui était injustement interdite aux enfants.
Celle-ci était située juste en face de la chambre de ma
grand-mère et sa porte toujours fermée. Quand ma
grand-mère y pénétrait, j’essayais d’entre=
voir
quelque chose. Quels trésors cachait-on dans cette pièce =
;?
Quel était ce mystère si important que les enfants ne devaient
pas voir ? Il m’arrivait de penser que plusieurs personnes comme=
mon
grand-père ou mes arrières grands parents qu’on disait
morts y étaient séquestrés. Je n’ai jamais pu y
pénétrer et le regrette profondément. Ce n’est q=
ue
bien des années plus tard, après avoir quitté mon pays=
que
je sus que cette pièce était un vestiaire, qui servait au
stockage de vieux vêtements et autres chiffons et que les enfants en
avaient l’accès interdit à cause de la poussière.
Encore aujourd’hui, malgré ma compréhension, il
m’arrive de m’interroger et de penser que je ne saurais
malheureusement jamais la vérité. Je me dis que parfois les
adultes n’ont pas conscience du mal qu’ils font aux enfants en =
les
privant de ce genre de curiosité.
La découverte p=
our un
enfant, c’est quelque chose d’essentiel. L’en priver,
c’est lui voler une partie de ses souvenirs, c’est une pi&egrav=
e;ce
manquante dans sa mosaïque, dans son puzzle.
Mon domaine
privilégié était l’étable,
c’était un lieu féerique. Une senteur
pénétrante et enivrante de litière chaude s’en
dégageait. Une dizaine de vaches y logeaient, toutes
enchaînées devant une longue crèche, qui faisait les de=
ux
longueurs de l’étable, surmontée d’un râtel=
ier
en barreaux de fer. Chaque vache avait son nom : =
Pluchette,
au pelage blanc cassé, vache préférée de ma
grand-mère. Zonzon, la châtaigne foncée et la plus viei=
lle
de toutes, son nom en similitude au surnom attribu&eacu=
te;
à la sœur de ma mère. Marquise, noire et blanche, une va=
che
grande et forte que mon grand-père paternel avait vendu à mon
oncle Henri. Domino, sa fille, de la même robe. =
Faulette,
marron clair avec une tache blanche sur la tête. Joliette, blanche
tachetée de noire et de jaune, ma préférée, mon
père trouvait qu’elle ne donnait pas assez de lait. La Noir, la
dernière arrivée et les autres dont j’ai oublié =
les
noms.
Je me souviens certains
soirs où mon oncle, et parfois mon père, étaient
affairés à traire, les mains tirant sur les trayons, un seau
coincé entre les jambes où des giclées de lait venaient
s’écraser en un bruit profond et régulier, dans une mou=
sse
chaude et crémeuse. Parfois la queue d’une de ces vaches chass=
ant
une mouche, venait leur fouetter le visage. Alors, elle ne manquait jamais =
de
se faire rappeler à l’ordre.
Une fois le lait
tiré, deux fois par jour 19 h00 et 6h00, l'étable était
refermé, laissant dans l'obscurité de la nuit, les vaches
couchés sur leur litière avec leur ruminement lents et
cadencées. Pour le matin, les portes largement ouverte à la
lumière du jour et aux volailles. Ensuite mon oncle charriait les se=
aux
dans la cuisine. De là, ma grand-mère préparait la mis=
e en
bouteille pour les livraisons du lendemain. Une autre partie était
vidée dans un bidon à lait et le surplus, transporté d=
ans
le couloir aux chats, était laissé au repos dans de grandes
bassines posées sur un buffet réservé à cet eff=
et.
Ce lait devait servir à la fabrication du fromage blanc.
Ainsi, une fois le lait
caillé, ma grand-mère installait son matériel sur la t=
able
de la cuisine et, à l’aide d’une louche, remplissait des
petits gobelets de fer blanc percé, dans lesquels une mousseline
tapissait l’intérieur, laissant s’écouler le petit
lait.
Au petit matin, mon on=
cle
après avoir trait les vaches, soigné toutes les bêtes d=
e la
ferme, prenait sa petite carriole à main de teinte verte et la charg=
eait
de bidons et de bouteilles de lait, fromages blancs, figues, poulets,
œufs, pigeons, puis il quittait la ferme pour descendre au village ven=
dre
ses produits.
Quand il était
possible de l’accompagner, j’étais heureux. Nous sortions
par le grand portail où se dressait un imposant tas de fumier, qui
laissait s’échapper des vapeurs de gaz à odeurs tr&egra=
ve;s
piquantes. Un liquide noirâtre s’écoulait à sa ba=
se,
un purin chaud qu’une noria de moucherons fous, tourbillonnant
inlassablement venaient squatter.
Nous laissions
derrière nous notre petite ferme, ma grand-mère, chiens et ch=
ats
et je me disais qu’ils devaient tous être fiers de ma personne,=
par
le fait que j'aille épauler mon oncle à gagner son pain
quotidien. Ainsi il poussait sa petite voiture à bras, moi à =
son
côté, je le considérais de temps en temps d’un re=
gard
secret.
Son béret noir rabattu sur l’oreille lui donnait avec ses yeux bleus un doux visage rêveur. Deux petites fossettes lui éclairaient la face. Ses pas étaient souples et non pressants. On aurait dit qu’il é= tait envahi par la paix. C’était un homme d’une extrême= bonté et d’une très grande naïveté. Des hommes comme il = en existe malheureusement peu. Des hommes de bonne volonté. Je le remercie, aujourd’hui, d’avoir ouvert en moi cette âme rustique et sensible aux choses simples de la vie à l’essence troublante.<= o:p>
Le chemin de terre, si=
nueux
et bosselé, qui nous conduisait au village, était isolé=
; au
milieu d’une nature bordée de roseaux, de figuiers de barbarie
croissant sur une terre relativement aride. Nous passions devant une
construction, élevée à l’aide de modestes roseau=
x,
appelée «Gourbi» ou une pauvre famille
«d’indigènes», comme disait ma grand-mère,
subsistait. Après une demi-heure de cheminement, nous arrivions aux
portes du village. Alors, je sentais monter en moi une certaine angoisse, c=
elle
du contact avec un monde que je soupçonnais de ne pas être tout
à fait le mien dans les quartiers les plus éloignés.
La distribution chez l=
es
clients pouvait commencer. Certains, devant leur porte, laissaient les
bouteilles vides de la veille que nous leur changions contre des pleines. P=
our
d'autres, nous les servions à l’aide d’un quart qu’=
;il
fallait plonger dans un des gros bidons et qui ressortait débordant
d’un lait moussu et crémeux à vider dans les
récipients tendus par les clients. D’autres voulaient des figu=
es
ou une paire de pigeonneaux, voire un poulet.
Une fois les clients s=
ervis,
poussant toujours sa petite voiture à bras dans les rues du village,=
mon
oncle essayait de vendre le surplus de sa marchandise, en se mettant &agrav=
e;
crier d’une voix claironnante:
- pigeons... œufs
frais...
C’est à p=
artir
de ce moment là, que je me rendis vraiment compte que le monde
n’était pas aussi merveilleux que ce que je pouvais
l’imaginer. Je remarquais que certaines personnes se moquaient de mon
oncle, essentiellement des hommes d’âge mûr. Des sourires=
narquois
marquaient leur faciès. Alors soudainement je sentais monter en moi =
une
honte, je me disais qu’ils devaient rire aussi de ma personne. Je les
haïssais, car ils devaient nous prendre pour des bohémiens, de
miséreux mendigots ou je ne sais quoi d’autre. Pourtant mon on=
cle
était correctement vêtu, toujours propre et bien rasé. =
Une
fois ma honte maîtrisée, je me disais qu’eux étai=
ent
sans doute aisés mais sûrement bêtes et méchants =
avec
un cœur pauvre et que de toute manière ils n’auraient jam=
ais
la chance de vivre dans notre petit paradis et qu’ils étaient =
bien
évidemment jaloux. Une fois d’ailleurs, un gamin qui devait av=
oir
quelques années de plus que moi et que je connaissais puisqu’il
habitait dans une rue non loin de chez mes grands-parents paternel,
m’interpella, et me dit en ricanant que chez lui ils n’avaient =
pas
besoin d’acheter de pigeons car avec son père ils allaient tir=
er
ceux de mon oncle quand ceux-ci sortaient de la propriété.
Pendant ce temps, mon oncle était occupé, il me semble, &agra=
ve;
vendre une paire de pigeons. Plus jeune et plus menu que ce misérable
gamin, je ne pus que le dévisager, et je n’osai en parler &agr=
ave;
mon oncle pour éviter de lui faire de la peine. Je savais que de tou=
te
manière il n’aurait rien dit et rien fait à ce
môme ; car mon oncle était un brave.
La vérité
c’est que mon oncle était un homme simple, sans manière=
, un
peu naïf certes, mais humain et sans doute trop bon, dans un pays
où il fallait paraître pour être reconnu. Certaines gens=
le
trouvaient nigaud, sans doute par la vie champêtre qu’il menait.
Dans leur petit esprit, il était probablement primitif de vivre ains=
i.
