Monsieur DOUBLIER, mon
instituteur à Bellefontaine
by fguasch in Ecole Classe Mots-clefs :Bellefontaine
, Doublier, instituteurC’était vers 1947 ou1948.
Nous avions déménagé du ROCHER NOIR pour BELLEFONTAINE. Nous étions dorénavant
à « LA KINSITE », une usine d’explosifs, naturellement perdue dans la nature
pour des raisons de sécurité. A 1km de là, se trouvait la gare, puis le village
à 3kms de notre nouveau domicile. Ce village n’était pas grand, puisqu’à
l’époque il ne comptait que 300 habitants, mais était pourvu de toutes les
infrastructures nécessaires : Ecole, mairie, bureau de poste, monument aux
morts, église, etc.
J’avais un frère aîné de deux ans
de plus que moi. Au ROCHER NOIR, comme il n’y avait pas d’école, nous étions
obligés d’aller au FIGUIER. Inutile de préciser que nos absences étaient
fréquentes, non seulement à cause de l’éloignement, mais surtout par prudence.
Vus que nous étions encore de jeunes enfants, nos parents ne voulaient pas que
nous fassions, seuls, le trajet. Aussi, tout événement important, toute
maladie, avait pour conséquence une absence.
La première fois que nous sommes
allés à l’école à BELLEFONTAINE, mon père avait tenu à nous accompagner, ne
serait-ce que pour faire les présentations, cela lui donnait aussi l’occasion
de voir de plus près le monde scolaire, lui qui, à son grand regret, l’avait si
peu fréquenté, car dans l’obligation d’aller, très jeune, travailler.
Nous arrivâmes alors que la classe
avait déjà commencé, et le brouhaha qui s’en suivit fut le témoignage de la
curiosité des autres élèves. C’est ainsi que je fis la connaissance de mon
nouvel instituteur, Monsieur DOUBLIER, qui se retrouvait donc, en cours d’année
scolaire, avec deux élèves supplémentaires. Je crois que nous étions assez
timides et « sauvages », car il me dit gentiment d’ôter mon chapeau, que je
portais enfoncé jusqu’aux oreilles, et de l’accrocher au porte manteau.
Je sais que nous avons dû par la
suite affronter et surmonter, mon
frère et moi, tous les inconvénients dus à la distance qu’il y avait entre
notre domicile et cette école. Pluie, grêle, froid, nuit, peur et que sais-je
encore ! Nous emportions dans un « couffin » notre repas pour le midi, car il n’y
avait naturellement pas de cantine. Il n’y avait pas non plus d’électricité à
la maison et nous devions faire nos devoirs à la lueur d’une lampe à pétrole ou
d’une bougie, mais n’est-ce pas là l’école de la vie ? Tout cela nous semblait
naturel à l’époque et manquer une journée de classe nous paraissait un délit.
Notre école était assez petite,
ressemblait à celle que l’on voit dans les films de Marcel Pagnol, était mixte
et l’instruction s’étageait du cours préparatoire aux cours moyens.
En moi résonne une petite voix qui me dit : Fais ceci, ne
fais pas cela. C’est
ma conscience… je me souviens encore de ce que M. DOUBLIER nous enseignait,
car le programme prévoyait un cours de morale et d’instruction civique (cela n’est
sans doute plus le cas aujourd’hui).
Lors d’un de ces cours, il nous
raconta une anecdote qu’il avait vécue alors qu’il était militaire et elle nous
avait marqué. Les temps étaient très durs et, en entrant dans la chambre, il
avait surpris un de ses collègues en train de voler dans le colis qu’il venait
de recevoir ; c’était une bastonnade collective assurée, si la chambrée l’avait
su. Toutefois, au lieu de cela, il offrit au voleur de manger tout ce qu’il
avait reçu de consommable. Après un certain temps, celui-ci vint s’excuser et
lui dire qu’il n’avait pas pu manger ce qui lui avait été offert. Notre
instituteur aimait raconter cette histoire qu’il avait vécue, afin que nous en
déduisions toutes les moralités qui en découlaient.
Naturellement il nous avait aussi
raconté l’histoire de « l’écuelle en bois », histoire que l’on retrouve
aujourd’hui facilement sur Internet.
Il ne négligeait pas la propreté. Ce
qui était bien normal. Un jour, en entrant à l’école, il avait vérifié tous les
ongles qui bien souvent étaient en « deuil », car leurs extrémités étaient
noires par la crasse qui y subsistait. Il envoya bien des élèves à la fontaine
située sous le préau, se nettoyer avec un bâtonnet.
