Monsieur DOUBLIER, mon instituteur à Bellefontaine

 

 

by fguasch in Ecole Classe Mots-clefs :Bellefontaine

, Doublier, instituteur

http://fguasch.files.wordpress.com/2011/02/doublier-firmin.jpg?w=80&h=100C’était vers 1947 ou1948. Nous avions déménagé du ROCHER NOIR pour BELLEFONTAINE. Nous étions dorénavant à « LA KINSITE », une usine d’explosifs, naturellement perdue dans la nature pour des raisons de sécurité. A 1km de là, se trouvait la gare, puis le village à 3kms de notre nouveau domicile. Ce village n’était pas grand, puisqu’à l’époque il ne comptait que 300 habitants, mais était pourvu de toutes les infrastructures nécessaires : Ecole, mairie, bureau de poste, monument aux morts, église, etc.

J’avais un frère aîné de deux ans de plus que moi. Au ROCHER NOIR, comme il n’y avait pas d’école, nous étions obligés d’aller au FIGUIER. Inutile de préciser que nos absences étaient fréquentes, non seulement à cause de l’éloignement, mais surtout par prudence. Vus que nous étions encore de jeunes enfants, nos parents ne voulaient pas que nous fassions, seuls, le trajet. Aussi, tout événement important, toute maladie, avait pour conséquence une absence.

La première fois que nous sommes allés à l’école à BELLEFONTAINE, mon père avait tenu à nous accompagner, ne serait-ce que pour faire les présentations, cela lui donnait aussi l’occasion de voir de plus près le monde scolaire, lui qui, à son grand regret, l’avait si peu fréquenté, car dans l’obligation d’aller, très jeune, travailler.

Nous arrivâmes alors que la classe avait déjà commencé, et le brouhaha qui s’en suivit fut le témoignage de la curiosité des autres élèves. C’est ainsi que je fis la connaissance de mon nouvel instituteur, Monsieur DOUBLIER, qui se retrouvait donc, en cours d’année scolaire, avec deux élèves supplémentaires. Je crois que nous étions assez timides et « sauvages », car il me dit gentiment d’ôter mon chapeau, que je portais enfoncé jusqu’aux oreilles, et de l’accrocher au porte manteau.

Je sais que nous avons dû par la suite http://fguasch.files.wordpress.com/2011/02/cp5.jpg?w=535&h=363affronter et surmonter, mon frère et moi, tous les inconvénients dus à la distance qu’il y avait entre notre domicile et cette école. Pluie, grêle, froid, nuit, peur et que sais-je encore ! Nous emportions dans un « couffin » notre repas pour le midi, car il n’y avait naturellement pas de cantine. Il n’y avait pas non plus d’électricité à la maison et nous devions faire nos devoirs à la lueur d’une lampe à pétrole ou d’une bougie, mais n’est-ce pas là l’école de la vie ? Tout cela nous semblait naturel à l’époque et manquer une journée de classe nous paraissait un délit.

Notre école était assez petite, ressemblait à celle que l’on voit dans les films de Marcel Pagnol, était mixte et l’instruction s’étageait du cours préparatoire aux cours moyens.

En moi résonne une petite voix qui me dit : Fais ceci, ne fais pas cela. C’est ma conscience… je me souviens encore de ce que M. DOUBLIER nous enseignait, car le programme prévoyait un cours de morale et d’instruction civique (cela n’est sans doute plus le cas aujourd’hui).

Lors d’un de ces cours, il nous raconta une anecdote qu’il avait vécue alors qu’il était militaire et elle nous avait marqué. Les temps étaient très durs et, en entrant dans la chambre, il avait surpris un de ses collègues en train de voler dans le colis qu’il venait de recevoir ; c’était une bastonnade collective assurée, si la chambrée l’avait su. Toutefois, au lieu de cela, il offrit au voleur de manger tout ce qu’il avait reçu de consommable. Après un certain temps, celui-ci vint s’excuser et lui dire qu’il n’avait pas pu manger ce qui lui avait été offert. Notre instituteur aimait raconter cette histoire qu’il avait vécue, afin que nous en déduisions toutes les moralités qui en découlaient.

Naturellement il nous avait aussi raconté l’histoire de « l’écuelle en bois », histoire que l’on retrouve aujourd’hui facilement sur Internet.

Il ne négligeait pas la propreté. Ce qui était bien normal. Un jour, en entrant à l’école, il avait vérifié tous les ongles qui bien souvent étaient en « deuil », car leurs extrémités étaient noires par la crasse qui y subsistait. Il envoya bien des élèves à la fontaine située sous le préau, se nettoyer avec un bâtonnet.