Pourtant le primitif, qu’il était aux yeux de ces êtres
limités, avait suivi de bonnes études. Je suis certain qu'auc=
un,
de ceux qui se moquaient de lui à cette époque n’avait
(quant à eux) autant d’instruction. Mais
l’imbécillité humaine appartient à
l’étroitesse d’esprit de ceux qui la cultivent.
Il ne faut toutefois rien
exagérer, la plus part des autres personnes l’aimait,
l’accueillait avec beaucoup de délicatesse et de gentillesse. =
Il
était une figure de Ménerville et
beaucoup d’enfants l'affectionnait. Ainsi
lorsque mon oncle avait l’occasion de descendre au village avec sa
charrette et son mulet, certains gamins lui demandait parfois une figue ou
autres friandises, d’autres en profitaient pour s’accrocher
à l’arrière de la charrette et mon oncle d’en
sourire.
Mon oncle portait en
bandoulière une sacoche de cuir qui lui servait à mettre le
maigre argent de sa tournée. Une fois le travail achevé, il
fallait faire les courses. Nous passions à la boulangerie FERRANDO p=
our
y acheter un pain qui devait bien peser les cinq kilos, une partie é=
tait
utilisée pour la soupe des chiens. Puis, nous allions à
l’épicerie DERICH, la charcuterie GALL où
mon oncle ne manquait jamais de m’acheter un saucisson quand ses
économies le lui permettaient. Quelquefois nous nous arrêtions=
au
« grand magasin » qui appartenait a ROUFFIGNAC et qui
faisait bazar et journaux, où il achetait une revue et m’offra=
it
de temps en temps une barre de pâte à modeler ou un petit illu=
stré
tel qu'Oscar le petit canard ou Pim Pam Poum.
Enfin, nous remontions=
vers
la propriété et pouvions dès la sortie du village admi=
rer
sur les hauteurs notre petite ferme aux façades blanches, semblable,
avec ses deux petites tourelles souriantes et volontaires, à une nym=
phe
qu’un soleil radieux rendait éblouissante et dansante. Durant
notre ascension, mon regard se dirigeait vers ces collines qui
s’élevaient dans ce lointain que je ne connaissais pas, mais q=
ui
devait bien cacher quelque chose de mystérieux, comme par exemple le
bout du monde. Je pensais aussi à ma grand-mère qui devait
être affairée à nous préparer le repas. De temps=
en
temps nous nous arrêtions à l’ombre d’un figuier, =
mon
oncle en profitait pour s’épongeait le front à l’=
aide
de son mouchoir. J’aimais sentir cette sueur de brave, occasionn&eacu=
te;e
par l’effort physique qu’il faisait à pousser sa carriole
sous un soleil généreux.
Quand nous arrivions
à proximité de la ferme, je sentais mon cœur ému
palpiter de bonheur et une jouissance intense envahir mes sens. Les chiens =
nous
ayant senti lançaient de grands coups de gueule de contentement. Ma =
grand mère ouvrait le grand portail de la cour =
et
libérait les chiens, qui représentaient une
sécurité à cette époque. Leur queue fouettant
l’air, ils venaient en galopant à notre rencontre en nous
manifestant leur affection par des petits gémissements. Chacun
d’eux savait que mon oncle n’oublierait pas de leur ramener que=
lque
chose, tel un os pour se faire les dents. Alors je les enlaçais
tendrement, heureux de leur présence.
Je n’étai=
s pas
mécontent, quand, lors de notre retour, certaines volailles n'avaien=
t pu
être vendues. Je me disais qu’elles avaient eu beaucoup de chan=
ce
de pouvoir revenir vivre en ces lieux enchantés où tas de fum=
ier
et bâtiments leur souriaient. Evidemment j’étais un peu
peiné à l’égard de mon oncle qui n’avait p=
as
réalisé la vente des produits, qu’il avait escompt&eacu=
te;,
mais il avait l’esprit d’un homme qui se contentait de peu.
Mon oncle, parfois, al=
lait
vendre un porc ou deux, voire des porcelets ou quelques sacs de grains. La
charrette était indispensable pour ce transport, alors il faisait
reculer son mulet entre les deux brancards pour l’atteler, lui passait
tout l’harnachement indispensable tels que harnais, brides, mors,
oeillères et licol, puis chargeait son bétail derrière=
sa
banquette. Les porcelets couinant, étaient enfouis dans des sacs en
toile de jute, et mon oncle p=
artait
ainsi au village comme un bienheureux.
Quand nous venions pas=
ser
nos vacances à la ferme, mon père un homme vif, courageux et
volontaire qui aimait beaucoup la terre s’investissait
généreusement sur la propriété. Il répar=
ait
une porte cassée, construisait un poulailler, coulait une dalle dans
l’écurie, creusait des canaux pour irriguer les orangers etc... Mon père trouvait toujours un peu de te=
mps
pour se consacrer à ses enfants. Une fois il m’enseigna comment
attraper des moineaux. Il accrocha une longue ficelle à la porte du
poulailler qu’il laissa ouverte et nous nous cachâmes sous le
hangar de la vieille voiture. Au bout de quelques minutes, une ribambelle de
moineaux investirent les lieux pour y chaparder le blé des volailles,
alors mon père tira sur la corde, la porte se referma derrière
eux. Pris au piège, il ne nous restait plus qu’à les
attraper. A l’aide d’une petite planche, mon père assomma
ces pauvres petites créatures. Egalement muni d’une planchette=
, je
donnais l’impression à mon père de le suivre dans son
hécatombe afin de ne pas lui laisser supposer ma faiblesse en ce dom=
aine
et de lui laisser croire que je partageais son enseignement. Je n’en
sacrifiai aucun, bien au contraire, je fis en sorte que la porte du poulail=
ler
s’ouvrit derrière nous afin d’en épargner le plus
possible et ainsi d’offrir la liberté à certains de ces
petits êtres. Mon père dût me trouver bien gauche, &agra=
ve;
moins qu’il ne devinât mon émotivité qu’il
connaissait assurément et qu’il souhaitait changer un peu. En =
fin
d’après-midi, nous en avions attrapé une bonne trentain=
e.
C’est à ma mère et à grand-mère que reven=
ait
l’honneur de plumer ces miséreuses créatures.
Un jour par semaine, n=
ous
enfants, avions droit à la grande toilett=
e. A
la petite fontaine qui se trouvait appuyée au mur de clôture d=
e la
cour et qui essayait de conserver une partie de sa fraîcheur sous un
soleil ardent, mes parents raccordaient un tuyau en caoutchouc et ainsi, nous avions droit &agrav=
e; la
pression d’une eau naturelle et assez fraîche. Les canards, pour
l’heure, étaient exclus de la fontaine, mais cela ne les
empêchait pas d’essayer de récupérer quelques gou=
ttes
perdues du jet d’eau, alors ils se dressaient sur leurs pattes et
battaient violemment des ailes en lançant d’éclatants
coin-coin et cela faisait rire mon père.
Un jour où mes
parents finissaient de doucher mes sœurs, et que j’étais =
affairé
dans mes jeux, je m’aperçus, soudainement, que Flambeau, un gr=
and
chien gris sauta sur Zina une chienne fauve. Al=
ors
n’écoutant que mon héroïsme, je saisis Flambeau pa=
r le
cou et essayai de le dégager, estimant que se battre était fo=
rt
laid. Ma témérité me valut de sa part un violent coup =
de
croc dans le pli de mon bras qui se mit à saigner abondamment. Mon
père bondit de la fontaine et porta un coup de pied à ce pauv=
re
Flambeau. Aussitôt, on me descendit chez le médecin qui me
fît deux injections dans le ventre et me posa quelques agrafes pour
réduire la petite cicatrice que je conserve encore et qui fait parti=
de
ma vive mémoire lorsque je la contemple avec ravissement
aujourd’hui. Ce n’est que bien des années plus tard, que=
je
compris que Flambeau et Zina ne se battaient pa=
s mais
qu’ils ne faisaient qu’accomplir, avec le printemps, un instinct
tout à fait naturel.
Nos principales
activités pour nous enfants, étaient les jeux. Nous aimions m=
imer
les adultes dans leurs tâches quotidiennes, notamment celle de mon on=
cle
laitier. Nous récupérions dans la remise des petites bouteill=
es,
que nous remplissions d’eau de la fontaine en imaginant les emplir de
lait. Ensuite nous faisions la tournée au quatre coins de la ferme, =
à
l’aide d’une antique carriole, pour en simuler la vente aux
clients. C’est à l’occasion d’un de ces jeux que ma
sœur Ghislaine se fit une entaille à l’une de ses petites
mains avec une des bouteilles=
qui
s’était brisée. Il fallut la descendre chez le
médecin du village, le docteur Choussat,=
qui
lui prodigua les soins nécessaires. Je me rappelle très bien
qu’elle dévisagea le médecin qui lui avait fait quelques
points de suture et quand celui-ci lui demanda s’il lui avait fait ma=
l,
elle le regarda droit dans les yeux et lui répondit: «NON&raqu=
o;.