Quelques temps après, il fut écœuré
par les odeurs nauséabondes de certains élèves qui, bien évidemment,
négligeaient les règles les plus élémentaires de la propreté et leur refusa
l’entrée à l’école. Ils reviendraient uniquement quand ils seraient propres,
dit-il. Se sentant sans doute humiliée, une maman avait nettoyé son rejeton
dans un baquet avec une brosse à chiendent. Il revint à l’école avec la peau
naturellement toute rouge. Pourtant, notre instituteur voulait seulement que
ses élèves soient propres, pas étrillés …
Nous revenions sans doute de
promenade ou du sport, toujours est-il que tous les élèves de l’école
traversaient le village et qu’un élève avait gratifié un adulte, qui nous
regardait passer, d’un sonore « bonsoir M’sieur ». Il n’en fallait pas plus
pour déclencher successivement des « bonsoir M’sieur » intempestifs de tous les
élèves qui incommodèrent cet adulte bien qu’il ne fît aucune réflexion. Arrivés
à l’école, nous eûmes droit d’ouvrir nos cahiers de morale et de bénéficier
d’un cours sur la politesse.
Comme dans
toutes les écoles, l’entrée s’effectuait après que la cloche a retenti.
Entre-temps nous nous amusions dehors et nous nous retrouvions parfois derrière
l’église pas très éloignée, et dissimulés des regards inquisiteurs pour régler
nos différents. Ce jour-là, le pugilat que j’avais eu avec un autre élève aux
épaules tombantes avait été interrompu par l’assistance car je saignais du nez.
C’est à ce moment que la cloche de l’école sonna. M. DOUBLIER eut tôt fait de
savoir à quoi était dû ce saignement et à connaître mon rival. Au lieu de nous
punir, il argumenta si bien que nous dûmes nous serrer la main. Nous fûmes
désormais de bons amis.
Mais cette anecdote n’est pas la
seule à montrer son côté humain. Mon frère et moi avions souvent des engelures,
sans doute dues à l’humidité froide qui existe en Algérie à certaines périodes
de l’année. Notre mère nous avait tricoté des gants en laine, car à cette
époque c’était le matériau le plus chaud. Il n’empêche que cela était
insuffisant pour faire obstacle aux rigueurs du climat. Souvent nous mettions
les mains sous les aisselles pour nous réchauffer, bien que nous écrivions avec
ces gants, que notre instituteur tolérait car il se rendait parfaitement compte
de nos souffrances. Un jour, il me demanda d’ôter un de mes gants, quand il vit
que je n’avais plus de peau sur les doigts, il me dit de me réchauffer comme je
le pouvais et de ne plus écrire, je me rattraperai ultérieurement avec les
notes prises par mes camarades.
La conjonctivite était très
fréquente, sans doute à la « période des dattes » où le sucre abondant
entraînait une prolifération de mouches particulièrement collantes qui parfois
venaient se nicher aux coins des yeux. Cette conjonctivite était
particulièrement contagieuse, elle se caractérisait par des yeux rouges et il
fallait, le matin au réveil, à cause des sécrétions, décoller les paupières
avec du coton et de l’eau chaude stérilisée. Inutile de préciser que nous ne
pouvions pas aller à l’école pour ne pas contaminer les autres. Mais ne pas
aller à l’école, quel sacrilège ! C’est ainsi qu’après une conjonctivite, je repris
au plus tôt l’école muni de grosses lunettes, genre lunettes de soudeur, mais
notre instituteur savait qu’il devait aussi veiller aux épidémies et aux
contaminations et, gentiment, il me refusa l’entrée de l’école et je dû
retourner chez moi.
A ma connaissance, il n’avait jamais
laissé passer une faute sans la sanctionner. Il possédait cette autorité
naturelle qui se porte avec élégance et qui ne se mesure pas à l’aune des
taloches et des décibels. Je me souviens qu’un élève avait commis une grave faute
; il s’était enfui de l’école. Alors, la classe finie, notre instituteur avait
enfourché son vélo pour parcourir plus de 10 kms et aller le rechercher dans sa
famille. Mais cette famille ne parlait que l’Arabe et notre potache se croyait
à l’abri en se réfugiant derrière une langue que notre instituteur ne
connaissait pas. C’était sans compter sur l’idolâtrie que portaient la plupart
des autochtones. En effet, non seulement ils considéraient la grande notoriété
d’un instituteur, mais le plaçaient sur un piédestal. Dès qu’ils comprirent le
méfait de leur rejeton, les parents voulurent le punir très sévèrement et lui
infliger une mémorable bastonnade. Mais, notre instituteur s’interposa, arguant
que la faute avait été commise à son endroit, et que c’était à lui seul que
revenait la charge de le punir. Malgré la distance à parcourir au retour, il
ramena tranquillement, sur le porte bagage de son vélo, le délinquant à
l’école.