Quelques temps après, il fut écœuré par les odeurs nauséabondes de certains élèves qui, bien évidemment, négligeaient les règles les plus élémentaires de la propreté et leur refusa l’entrée à l’école. Ils reviendraient uniquement quand ils seraient propres, dit-il. Se sentant sans doute humiliée, une maman avait nettoyé son rejeton dans un baquet avec une brosse à chiendent. Il revint à l’école avec la peau naturellement toute rouge. Pourtant, notre instituteur voulait seulement que ses élèves soient propres, pas étrillés …

Nous revenions sans doute de promenade ou du sport, toujours est-il que tous les élèves de l’école traversaient le village et qu’un élève avait gratifié un adulte, qui nous regardait passer, d’un sonore « bonsoir M’sieur ». Il n’en fallait pas plus pour déclencher successivement des « bonsoir M’sieur » intempestifs de tous les élèves qui incommodèrent cet adulte bien qu’il ne fît aucune réflexion. Arrivés à l’école, nous eûmes droit d’ouvrir nos cahiers de morale et de bénéficier d’un cours sur la politesse.

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http://fguasch.files.wordpress.com/2011/02/cp.jpg?w=535&h=401Comme dans toutes les écoles, l’entrée s’effectuait après que la cloche a retenti. Entre-temps nous nous amusions dehors et nous nous retrouvions parfois derrière l’église pas très éloignée, et dissimulés des regards inquisiteurs pour régler nos différents. Ce jour-là, le pugilat que j’avais eu avec un autre élève aux épaules tombantes avait été interrompu par l’assistance car je saignais du nez. C’est à ce moment que la cloche de l’école sonna. M. DOUBLIER eut tôt fait de savoir à quoi était dû ce saignement et à connaître mon rival. Au lieu de nous punir, il argumenta si bien que nous dûmes nous serrer la main. Nous fûmes désormais de bons amis.

Mais cette anecdote n’est pas la seule à montrer son côté humain. Mon frère et moi avions souvent des engelures, sans doute dues à l’humidité froide qui existe en Algérie à certaines périodes de l’année. Notre mère nous avait tricoté des gants en laine, car à cette époque c’était le matériau le plus chaud. Il n’empêche que cela était insuffisant pour faire obstacle aux rigueurs du climat. Souvent nous mettions les mains sous les aisselles pour nous réchauffer, bien que nous écrivions avec ces gants, que notre instituteur tolérait car il se rendait parfaitement compte de nos souffrances. Un jour, il me demanda d’ôter un de mes gants, quand il vit que je n’avais plus de peau sur les doigts, il me dit de me réchauffer comme je le pouvais et de ne plus écrire, je me rattraperai ultérieurement avec les notes prises par mes camarades.

La conjonctivite était très fréquente, sans doute à la « période des dattes » où le sucre abondant entraînait une prolifération de mouches particulièrement collantes qui parfois venaient se nicher aux coins des yeux. Cette conjonctivite était particulièrement contagieuse, elle se caractérisait par des yeux rouges et il fallait, le matin au réveil, à cause des sécrétions, décoller les paupières avec du coton et de l’eau chaude stérilisée. Inutile de préciser que nous ne pouvions pas aller à l’école pour ne pas contaminer les autres. Mais ne pas aller à l’école, quel sacrilège ! C’est ainsi qu’après une conjonctivite, je repris au plus tôt l’école muni de grosses lunettes, genre lunettes de soudeur, mais notre instituteur savait qu’il devait aussi veiller aux épidémies et aux contaminations et, gentiment, il me refusa l’entrée de l’école et je dû retourner chez moi.

A ma connaissance, il n’avait jamais laissé passer une faute sans la sanctionner. Il possédait cette autorité naturelle qui se porte avec élégance et qui ne se mesure pas à l’aune des taloches et des décibels. Je me souviens qu’un élève avait commis une grave faute ; il s’était enfui de l’école. Alors, la classe finie, notre instituteur avait enfourché son vélo pour parcourir plus de 10 kms et aller le rechercher dans sa famille. Mais cette famille ne parlait que l’Arabe et notre potache se croyait à l’abri en se réfugiant derrière une langue que notre instituteur ne connaissait pas. C’était sans compter sur l’idolâtrie que portaient la plupart des autochtones. En effet, non seulement ils considéraient la grande notoriété d’un instituteur, mais le plaçaient sur un piédestal. Dès qu’ils comprirent le méfait de leur rejeton, les parents voulurent le punir très sévèrement et lui infliger une mémorable bastonnade. Mais, notre instituteur s’interposa, arguant que la faute avait été commise à son endroit, et que c’était à lui seul que revenait la charge de le punir. Malgré la distance à parcourir au retour, il ramena tranquillement, sur le porte bagage de son vélo, le délinquant à l’école.