Ma sœur Christian=
e ne
partageait pas tous nos jeux. De nature plus calme, elle
préférait d’antiques ours en peluche, qui avaient appar=
tenu
à ma mère ou à ses frères, qu’elle choyait
comme une vrai petite mère. De vieilles lectures et les livres d’ima=
ges du
petit salon la passionnaient beaucoup.
Nous aimions
également nous amuser autour du bassin à poissons rouges. Nous
faisions filer sur l’eau des petites barques de bois que nous chargio=
ns
de boules de cyprès et devenions ainsi des marins ou capitaines au long cour d’eau douce. De temps à autr=
e nous
venions avec ma grand-mère distribuer des mies de pains à ces
poissons dont certains devaient bien faire une vingtaine de centimèt=
res
et quelques millimètres pour les plus petits.
Assez souvent,
grand-mère nous emmenait faire l'inventaire des plantes de son jardi=
n.
Je la voyais prendre un plaisir intense à ausculter ses fleurs, sans
jamais en cueillir une fraîchement éclose, se contentant d'en
prélever une, parmi celles qui étaient sur le déclin. =
Nous
faisant observer une abeille butinant une de ces belles que le soleil avait
épanoui, nous incitant à humer chaque fleurs, dans le but de =
nous
faire prendre conscience de la vie qui régnait dans et autour de ce
jardin aux plantes troublantes et éblouissantes.
Ce qui marquait ces li=
eux et
qui donnait ce caractère romantique, c’était tous ces
taillis, fleurs et plantes, par leurs senteurs et leurs couleurs symphoniqu=
es,
tels que verveine, lanthanas, menthe, basilic,
géraniums aux pompons rouge, jasmin, capucines, mousse verte du bass=
in.
Senteurs capiteuses qui s’exhalent dans mon âme et qui ne peuve=
nt
s’effacer de ma mémoire. A la frontière du jardin, deux
jeunes palmiers dattiers, de taille moyenne, coiffés par de larges e=
t longues
palmes verdoyantes, s’élevaient fi&=
egrave;rement
en direction du village, laissant penser à des sentinelles indiennes.
Une bonne partie de la propriété dressait ses contreforts de
cyprès afin de repousser toute incursion ennemie. Nous pouvions, en
outre, lorsque nous souhaitions nous rendre au village, emprunter un sentier
maçonné dans sa première partie par de petits escalier=
s,
jalonné d’un cordon de romarin, qui dégringolaient
d’une manière assez ardue en direction du village. L’aut=
eur
qui avait aménagé ses lieux avait eu
l’ingéniosité de construire des bancs en ciment
parés de petits carreaux blancs, jaunes et noirs identiques à
ceux de l’escalier des deux tourelles. Ainsi, aussi vaillants que
pouvaient être les propriétaires du site, dans un pays o&ugrav=
e;
la chaleur rend les gens fatigués, où le soleil inonde de ses
lances ardentes chaque arpent de terre, ces repose-fai=
néants,
à l’ombre des figuiers aux troncs tortueux et chapeauté=
s de
larges feuilles, aux figues gorgées de sucre, parfois
éclatées, que les guêpes déchiquetaient,
étaient des alliés bénis lors de l’ascension de =
la
propriété.
Les terrains situ&eacu=
te;s
dans les bas fonds, en bordure du chemin dévalant en corniche,
étaient en parti planté d’orangers, que mon père
aimait choyer. C’est là qu’il aménagea avec mon o=
ncle
un système d’irrigation à l’aide de petits canaux=
qui
récupéraient une eau de source située à
proximité des lieux.
La propriét&eac=
ute;
n’était pas bien grande, une vingtaine d’hectares de ter=
res
en grande partie assez arides, qui ne permettaient pas de faire de grandes
cultures. Peu de surface, me semble-t-il, pouvaient être
ensemencés en blé, un demi-hectare
environ en orangers et tout le restant en herbe à vaches. Quelques
oliviers et amandiers gîtaient en bordure de ces champs parfois
accompagnés de figuiers de barbarie et de caroubiers.
C’était u=
ne
petite ferme, qui avait peu de bonnes terres, juste ce qu’il fallait =
pour
donner le vivre et le vêtir, mais une petite ferme qui sentait
l’honnêteté, le parfum et la joie de vivre et dans laque=
lle
vivaient des êtres dignes.
J’avais l’impression
d’avoir une complicité silencieuse et secrète avec elle,
mais je savais qu’à travers son silence, son âme me
souriait. J’aurais aimé emporter quelques souvenirs dans une
petite boîte que j’aurais gardée secrète, tel un =
peu
de fumier de mes vaches que j’aurais pu humer de temps en temps, ou d=
e ma
terre, afin de m’enivrer encore un peu de ce paradis perdu et tant
aimé. Il m’arrive d’avoir peur que s’évade =
mon
esprit, comme le temps qui fout le camps, emport=
ant
à jamais avec lui ce qui me reste de mes pensem=
ents. Je l’espère
aujourd’hui sans trop de solitude, que sa bâtisse soit encore
debout et qu’il n’en reste pas que des ruines qui dorment sous =
les
broussailles avec le songe d’un passé. Parfois je ferme mes
paupières, je l’écoute et la revois vivre, alors mes ye=
ux
se mouillent.
Je sais que cette terr=
e, ce
paradis bleu où ma mère me mit au monde et dont je buvais
l’univers, nous n’en avions pas l’exclusivité. Nous
devions la partager avec respect avec ceux qui avaient été l&=
agrave;,
avant nous, si nous ne voulions pas que sonne le glas. Le problème
fût alors que certains
opulents colons asservisseurs ont anormalement créé des fract=
ures
parmi un peuple. Ces dernières ne pouvaient se ressouder, tellement =
le
mal avait été fait dans ce pays par l’égoïs=
me,
l’indifférence de certains imbéciles. S’estimant
probablement de race et de classe supérieure ces méprisables
ont fait le mal aussi bien pour les Algériens que pour les
Européens qui n’appartenaient pas à leur rang social. Si
l’esprit s’étend avec le cœur, pour certains celui-=
ci
devait leur faire défaut et ils sont donc respon=
sable
d’une fin fatalement programmée dans ce pays pour tout un petit
peuple.
Ce qui nous sép=
arait
de ce peuple, c'était avant toute chose la misère dans lequel=
ils
vivaient et la dignité que certain leur
refusait. Certains Européens étaient traité eux aussi =
de
la même façon. Dans ce pays, il aurait fallu faire
l'intégration à part entière. Car à travers nos
différences beaucoup d'entre nous s'aimaient. Je comprends trè=
;s
bien leur révolte, ils étaient chez eux et n'avaient pratique=
ment
pas de droit et pour certains ils étaient des esclaves des temps
modernes, voir des sous hommes. Quel gâchis! Je suis certain que nous
aurions pu vivre heureux et ensemble. Dans ce pays ou beaucoup de choses no=
us
séparait il y avait aussi beaucoup de choses qui nous rassemblaient,=
il
y avait de la haine et de l'amour pour les gens de bonne volonté. Je
pense que l’Algérie ne vivrait pas aujourd’hui dans le
désordre et la misère sociale si nous avions su hier bâ=
tir
ensemble un pays indépendant à l’avenir prometteur.
Les après-midi,
pendant la sieste, vers les trois heures, un ou deux petits bergers venaient
chercher les vaches pour les faire paître. Pendant ce temps mon oncle
Henri était encore embourbé dans ses rêves. Alors les
jeunes bergers se mettaient à crier à maintes reprises
derrière le colossal portail : - M’sieur GITTON !
M’sieur GITTON ! Cela faisait rageusement aboyer les chiens
réveillés par ces appels. Alors mon oncle, tranquillement,
sortait de ses rêves et allait toujours aussi calmement ouvrir. Les
bêtes détachées, abandonnant pour certaines leur petit =
veau
dans l’écurie, venaient s’étancher à
l’abreuvoir, et partaient paisiblement le mufle humide et baveux en
procession vers pâtures et brousse.
L’alimentation d= es vaches, en complément de leur pâture, était compos&eacu= te;e de cosses de caroubier, aliment qui permettait une augmentation de la lactation. Ces cosses étaient achetées le plus souvent aux Algériens de souche, notamment aux femmes parées de leur voil= e blanc (haïk), qui les transportaient dans de grands paniers en roseaux. Ces cosses étaient ensuite stockées en tas sous le vieux hangar.<= o:p>
Une fois le troupeau s=
orti,
le portail restait ouvert, alors une grande partie des volailles en profita=
it
pour aller s’épouiller et picorer quelques vermines dans le ta=
s de
fumier.