Le coupable avait été condamné, sans
que le manger, le boire et le dormir ne lui manquât, à passer le week-end dans
l’école entièrement déserte. De quoi méditer quand on est seul avec pour seul
compagnon sa solitude … Alors que nous jouions aux billes, nous pûmes lire de
loin, sur son visage le grand ennui de cette prison dorée.
« A mi-hauteur d’une colline, un
laboureur et ses bœufs se reposent. Le sillon n’est pas terminé, mais le
laboureur, sentant la fatigue de ses bêtes, les laisse souffler un peu … ». M ;
DOUBLIER lors d’une leçon de Français nous avait appris à faire une rédaction.
Nous l’avions faite au tableau et en commun. A l’issue de cette leçon, il nous
demanda d’apprendre « par cœur » cette première phrase du texte estimant que
nous l’avions bien élaborée.
J’ai non seulement retenu cette
phrase, mais, alors que j’étais au Cours Complémentaire à Ménerville,
je la plaçais dans la
rédaction que le professeur de Français (M. GODARD), nous avait donnée à faire
; sans pour autant être « hors sujet ». Quelle stupeur, quand il nous avait
rendu les copies, de constater que cette phrase avait fait l’objet d’une
annotation en rouge – dont je ne souviens plus – dans la marge. C’était pour
moi un sacrilège ! De quel droit se permettait-il de critiquer mon instituteur
!
En histoire, nous fûmes amenés à
apprendre l’époque de François 1ier. Comme j’étais un des premiers
de la classe, mes camarades me surnommèrent naturellement François 1ier
… Fait banal direz-vous, Mais qui a, par la suite, son importance.
Les séquences de cinéma nous
faisaient pousser un « ah ! » de contentement. Pourtant, le matériel n’était
pas des plus performants, un vieux projecteur projetait ses images en noir et
blanc, et le film était muet, mais bien des commentaires remplaçaient ce manque
de son. C’était sans compter sur la luminosité environnante, et nous devions
préalablement masquer toutes les fenêtres avec des cadres en bois sur lesquels
était tendu un papier opaque.
A cette époque, nos « ancêtres les
Gaulois » avaient été relégués pour faire place à « l’histoire de l’Algérie ».
Cela nous intéressait davantage, et nous connaissions sans doute bien mieux les
faits « d’Abdel Kader » ou la « casquette du père Bugeaud ».
Mais M. DOUBLIER ne s’en tenait
pas seulement là. Il saisissait bien des opportunités pour nous motiver :
Courses cyclistes, par exemple, qui nous permettaient de mieux connaître la
géographie au travers des exploits de « Zaaf » le «
casseur de baraques », de l’excellent grimpeur « Kébaïli
», de « Zélasco » et autres. Je me souviens que « Djillali » était la lanterne rouge du tour, et, comme un de
nos camarades de classe avait le même prénom, nous nous inquiétions tous les
jours pour savoir s’il avait abandonné ou non. Il tint bon !
Nos promenades servaient souvent
de prétexte à notre instruction. Ainsi, nous allâmes un jour visiter une
orangerie où le gérant nous avait donné toutes les informations sur l’arrosage
de ses arbres, les plantations, les récoltes, les maladies … Comme nombre de
mes camarades, j’ai retenu que le Ceratitis capitas est une
maladie donnée au fruit, car nous trouvions cela bien amusant.
M.DOUBLIER était aussi un grand
sportif. Je me rappelle, notre village en avait accueilli un autre (Palestro, il me semble), pour un match amical de volley
entre adultes. Pour des raisons que j’ignore, notre instituteur avait dû
arriver en retard. Il voulait simplement fonder un club, car il n’était pas
toujours facile de motiver des personnes et de constituer une équipe dans un
petit village comme le nôtre. Nos joueurs faisaient ce qu’ils pouvaient, car le
volley n’est pas inné, tous les joueurs se précipitaient sur le ballon, ce qui
ne faisait rien à l’affaire. Notre score
était des plus déplorables! Dès l’instant où notre instituteur arriva, notre
score s’améliora nettement, son sens de l’organisation fît merveille. Nous ne
fûmes pas vainqueurs, mais l’écart final avec l’équipe adverse fût énormément
réduit.