La sortie du bé=
tail
permettait à mon oncle de curer la litière des bestiaux. Il f=
aut
dire que depuis que mon père avait dallé l’écuri=
e,
c’était devenu assurément plus pratique. Le fumier
était chargé sur une antique brouette de bois et achemin&eacu=
te;
jusqu’au tas, qu’il fallait escalader à l’aide
d’un madrier. Avec ma petite brouette de bois, dont la roue ét=
ait
cerclée d’un ruban de fer, je l’épaulais bravemen=
t et
fièrement dans ses tâches où je m’estimais
indispensable. Je crois que c’est à partir de ce moment-l&agra=
ve;
que naquît en moi l’amour de la terre. (on<=
/span>
pourrait dire que c’est dans le fumier que mon esprit champêtre
germa)
Mes moments
préférés étaient le soir, au moment de la traite
des vaches. Je ressentais une atmosphère de paix, de vibration. Les
vaches alignées les unes aux autres, patientaient leur tour. Chacune
avait dans son râtelier sa ration de fourrage, sa litière bien
garnie en paille et la crèche bien remplie de caroubes. Une ou deux =
ampoules
électriques apportaient un soupçon d’éclairage d=
ans
ces lieux. On entendait quelques meuglements ainsi que les cliquetis des
chaînes qui entouraient leur cou. Leur museau humide et baveux, tendu
vers le râtelier, reniflait le foin qui était arraché, =
mâché,
puis écrasé dans leur large gueule. Tantôt, les unes
levaient leurs queues et de grosses bouses s’écrasaient au sol
d’un floc mou et sourd. Tantôt les autres, le dos
voûté laissaient s’écouler en un gros jet une for=
te
urine. Je les trouvais sans pudeur, sans retenue et cela me gênait un
peu. Mais elles étaient si belles, si insouciantes que je ne leur en
tenais pas rigueur. Elles étaient vraies et me donnaient parfois
l’impression de me sourire. Alors je m’approchais d’elles=
et
de mes petites mains je me plaisais à caresser les poils soyeux de l=
eur
cou et elles me remerciaient en me léchant à grands coups de
langue gluante et râpeuse. La traite pendant ce temps se
réalisait. Les plus capricieuses balançaient des coups de que=
ue
dans la figure. Ou bien c'était un coup de pied dans le seau à
lait et s’ensuivaient des désapprobations de la part de mon on=
cle
ou de mon père. Mais l’endroit me laissait rêveur, les
vaches, les senteurs douces et tièdes des litières me
berçaient vers un monde de paix où seuls ceux qui naissent av=
ec
cette âme peuvent comprendre. Quand je pense à ce
qu’à été ma vie en ces lieux, j’en ai le
cœur serré et les yeux humides. Mes parents, à cette
période de ma vie, n’ont sans doute jamais ressenti ce qui vib=
rait
en moi. Bien trop occupés par les tâches auxquelles doit faire
face le monde des adultes.
Un peu plus tard, mon
père acquit sa première voiture, une 2 CV grise d’un
certain âge, qui ravit la famille. Ainsi, nous pouvions nous rendre p=
lus
souvent à notre petite ferme, et pouvions enfin connaître les =
différents villages que nous traversions=
avec
leurs constructions typiques du pays.
Cette 2 CV nous = permit une année de laisser partir notre oncle en vacances pour la France, = et c’est avec elle que les distributions de lait purent se faire. Nous allions certes plus vite, mais c’était bien moins poéti= que.
Une année,
j’appris que notre mulet Cadet avait eu les quatre jarrets
tranchés alors que la pauvre bête broutait paisiblement au mil=
ieu
des vaches sur les hauteurs derrière la maison. Les militaires qui
étaient en casernement au village vinrent,
à la demande de mon oncle chagriné, abattre notre brave Cadet=
, et
mon oncle leur offrit la carcasse. Ainsi, les événements
d’Algérie avaient fait leur entrée dans mon univers. Je
trouvais cela injuste, Cadet était un mulet d’une extrême
gentillesse. Ses agresseurs n’eurent aucune difficulté à=
; le
trépaner, je les trouvais lâches, hideux. Comment pouvait-on
s’en prendre à un animal qui n’était pour rien da=
ns
le problème des hommes. Mon oncle en racheta deux autres, un marron
foncé et un blanc, ce dernier était très têtu et
aucun d’eux ne put remplacer notre martyr.
Prendre part aux trava=
ux de
la ferme était pour moi une joie intense. Suivant les jours, il fall=
ait
cueillir les figues, pour certaines les faire sécher sur une petite
table de marbre située sur la terrasse. Recueillir sous le grand han=
gar,
à l’aide d’une longue échelle, des pigeonneaux da=
ns
leur nid. Nettoyer l’écurie, garnir les râteliers, plong=
er
les seaux dans le grand tas de caroubes situé sous le hangar et les
vider dans les crèches. Vider les seaux de farine, son et remoulage
voire parfois du vieux pain entreposé dans un local, verser quelques
seaux d’eau puisés dans l’abreuvoir et mélang&eac=
ute;s
le tout dans la grande auge aux porcs.
Le petit déjeun=
er
était un moment d’enchantement. Quand nous nous levions d̵=
7;un
bon doux sommeil, nous nous rendions dans la cuisine où régna=
it
une atmosphère de paix, de senteurs caractéristiques. Les ray=
ons
du soleil matinal venaient percer de ses lances lumineuses les vitres de la
grande fenêtre, où des poussières
éthérées en un long fuseau venaient s’écr=
aser
sur la grande table de la cuisine, en y dégageant une douce chaleur.=
De
grands bols flegmatiques, faïencés de blanc, attendaient
qu’on les remplisse d’un bon lait blanc et crémeux. Nous,
les enfants avions droit à quelques gouttes de café
mélangées à ce lait. Enfants modernes, nous
dédaignions la crème, malgré les louanges ressass&eacu=
te;es
par ma grand-mère. Le bol de lait était accompagné de
tartines beurrées. Beurre évidemment fabriqué par ma
grand-mère. Je ne me souviens pas avoir vu de morceaux de sucre sur =
la
table, par contre le sucre cristallisé était toujours
présent.
Le repas de midi
était un peu plus bruyant. Sur la table s’étalaient en =
un
véritable imbroglio, toutes sortes de condiments et victuailles cert=
ains
encore dans leur emballage. Nous commencions souvent par des crudités
telles que radis, que notre grand-mère nous initia à
décorer comme de petites roses beurrées. La bouteille d’=
;eau
qui pique (eau gazeuse) fabriquée par ma grand-mère (une poud=
re
appelée létiné qui é=
;tait
versée d’un petit sachet dans une bouteille d’eau du
robinet) accompagnait le repas. Parfois mon père me versait quelques
larmes de vin rosé dans mon eau qui pique, donnant un goût
particulier. Il y avait la ventripotente gargoulette de terre, qui conserva=
it
jalousement dans ses entrailles une eau fraîche permettant en ce pays
chaud de s’y désaltérer et d’étancher sa s=
oif
après une journée de labeur. Les bouteilles de vin, toujours
rosé, étaient entreposées pour les repas entre des
persiennes entrouvertes. Enveloppées, telles des momies, dans de vie=
ux
bas en coton humidifiés. Ces bandages permettaient au vin de conserv=
er
une fraîcheur subtile. Le repas était souvent accompagné=
; de
la vieille radio où nous écoutions le jeu des « Mille francs »
Pendant le repas, nous
pouvions entendre les poules chanter et parfois de leur bec venir taper aux
vitres de la fenêtre. Brusco, le vieux ch=
ien
qu’un des frères de mon père avait ramené de la
guerre de 39/45, n’était d’ailleurs pas des derniers, son
derrière posé sur une dalle qui arrivait à hauteur de =
la
fenêtre, à nous regarder de son masque triste, essayant de nous
apitoyer afin qu’on lui accorde l’hospitalité.
Vers les quatre heures=
de l’après-midi,
venait l’heure du goûter. En dehors du traditionnel bol de
café au lait et de ses tartines beurrées, ma grand-mère
nous initia à nous préparer un petit goûter à sa=
façon.
Elle partageait en deux une figue séchée par le soleil, dans
laquelle elle nichait deux petites amandes que nous dégustions
d’une manière sacrée.
Le repas du soir
était paisible, à peine troublé
par quelques aboiements de nos chiens inquiétés par la sauvag=
ine
que la nuit faisait sortir. Un abat-jour émaillé de blanc, au=
tour
duquel tournoyaient toujours quelques petits papillons, reflétait une
douce lumière au centre de la table. Nous avions chacun notre place,=
ma
grand-mère tournait le dos au potager, moi face à elle le dos
à la porte d’entrée et mon oncle à côt&eac=
ute;
de ma grand-mère près de la fenêtre. Mon oncle et ma
grand-mère causaient de choses et d’autres, notamment des
livraisons du lendemain et des éventuels achats, des fermes voisines=
et
de leurs occupants, des gens du village, d’une bête malade
qu’il fallait soigner ou sur les événements politiques =
qui
frappaient le pays. Mais le repas était toujours agréable car=
il
y avait des plaisanteries, des devinettes et beaucoup de rires. Quand la so=
upe
était servie, nous n’entendions plus que les cuillères =
de
fer blanc crisser dans des assiettes, dont certaines avaient le bord
ébréché. La soupe, en dehors de celle traditionnelle de
légume, pour nous enfants, était naturellement bonne puisque =
le
bouillon KUB avait déjà fait son apparition. Le problè=
me
était tout autre lorsqu’une fois j’ai découvert d=
ans
la soupière une paire de tétines de vaches que ma
grand-mère avait soigneusement préparée à la
façon d’un pot au feu. J’étais
écœuré à la vue de ce spectacle et affolé
à l'idée d'en ingurgiter la moindre cuillérée. =
Je
n’en voulus en aucune façon, ma grand-mère
contrariée et mon oncle d’en rire, et moi de penser de quelle
vache ces tétines pouvaient bien provenir. Ainsi, dès le
lendemain matin je courus à l’étable pour y scruter cha=
cune
de nos vaches. Rassuré, la paix revint en moi, mais le terrible
spectacle continuait à me hanter.
Le soir après s=
ouper,
nous avions toujours un peu de temps avant d’aller au lit,
c’était des amusements dans les couloirs, ou un peu de lecture=
s et
de découverte d’images dans le salon, si ce n’éta=
it
des jeux de rôle dans la pièce où il y avait le piano. =
Tel
que l’exemple où mes sœurs étaient des anges et mo=
i le
curé. L’écharpe qui servait à recouvrir les touc=
hes
du piano placée autour de mon coup et retombant sur mes épaul=
es
telle une étole, me donnait une fière allure. Une boîte=
de
fer blanc posée sur le piano servait de tabernacle et quelques sucre=
ries
faisaient office d’hosties. Alors la grand’ messe pouvait comme=
ncer
et les anges, aux airs de circonstances, pouvaient faire leur apparition.
Plusieurs petits doigts s’acharnaient à appuyer sur les touche=
s du
piano, avec l’impression d’en faire sortir une musique
sacrée. Deux chandeliers de bronze fixés de part et d'autres =
du
piano donnaient un air solennel à nos cérémonies o&ugr=
ave;
aucune dérision n’était admise.
Quand venait l’h=
eure
d’aller au lit, c’était toujours pour moi un moment
d’émotion. Outre que ma grand-mère me donnait une
friandise, il fallait réciter sa prière et évoquer tous
ceux qui étaient partis vers ce ciel, que je scrutais de temps &agra=
ve;
autre dans la journée afin d’y surprendre un de mes ancê=
tres
qui aurait pu prendre la forme d’un de ces nuages qui nous survolaien=
t.
Je crus souvent en reconnaître certains que je n’avais pourtant
jamais connus si ce n’est qu’à travers certaines photos.
C’était aussi la fin d’une journée merveilleuse q=
ue
je laissais derrière moi. Je me mémorisais mes jeux, mes
découvertes, songeant à ce que serait ma journée du
lendemain. Je pensais à mon père, ma mère, mes sœ=
urs
quand ils n’étaient pas avec moi et me manquaient beaucoup.
Une fois couché,
j’entendais ma grand-mère rangeant la cuisine, préparan=
t le
repas des chats et des chiens ainsi que la distribution du rata. Parfois av=
ant
de m’endormir, j’entendais les hurlements des chacals qui r&oci=
rc;daient
autour de la ferme, et qui venaient se disputer une charogne telle qu’=
;un
porc ou une volaille crevés. Cela m’impressionnait
considérablement, d’autant plus qu’ils me semblaient
être énormes et cruels. Alors je glissais ma tête sous l=
es
draps par sécurité et m’imaginais leur rude bataille en
espérant qu’aucun d’eux ne saurait pénétrer
dans la chambre. Je me savais pourtant en sécurité, car nos
chiens étaient là, toujours prêt à se battre, les
voyant dans mon imagination les crocs en avant, se roulant à terre dans de terrible bataille contre c=
ette
sauvagine. Alors je les estimais comme des guerriers un à un : Flambeau, Zina ,
Fanfare, Chonchon, Brusco<=
/span>,
Diane et Pompom. Mais j’avais peur pour l=
es
chats qui eux n’étaient pas de taille à se battre et qu=
i de
plus, d’après mon oncle, étaient appréciés
par les chacals. Alors tous les chats de la maison défilaient dans ma
tête avec cette crainte de ne pas les revoir le lendemain : Rubina la chatte noire, Middle C=
at
la blanche, Raïza et Grisette les grises e=
t bien
d’autres encore oubliés. Ainsi je m’endormais, trimbalant
dans mon sommeil mes imaginations et les mystères de la nuit.
En ce qui concerne les
chats, je me rappelle que Rapatou, un gros mato=
u gris
avait disparu de la ferme. Sa disparition n’avait pour responsable qu=
e ma
grand-mère. Ainsi, elle me raconta que Rapatou<=
/span>
n’était qu’un vulgaire voleur, qui allait dénicher
les jeunes pigeons dans leur nid pour les dévorer, et qu’elle
avait donc mis fin à ses agissements en le noyant dans le bassin
à poissons rouges. J’étais stupéfié
d’entendre une chose pareille sortir de la bouche de ma
grand-mère. Comment avait-elle osé accomplir un tel crime&nbs=
p;?
J’appris un peu plus tard qu’elle avait même
écorché et tanné la peau de ce pauvre Rapatou
qui n’avait même pas eu droit aux portes du Paradis puisque
c’était un voleur. Ainsi ma grand-mère était une
personne à surveiller quand un animal de la ferme ne respectait pas =
les
règles établies.
Quand venait l’h=
iver,
la vie à la maison prenait un caractère de repli. Le froid
obligeait ma grand-mère à allumer la vieille cuisinière
à bois et charbon, celle-ci dégageait une odeur de fumé=
;e,
de charbons ardents et de bois vert. Chonchon,
l’un des chiens vieillissants, aimait soulager ses rhumatismes sous la
cuisinière. La place était précieuse, car les chats lui
faisaient concurrence. Dans un des tiroirs à cendre de la
cuisinière, mon père se plaisait à mettre quelques pom=
mes
de terre, juste sous la braise, et il faut avouer que cela était un
délice. C’était ce genre de petites choses qui faisait
l’importance de cette vie simple que nous menions dans notre petite f=
erme..
Lorsque la pluie arriv=
ait,
et qu’il fallait bien l’accepter puisse que c’étai=
t la
Bon DIEU qui ouvrait une quantité de robinets pour faire pousser les
fleurs, la cuisine était fréquemment souillée de boue =
par
les allers-retours de ceux qui omettaient de se décrotter les soulie=
rs
ou les pattes, et cela faisait rager ma douce maman qui passait son temps
à l’entretien des lieux. Je n’ai jamais vu ma
grand-mère se mettre en colère lorsque l’un de nous ent=
rait
avec les godillots crottés. Je pense qu’elle avait une certaine
philosophie de la vie que n’avait pas ma mère sur la
propreté.
A l’extér=
ieur
tout était détrempé, la cour remplie de flaques
d’eau faisait le bonheur des canards qui en profitaient pour barboter=
. Devant l’écurie,
c’était un véritable bourbier ; Le sol
piétiné par les vaches était imprégné de
purin. Les chemins menant à la ferme, notamment par gros orages,
étaient ravinés par les eaux, et, devenaient souvent
impraticables à cause d’éboulements de talus.
Une année, mon
grand-père paternel vint me rendre visite à la ferme.
C’était une de ces journées d’hiver où la
pluie était au rendez-vous. Quand il arriva à la maison,
emmitouflé dans son grand imperméable noir tout ruisselant, i=
l me
fit de la peine lorsque je vis son visage trempé. Je trouvais que
c’était une preuve d’amour qu’il avait à mon
égard. Le pauvre homme aurait souhaité m’emmener chez l=
ui
aux H.L.M. de la Sablière, mais ma grand-mère s’y oppos=
a à
cause du temps. Il n’en fut d’ailleurs pas remercié par =
le
vieux chien Pompom à la robe marron et
blanche, puisque ce dernier mordit mon grand-père à l’u=
ne
de ses jambes.
Tout n’ét=
ait
pas aussi enchanteur dans ce royaume. Un
jour, mon oncle nous fit savoir qu’une vache s’était
enlisée dans un fossé gavé de boue, suite à de =
gros
orages. Tout le nécessaire avait été tenté pour
essayer de la sortir du piège dans lequel elle s’était
embourbée. Mais rien ne put mener à bien
l’opération. Il fallut donc abandonner cette pauvre bête
à son malheureux destin. J’ignore si cette pauvre vache fut
abattue par mon père ou mon oncle, je ne l’ai jamais su, mais =
ce
qui est certain, c’est que quelques temps plus tard, les chacals avai=
ent
fait leur travail et j’en étais écœuré.
En tant qu’enfant
impressionnable, toutes choses avaient pour moi leur importance, une plume =
de
volaille, un caillou, une boule de cyprès. Je rangeais toutes ces ch=
oses
dans les poches de mes culottes courtes, un peu comme des trésors, en
pensant qu’il y avait une vie en eux. D’ailleurs pour moi tout
était vivant, cela allait du vieux baquet à lessive au
respectable fauteuil estropié . J’a=
vais
aussi le sentiment de vivre avec une quantité d’êtres
invisibles qui m’épiaient. C’était le temps de
l’insouciance, le temps de la découverte, le temps du bonheur,=
le
temps où l’esprit est encore pur, non pollué par les
incontestables combats pour la vie que mène le monde des adultes,
période où je n’avais pas encore
« l’âge de raison ». Quand on voit la
cruauté de certains hommes, on peut se poser la question de savoir
s’il ne vaudrait pas mieux que l’être humain ne franchisse
pas ce seuil.