Devant notre école il y avait un
chêne immense. A une haute branche de cet arbre, notre instituteur y accrocha
une solide corde et nous apprit à nous servir de nos pieds pour pouvoir
grimper.
M.DOUBLIER nous avait également
inculqué la musique, le chant et, comment placer nos doigts sur un pipeau pour
en tirer des sons honorables ! Je me souviens aussi que nous nous retrouvions,
pour les fêtes nationales, au monument aux morts afin d’y entonner une vibrante
Marseillaise.
Vint aussi la distribution des
prix. Elle avait lieu dans un hangar. Pratiquement tous les parents y
assistaient. Tous les élèves avaient un prix ; même les plus mauvais. Dans tous
les cas un livre nous était décerné; et la « Bibliothèque
Verte » était sans doute la plus sollicitée. Mais cette
manifestation n’existe plus de nos jours. Est-ce forcément une bonne chose ?
A la fin du Cours Moyen, les élèves
étaient dirigés vers Ménerville, une localité située
à une dizaine de kilomètres. Naturellement, il fallait prendre le train ou une
Micheline pour s’y rendre, mais ce n’était pas le principal des inconvénients.
La mixité n’existait pas encore, il y avait une école de filles et une école de
garçons à chaque extrémité du village. Les garçons étaient le plus souvent
amenés à aller en CEG, section « fer » ou section « bois » ou encore à passer
le « certificat d’études», après quoi, ils sortaient du système scolaire.
Mon père – à qui je dois beaucoup
et qui n’avait pas eu la chance d’user longtemps les bancs d’une école – alla
trouver notre instituteur, alors que j’étais encore en CM1 (Cours Moyen 1ière
année) et lui demanda s’il n’y avait pas la possibilité de suivre des études
plus longues, car, à Ménerville il y avait aussi les
C.C (Cours Complémentaires) qui allaient de la Sixième à la Troisième. Notre
instituteur lui conseilla d’effectuer directement ma préparation en CM2 à Ménerville, car c’était une classe spécifique où tous les
élèves étaient du même niveau, alors que ce n’était pas le cas dans son
établissement.
C’est ainsi que j’affrontais
pendant une année en CM2 le terrible M. DRAI dont les « tornioles
» et les colères sont encore dans bien des mémoires. Et c’est ainsi que
François 1ier fût dans les derniers à être reçu à l’examen d’entrée
en Sixième ! La méthode forte ne lui convenait certainement pas…
M. DOUBLIER avait été muté comme
professeur à Ménerville quasiment en même temps que
moi, c’est-à-dire vers 1951/52.
Si vous accédez sur le site des Ménervillois (ou par le bas de mon blog) :
cliquez sur la
rubrique « portraits », vous y lirez Dédé Lacour, un excellent narrateur, qui
fait le portrait de M. DOUBLIER du temps où il exerçait à Ménerville.
Pourquoi avoir fait à 71 ans, un
inventaire des activités de M. DOUBLIER alors que je suis un bien piètre
narrateur ?
Non pas uniquement parce qu’il était
mon instituteur, mais surtout parce que c’était un homme d’exception avec des
qualités que l’on ne retrouve plus aujourd’hui. Et puis, ses descendants
voudront sans doute savoir quel homme il était, comme cette fille qui est dans
l’enseignement et qui veut en savoir davantage sur son père qui était
professeur d’histoire quand j’étais au C.C de Ménerville.
Nous sommes de moins en moins nombreux à l’avoir connu, alors que sa notoriété
est indiscutable : Il a exercé à Bellefontaine, puis
à Ménerville, mais cette région n’est qu’un champ de
ruines, suite aux récents séismes qui l’ont frappée. D’après ce que je sais,
l’église de Bellefontaine est appelée à être démolie
(si ce n’est déjà fait), par mesure de sécurité, elle risque de s’écrouler, le
village que j’ai connu a bien changé, une prison pour jeunes délinquants a été
créé, …
Je viens de voir que j’utilisais
le passé comme si M. DOUBLIER n’était plus de ce monde ; en réalité, je n’en
sais strictement rien, mais il y a un élément dont je suis certain, un élément
dont la force est encore plus grande que celle des séismes, c’est qu’il est
encore gravé dans le cœur de ceux qui l’on connu, mais dont l’effectif va,
hélas, en s’amenuisant et, en moi résonne une petite voix qui me dit : Fais ceci,….