L’hiver tirait
à soi Noël. Sur une commode, que je conserve encore
aujourd’hui, et qui se trouvait dans la salle à manger, ma
grand-mère apprêtait une crèche rustique où des
santons anciens, de tailles différentes magnifiaient les lieux. Une
bougie allumée, à proximité de l’enfant
Jésus, à l’occasion de la prière, donnait un
caractère solennel.
Sont restées en=
moi,
toutes ces senteurs de cire fondue, de farine de blé faisant office =
de
neige, de bouquets de mimosa qui embaumaient l’enceinte. Je n’ai
pas souvenance de cadeaux, si ce n’est qu’un petit vélo =
tout
en fer, scelle comprise, aux roues pleine et sans freins avec la possibilit=
é
de pédaler aussi bien en avant qu’en arrière (car
généralement Noël se passait chez mes grands-parents
paternels.
Je me revois, mon
père, ma mère, ma grand-mère, mon oncle, mes sœur=
s.
Nous sommes là devant la crèche, une bougie allumée
déplace nos ombres dans la pièce. Le moment est solennel, nous
enfants, attentifs aux prières que nous répétons &agra=
ve;
la suite de nos parents. Les santons de la crèche semblent
animés. La vierge Marie contemple son Jésus et semble nous
dire : « soyez sages mes enfants, aimez vos
parents. » Dans le fond de la crèche, derrière
l’enfant Jésus, l’âne et le bœuf semblent
émerveillés par cette venue au monde du divin.
Je me souviens de ces
moments où nous, enfants, étions en émoi devant cet
événement de Noël. Je sentais qu’une grâce n=
ous
envahissait en observant mes sœurs boire les paroles de ma mère=
et
de ma grand-mère quand elles évoquaient que l’enfant
Jésus, envoyé par Dieu, était venu sur terre pour appo=
rter
la paix aux hommes. Cet enfant me semblait détenir des pouvoirs surn=
aturels.
Nous avions rarement de
marquantes réunions de famille chez ma grand-mère. Mais lorsq=
ue
l’occasion se présentait, il fallait faire les choses grandeme=
nt.
Ces jours-là, ma grand-mère, ma mère et sa sœur, =
qui
venait rarement sans doute à cause de moyens de locomotion ou de
distances trop importantes qui nous séparaient, sortaient la grande
nappe blanche brodée en coton avec les serviettes de table assorties,
les assiettes blanches, de beaux verres ainsi que les couverts en argent.
Avant de commencer le =
repas,
il fallait faire la prière pour remercier le Seigneur de nous avoir
offert cette nourriture et de nous avoir tous réuni. Pour ce qui
était de la nourriture offerte par le Seigneur, je me disais tout de
même qu’il fallait aller travailler si l’on voulait gagner
son pain, mais à cette époque je ne m’interrogeais pas
davantage sur la religion. Nous enfants, avions parfois envie de rire en
épiant les regards pieux de circonstance des adultes, notamment celu=
i de
ma mère. Je me rappelle que j’évitais d’observer =
mes
sœurs en train de prier, car je savais que si nos regards se croisaien=
t,
s’en seraient suivi des explosions de rires. Compte tenu de la
solennité de la chose, il valait mieux nous tenir tranquilles si nou=
s ne
voulions pas être foudroyés du regard des adultes.
Ma grand-mère q=
ui
avait une belle voix, aimait chanter des petites chansons, comme par exempl=
e la
chanson de Line RENAUD « un joli petit chien dans la
vitrine » et nous gamins, nous ressassions après chaque
couplets des « ouah-ouah »=
;, et
pour lors, j’étais dans la peau d’un chien. Il y avait u=
ne
chanson qui nous gênait, c’était quand ma grand-mè=
;re
disait « Ma grand-mère est enterrée, dans le jardi=
n de
monsieur le curé, un chien y a fait pipi dessus et elle est revenue
toute nue »
C’est à l’occasi=
on
d’un de ces repas que je m’aperçus que ma tante
Zézette (Marie Louise), sœur jumelle de ma mère, avait un
problème à l’un de ses doigts. En effet, il lui manquait
les deux premières phalanges de son index. Cela m’inquié=
;ta
beaucoup. Ma tante, voyant mes yeux fixés sur son handicap et mon
embarras, mit fin à mes interrogations, en m’expliquant
qu’un cochon lui avait mangé le morceau de doigt manquant. Je
m’imaginais la scène et en était horrifié. Plus
tard, ma mère m’expliqua que ma tante dans sa jeunesse avait e=
u un
panaris et que le médecin avait été dans
l’obligation de lui amputer le doigt.
En évoquant cet=
te
histoire de cochon, je ne peux oublier à quel point les porcs de la
ferme m’intéressaient. J’aimais les observer, les voir
manger, courir, se vautrer dans la boue, se disputer. Les jeunes gorets, les
yeux vifs courraient dans la cour de la ferme comme des jeunes chiots.
Drôles quand ils se poursuivaient ou quand la nourriture leur é=
;tait
distribuée dans la grande auge. Les gorets ne se contentaient pas de
plonger leur groin, ils se jetaient hardiment dans l’auge, se faisant
bousculer par les truies ou des porcs plus gros. On entendait des grognemen=
ts,
des couinements, c’était une authentique mêlée d&=
#8217;où
s’échappait un concert anarchique.
Avec ma grand-mè=
;re,
nous avions élevé un porcelet qui, sans doute malade, avait
été rejeté par sa mère. Ce petit cochon que nous
avions baptisé Roudoudou, nous l’avions soigné, nourri =
et
il finit par devenir mon ami. Ce petit cochon grandit. Un jour où no=
us
étions venus passer quelques jours à la ferme, je courus voir=
mon
Roudoudou. Son local était vide. Je fis le tour de la ferme et toujo=
urs
point d’animal. Je questionnais ma grand-mère sur cette
mystérieuse disparition et elle me répondit qu’elle ava=
it
donné Roudoudou à ma tante Zézette qui voulait un coch=
on
pour sa ferme. J’étais contrarié. J’estimais que =
ma
grand-mère n’avait pas eu le droit de donner mon ami sans mon
consentement, car un ami c’est pour la vie. J’étais pour=
tant
très jeune à cette époque, quatre ou cinq ans, mais
j’en voulus à ma grand-mère.
Quelques temps plus ta=
rd,
avec mes parents, nous avons eu l’occasion, pour un Noël, de nous
rendre chez mon oncle Bertrand et sa femme Zézette qui habitaient une ferme près de COURBET. Quand nous
sommes arrivés chez eux, je demandais à ma tante où
était Roudoudou. Ma tante qui visiblement n’était pas au
courant de la situation me demanda qui était ce Roudoudou. Je lui
expliquais ce que sa mère m’avait dit. Alors, malgré mon
jeune âge, je compris que mon ami ne faisait sans doute plus partie d=
e ce
monde. Je ne me souviens plus de ce que répondit ma tante, mais je s=
ais
que ce jour-là fut pour moi la première des injustices de ce =
monde.
Dans ce pays, ce qui
marquait le plus, c’étaient les grosses chaleurs
d’été. Dès la fin de la matinée, nous
sentions que quelque chose changeait. La douceur matinale laissait la place=
au
midi. Un parfum lourd envahissait le pays et l’atmosphère deve=
nait
chaude, laiteuse, peu fluide.
En début
d’après midi, le soleil était à sa plus grande
forme. Insolent, il labourait, pétrissait tout ce qui
n’était pas mis à couvert. A l’extérieur d=
e la
propriété on aurait dit que la vie s’était
arrêtée, assommée par les pressions suffocantes du sole=
il devenu
maître des lieux. La table de marbre où séchaient les
figues, les toitures, les escaliers, les murs, tout était brûl=
ant.
Les terres semblaient être grillées par un feu ardent et
invisible. Au lointain, le petit train que l’on voyait si bien le mat=
in,
n’était plus qu’un fin ruban noir, flottant au milieu
d’émanations d’air vibrantes et fiévreuses.
C’était
l’heure de la sieste pour les humains comme pour les animaux. Un sile=
nce
monastique régnait dans la maison, à peine troublé par=
le
vol fou, bourdonnant et zigzaguant des mouches .=
Dans
l’écurie, les vaches, couchées dans un semblant de
fraîcheur, ruminaient en lançant de temps en temps quelques gr=
ands
souffles de bien être. Les chiens de la propriété
recherchaient l’ombre, haletants , la lang=
ue
pendante sur le côté. Les volailles à l’abri sous=
les
charrettes ou tout ce qui pouvait leur apporter un peu d’ombres
s’épouillaient où caquetaient. Il fallait attendre, gue=
tter
l’accalmie du soleil pour sortir, revivre.
Cette chaleur que nous
contestions d’alors me manque aujourd’hui. Chaleur de chez nous=
, de
mon village, de mon royaume, de mon enfance.
Parfois, sur la terras=
se, en
fin de soirée, nous pouvions contempler un ciel couleur grenadine, q=
ui
laissait supposer que le lendemain nous aurions du « SIROCCO&nbs=
p;»
, un vent chaud de ce pays d’Afrique du nord.
Enfant rêveur et
nostalgique, j’aimais me réfugier, en fin de journée, d=
ans
le salon de la tourelle où je me laissais flotter dans un bonheur
mystérieux. Les genoux sur le divan, devant la fenêtre, je rem=
arquais
que le soleil commençait à faiblir, fatigué d’av=
oir
trop caressé nos collines, il s’enfonçait tout doucement
derrière elles, épuisé, rougeoyant, ivre d’avoir
abusé du sang de notre terre. Tout doucement, il disparaissait, et j=
e le
regrettais. Avec lui, c’était une journée qui allait
s’effacer, une journée qui ne serait plus qu’un souvenir,
comme ces moments merveilleux qu’on voudrait conserver à tout
jamais. Ce salon, où régnait une atmosphère paisible,
semblait vivre en harmonie avec les couleurs orangées, cuivré=
es
et vacillantes du soleil. Parfois, une lumière pénétra=
it
à travers les vitres avec un éclat céleste, subtil, do=
ux
et interrogatif. J’ai en mémoire ce rayon lumineux qui caressa=
it
un petit cadre, suspendu dans un angle de mur, dont je conserve le souvenir=
. Il
renfermait une photo en noir et blanc, représentant un troupeau de
bovins. Cela me fit une sensation étrange, sans pouvoir dire ce que =
je
ressentais. Sans doute, était-ce quelque chose de mystique.
J’avais la sensation de vivre dans un lieu de quiétude tel un
sanctuaire. Pourtant, mon esprit était troublé par cette fin =
de
journée. Au loin sur le plateau, face au soleil couchant, dans un ca=
dre
bucolique, j’apercevais quelques vaches en train de paître. Ce
n’était pas les nôtres, déjà rentré=
es.
Je changeais de
fenêtre, et j’essayais, en apercevant mon village, d’ente=
ndre
ses lointains murmures, en m’imaginant les gens affairés dans
leurs tâches. Les uns rentrant chez eux, les autres faisant la causet=
te
dans les rues, devant leur maison ou leur jardin. Je pensais à mes
grands-parents paternels, en bas, dans leur H.L.M.. Ma
grand-mère préparant le souper dans sa cuisine. Sur le tard,
après le repas, mon grand-père irait jouer aux boules, sous l=
es
platanes, devant chez lui, pendant que ma grand-mère, assise sur une
chaise, dehors, devant la fenêtre de la cuisine, accompagnée
d'autres femmes, le tricot dans leurs mains, regarderaient jouer les hommes.
Tandis que mes oncles paternels Aimé et Claude seront pour l’u=
n,
en train de briquer sa moto, pour l’autre de taper l’anisette et
chahuter avec ses copains, au café de monsieur BAGUR, et parler du f=
oot
qui dans ce village avait une place non négligeable. Je pensais aussi
à mes copains qui joueraient sans moi.
La cueillette des figu=
es
faisait partie du travail de la ferme. Nous installions une échelle =
ou
un escabeau sous un figuier. Toutes les figues arrivées à
maturation étaient ramassées. Celles qui se trouvaient dans l=
es
branches bien trop hautes, étaient recueillies à l’aide
d’une gaule de roseaux, dont une extrémité était=
fendue en trois parties égales, puis écartées à
l’aide d’une petite pierre placée dans l’axe de la
gaule. Ensuite, les parties fendues étaient reliées entre ell=
es
par du fil de fer. Cela faisait penser à de petits entonnoirs. Il ne
restait plus qu’à tendre la gaule, d’emprisonner le fruit
choisi et de faire pivoter la gaule d’un demi-tour pour l’en
décrocher. Les figues étaient ensuite alignées dans un
panier plat en osier, dont le fond avait été au préala=
ble
tapissé de feuilles de figuier.
De temps à autr=
e,
après avoir gardé ses vaches dans les collines, mon oncle me
rapportait des petites boulettes de gommes blanches,
récupérées dans le cœur de fleur de chardons. Il
faisait de moi un enfant heureux et je mastiquais ces gommes, de la mê=
;me
façon que les chewing gums.
L’année
où mon oncle Henri partit en vacances pour la France, c’est mon
père qui s’occupa de la propriété. Un soir
qu’il retournait à l’écurie, il me demanda de le
suivre. Il avait dans ses mains un vieux sac en toile de jute et me dit ava=
nt
d’entrer dans l’écurie si je souhaitais voir la naissance
d’un petit veau. Bien évidemment ma réponse fût
positive. Pour lors, je talonnais mon père et vis qu’il avait =
préalablement
placé une balle de paille, juste derrière une vache, sur laqu=
elle
nous nous sommes assis. Il essaya, je pense avec une certaine mésais=
e,
de me dépeindre ce qui allait se passer, et me dit entre autre, que =
je
commençais à être disposé pour comprendre certai=
nes choses.
J’étais fier et en même temps un peu embarrassé p=
ar
mon audace des premiers moments qui commençait à
s’étioler. Après quelques minutes écoulée=
s,
mon père m’annonça que la vache ne tarderait pas &agrav=
e;
vêler. En effet, je remarquais une chose inaccoutumée : se
présentait, à une partie de l’anatomie de la vache que =
je
ne connaissais pas, deux petits semblant de sabots. Solidairement joints
ceux-ci firent leur apparition, suivis des pattes. Mon père caressa =
la
vache, lui dit quelques paroles pour la tranquilliser et emmaillota avec le=
sac
de jute les petites pattes qu’il se mit à tirer avec
fermeté et bon sens afin d’aider la vache à se
délivrer.
Les deux petites pattes
laissèrent place à un petit museau rose, suivit la tête
puis tout le reste en une gro=
sse
masse gluante pour enfin être complètement expulsé. Mon
père sectionna le cordon ombilical qui reliait le veau à sa
mère, dégagea le veau d’une partie de son enveloppe, lui
sortit quelques mucosités de la gueule, prit le veau et le dé=
posa
devant sa mère qui le lécha instantanément à gr=
ands
coups de langue râpeuse sur tout son petit corps avec beaucoup de
tendresse afin de lui ôter les derniers fragments de son enveloppe.
Quelques minutes plus tard, mon père guida le veau, encore tout
chancelant sur ses pattes, sous le pis de sa mère, lui mit un des
trayons dans la gueule, que le veau avec inhabileté téta. Mon
père me dit qu’il était très important que le ve=
au
prenne le premier lait. Plus tard, j’appris qu’il s’agiss=
ait
du colostrum. La vache avait mis au monde une petite génisse à=
; la
robe marron clair avec la face blanche, que nous avions baptisée
Francette. J’avais été impressionné par le
déroulement de l’opération, mais fier que mon pè=
re
me prenne pour un homme et de ce secret qu’il me dévoila. Secr=
et
que j’avais l’impression de ne partager qu’avec lui.
Ainsi, ce
n’était plus le bon Dieu qui déposait les
bébés animaux auprès de leur mère. Une partie d=
e ma
naïveté venait de tomber, et je m’étais senti gran=
di.
Complice avec mon père d’une chose que mes sœurs ignoraie=
nt
et voire peut-être ma mère ? Car si les bébé=
;s
animaux naissaient comme je venais de le découvrir, les
bébés humains ne pouvaient qu’être achetés
dans les magasins spécialisés. C’est un peu plus tard q=
ue
je questionnais ma mère à ce sujet et qu’elle
m’appris qu’il suffisait de mettre une petite graine du papa (d=
ont
j’ignorais la provenance) dans le ventre de la mère, et
qu’une fois le bébé grandi il suffisait de dénou=
er
le nombril de la maman pour que l’enfant paraisse. A 9 ans je n’étais pas
très évolué sur ce sujet. Entre 12 et 13 ans quand
j’embrassais pour la première fois une fille sur ses
lèvres, je crus que peut-être elle serait enceinte.
Le mardi était =
jour
de marché. J’aimais être présent chez mes
grands-parents paternels, ils habitaient juste en face du marché, ai=
nsi
nous pouvions voir les allées et venues des commerçants.
Perchés sur leu=
rs
dromadaires, mulets, bourricots, chevaux de petites tailles, ils arrivaient=
en
longues caravanes ou en solitaires, mais il en arrivait de partout. Beaucoup
descendaient des montagnes, venaient de tous les bleds environnants. De
véritables clameurs s’élevaient. Cris des caravaniers,
blatèrement des dromadaires, bêlement des troupeaux de moutons=
et
de chèvres, braiment des mulets et bourricots.
Un bruit sourd et sec
montait d’un sol résonnant, martelé par les sabots des
bestiaux. En plus de leur cavalier, les bêtes transportaient des pani=
ers
qui leurs cintraient les flancs, chacun de ces paniers était rempli =
de
marchandises tels que légumes, volailles, épices. Pour
d’autres c'était des tapis ou différentes étoffe=
s.
Tous arrivaient devant
l’entrée du marché et s’engouffraient par
l’unique porte. Chacun d’eux essayait de trouver une place pour
loger sa monture. C’était un véritable brouhaha. Certai=
ns
dromadaires, qui ne voulaient pas se baisser, donnaient de véritables
difficultés aux cavaliers qui souhaitaient descendre de leur monture.
Alors s’en suivaient quelques coups de gueule, quelques coups de
bâton, et les bêtes, dans des blatèrements rageurs
finissaient par se coucher. Les bourricots, parfois, se mettaient à
braire, levant leur museau vers le ciel et se laissaient aller dans de long=
ues
lamentations.
Les moutons et
chèvres étaient rassemblés par petits groupes, chaque
propriétaire les proposant à la vente.
Certains « =
Indigènes »
transportaient sur leur dos des carcasses de moutons, aux toisons toutes
sanguinolentes et dont la tête traînant au sol laissait des tra=
ces
sur la chaussée, qui venaient d’être égorgé=
;s
dans une pièce réservée à cet usage.
Sur la grande place du=
marché,
chaque commerçant s’installait. Assis à même le s=
ol,
les commerçants avaient dressé leurs étalages
d’où s’élevaient des petites pyramides de
différentes épices, de gâteaux de semoule et de miel.
Les discussions allaie=
nt bon
train entre commerçants et clients. Le marchandage était de
coutume. Des femmes voilées, transportaient sur leur tête des
petits paniers en roseaux tressés, remplis de légumes, fruits=
etc...
Mon grand-père
paternel, un couffin dans une main, un filet dans l’autre, partait ai=
nsi
au marché. Il pénétrait de ce fait au milieu de tous c=
es
marchands qu’il connaissait pour la plupart. Il leur parlait en arabe,
échangeant des gentillesses, parfois des reproches quand le
commerçant exagérait sur les prix. Alors mon grand-père
marchandait, rigolait et faisait semblant de partir et le commerçant=
qui
ne voulait pas perdre son client de le rattraper et lui proposait un meille=
ur
prix.
Mon grand-père serrait la main à plusieurs de ces commerçants et chacun d’eux portait machinalement une main à la poitrine qu’il ramenait ensuite en avant en disant en arabe « LA BESSE &ra= quo; et à mon grand-père de répondre « LA BESSE » (qui veut dire ça va bien !). Mon grand-père qui savait très bien parler l’arabe, engagea= it alors de petites discussions avec eux. Puis, il continuait sa tourné= e, remplissant son couffin, suivant une liste de commissions parfois établie par ma grand-mère ou bien choisie par lui suivant la qualité des produits exposés. Alors, le couffin se remplissai= t de beaux légumes frais, de beaux fruits tels que melons, pastèqu= es, nèfles. Ensuite, il achetait une paire de poulets ou un lapin vivant. Pour certains produits comme la viande, il préférait aller ch= ez son boucher, sans doute estimait-il que la viande était plus saine.<= o:p>
L’ét&eacu=
te;,
une ou deux fois par semaine, il allait acheter =
un
bloc de glace chez le glacier qui était accolé au café
BAGUR qui, à l’aide d’une pique en fer, décrochait
d’une grande poutre de glace un petit bloc que mon grand-père
glissait dans son filet. Ce bloc de glace était placé par la
suite dans une glacière située dans leur cuisine et qui
permettait ainsi de conserver aux frais certains aliments périssables
ainsi que des bouteilles de bière.
Ma grand-mère
paternelle était une personne très soignée pour sa mai=
son.
Chaque pièce était soigneusement entretenue, aucune
poussière n’était tolérée. Bonne
cuisinière, je me souviens de ses petits ragoûts qu’elle
faisait revenir dans sa cocotte en fonte. Elle versait un peu d’huile
qu’elle faisait chauffer, puis elle versait quelques petites
échalotes qu’elle faisait revenir et ajoutait un morceau de mo=
uton
ou de boeuf, cela sentait bon. Parfois nous plongions un petit morceau de p=
ain
au fond de la cocotte que nous nous empressions de savourer. Ma
grand-mère utilisait souvent de la sauce tomate. Parmi ses recettes,
nous pouvions trouver les flans, le pain perdu, les poires au vin et une ch=
ose
que je détestais c’était le flan au riz.
Les après-midi,=
comme
chez ma grand-mère maternelle, nous faisions une petite sieste. Ensu=
ite,
ma grand-mère se mettait à faire son repassage dans la cuisin=
e.
Elle disposait de trois fers en fonte qu’elle mettait à chauff=
er
sur une cuisinière à charbon. Puis à tour de rôl=
e,
dès qu’un des fers était suffisamment chaud, elle
l’employait en le faisant glisser sur un torchon humidifié qui
couvrait le vêtement à repasser. Je trouve que ma
grand-mère avait beaucoup de courage lorsqu’elle repassait
l’été, où à l’extérieur une
chaleur torride tapait contre les façades de la maison.
Les vacances
passées chez mes grands-parents paternels, étaient bien différentes =
de
celles vécues à la ferme. La discipline était de rigue=
ur.
Bien évidemment il n’était pas question de monter sur l=
es
fauteuils avec les chaussures ou d’étaler une armée de
petits cailloux dans la salle à manger, ni même de s’amu=
ser
avec l’eau du robinet. L’appartement de mes grands-parents
était toujours bien propre, et nous enfants, comme les adultes, devi=
ons
continuellement avoir une tenue correcte. Mes grands-parents sortaient de la
campagne, mais pour ma grand-mère la propreté était
essentielle. Nous avions les heures bien réglées. La grâ=
;ce
matinée n’était pas tolérée, alors venait
l’heure du petit déjeuner, de la toilette après que cha=
cun
des enfants ait lavé son bol de lait. Puis arrivait l’heure de
faire les courses avec mon grand-père. Au retour, nous avions droit =
de
nous amuser sur le trottoir devant la maison. Un peu avant midi nous aidion=
s ma
grand-mère à mettre la table. Au carillon qui se trouvait dan=
s le
couloir sonnait midi, l’heure du repas. A table nous devions nous ten=
ir
correctement, les coudes n'étaient pas autorisés et le silence
était de règle pour nous enfants tant que la parole ne nous
était pas donnée. Après le repas, venait
l’inévitable petite sieste. Arrivait ensuite mon moment tant
redouté, celui des devoirs. Mon grand-père tenait à ce=
que
j'aie une instruction suffisante afin de ne pas devenir un
« âne » comme il disait. J’avais horreur
d’étudier, dès qu’il s’agissait de la
géographie et qu’il me fallait réciter sans fautes les
départements Français, de nommer le lieu où prenait sa
source tel fleuve, cela me faisait bailler et m’ennuyait beaucoup.
Evidemment, cela n’était pas du tout du goût de mon
grand-père qui me réprimandait. Venait ensuite le calcul ment=
al,
puis l’inévitable dictée criblée de fautes
d’orthographe ; rêveur, je laissais ma plume parler un lan=
gage
qui était mien, écrivant un sens de mots par un autre, du
style :- demain je me lèverai de bonne heure ; par : -
demain, je me lèverai de bonheur. Alors, mon grand-père se
fâchait, et je me mettais à pleurer, et regrettais mon petit
royaume avec ses vaches, ses chiens et ses cochons. Enfin sonnait l’h=
eure
de la libération, et au sourire de revenir. Ma grand-mère me
donnait une tranche de pain perdu ou une tranche de pain avec une barre de
chocolat et je partais heureux, traînant derrière moi mon chev=
al
de bois attelé à sa carriole, m’amuser avec mon copain =
Riri qui habitait quelques maisons plus loin.
Après le repas =
du
soir, nous pouvions nous amuser dans la cuisine, pendant que ma grand-m&egr=
ave;re
faisait la vaisselle. Mes oncles Aimé et Claude s’amusaient de
nous en nous taquinant, alors les rires s’élevaient et mon
grand-père qui était dans la salle à manger de
rouspéter, car il ne pouvait écouter les informations
données par le vieux poste radio et cela faisait rire ma
grand-mère. Après la vaisselle, nous nous rendions dans la sa=
lle
à manger. Ma grand-mère se mettait à tricoter, assise =
sur
une chaise près de mon grand-père, et moi à califourch=
on
sur le rebord du canapé en cuir où se trouvait mon
grand-père qui écoutait une pièce diffusée &agr=
ave;
la radio. Arrivait l’heure d’aller au lit, alors mon
grand-père nous prenait un moment dans son lit et nous racontait des
histoires qui nous ravissaient. Il terminait toujours ses histoires de la
même façon. Il nous disait : - elles étaient bien =
ou
pas ces histoires ? Nous étions toujours embarrassés, ca=
r,
si nous répondions que les histoires étaient bien, il nous
répondait : - si elles étaient bien alors ça suff=
it
pour aujourd’hui !. Et si nous lui
répondions que les histoires n’étaient pas bien, il nous
disait : - puisse que mes histoires ne sont pas bien je ne vous en rac=
onte
plus ! Alors, nous partions nous coucher en grommelant, et entendions
notre grand-père rire malicieusement dans son lit. Quand nous
étions au lit, il ne fallait plus chuchoter, sinon nous entendions le
grand-père siffler afin de nous faire taire ou dire : - si je me
lève.... ! Lorsqu’il n’y avait pas suffisamment de
place pour coucher toute la famille, je dormais entre mes grands-parents et
là bien évidemment les histoires se prolongeaient.
Une ou deux fois par semaine, mes grands-parents faisaient la lessive. Le lavoir se situait sur = la terrasse de l’H.L.M. Je revois ma grand-mère la tête plongée vers le bassin, une brosse à la main et frotter les bleus de travail de mon grand-père <= o:p>
27 |
|