Le coupable avait été condamné, sans que le manger, le boire et le dormir ne lui manquât, à passer le week-end dans l’école entièrement déserte. De quoi méditer quand on est seul avec pour seul compagnon sa solitude … Alors que nous jouions aux billes, nous pûmes lire de loin, sur son visage le grand ennui de cette prison dorée.

http://fguasch.files.wordpress.com/2011/02/lc3a9glise.jpg?w=535&h=813« A mi-hauteur d’une colline, un laboureur et ses bœufs se reposent. Le sillon n’est pas terminé, mais le laboureur, sentant la fatigue de ses bêtes, les laisse souffler un peu … ». M ; DOUBLIER lors d’une leçon de Français nous avait appris à faire une rédaction. Nous l’avions faite au tableau et en commun. A l’issue de cette leçon, il nous demanda d’apprendre « par cœur » cette première phrase du texte estimant que nous l’avions bien élaborée.

J’ai non seulement retenu cette phrase, mais, alors que j’étais au Cours Complémentaire à Ménerville, http://fguasch.files.wordpress.com/2011/02/cp4.jpg?w=535&h=360je la plaçais dans la rédaction que le professeur de Français (M. GODARD), nous avait donnée à faire ; sans pour autant être « hors sujet ». Quelle stupeur, quand il nous avait rendu les copies, de constater que cette phrase avait fait l’objet d’une annotation en rouge – dont je ne souviens plus – dans la marge. C’était pour moi un sacrilège ! De quel droit se permettait-il de critiquer mon instituteur !

En histoire, nous fûmes amenés à apprendre l’époque de François 1ier. Comme j’étais un des premiers de la classe, mes camarades me surnommèrent naturellement François 1ier … Fait banal direz-vous, Mais qui a, par la suite, son importance.

Les séquences de cinéma nous faisaient pousser un « ah ! » de contentement. Pourtant, le matériel n’était pas des plus performants, un vieux projecteur projetait ses images en noir et blanc, et le film était muet, mais bien des commentaires remplaçaient ce manque de son. C’était sans compter sur la luminosité environnante, et nous devions préalablement masquer toutes les fenêtres avec des cadres en bois sur lesquels était tendu un papier opaque.

A cette époque, nos « ancêtres les Gaulois » avaient été relégués pour faire place à « l’histoire de l’Algérie ». Cela nous intéressait davantage, et nous connaissions sans doute bien mieux les faits « d’Abdel Kader » ou la « casquette du père Bugeaud ».

Mais M. DOUBLIER ne s’en tenait pas seulement là. Il saisissait bien des opportunités pour nous motiver : Courses cyclistes, par exemple, qui nous permettaient de mieux connaître la géographie au travers des exploits de « Zaaf » le « casseur de baraques », de l’excellent grimpeur « Kébaïli », de « Zélasco » et autres. Je me souviens que « Djillali » était la lanterne rouge du tour, et, comme un de nos camarades de classe avait le même prénom, nous nous inquiétions tous les jours pour savoir s’il avait abandonné ou non. Il tint bon !

Nos promenades servaient souvent de prétexte à notre instruction. Ainsi, nous allâmes un jour visiter une orangerie où le gérant nous avait donné toutes les informations sur l’arrosage de ses arbres, les plantations, les récoltes, les maladies … Comme nombre de mes camarades, j’ai retenu que le Ceratitis capitas est une maladie donnée au fruit, car nous trouvions cela bien amusant.

M.DOUBLIER était aussi un grand sportif. Je me rappelle, notre village en avait accueilli un autre (Palestro, il me semble), pour un match amical de volley entre adultes. Pour des raisons que j’ignore, notre instituteur avait dû arriver en retard. Il voulait simplement fonder un club, car il n’était pas toujours facile de motiver des personnes et de constituer une équipe dans un petit village comme le nôtre. Nos joueurs faisaient ce qu’ils pouvaient, car le volley n’est pas inné, tous les joueurs se précipitaient sur le ballon, ce qui ne faisait http://fguasch.files.wordpress.com/2011/02/cp3.jpg?w=535&h=341rien à l’affaire. Notre score était des plus déplorables! Dès l’instant où notre instituteur arriva, notre score s’améliora nettement, son sens de l’organisation fît merveille. Nous ne fûmes pas vainqueurs, mais l’écart final avec l’équipe adverse fût énormément réduit.

Devant notre école il y avait un chêne immense. A une haute branche de cet arbre, notre instituteur y accrocha une solide corde et nous apprit à nous servir de nos pieds pour pouvoir grimper.

M.DOUBLIER nous avait également inculqué la musique, le chant et, comment placer nos doigts sur un pipeau pour en tirer des sons honorables ! Je me souviens aussi que nous nous retrouvions, pour les fêtes nationales, au monument aux morts afin d’y entonner une vibrante Marseillaise.

Vint aussi la distribution des prix. Elle avait lieu dans un hangar. Pratiquement tous les parents y assistaient. Tous les élèves avaient un prix ; même les plus mauvais. Dans tous les cas un livre nous était décerné; et la « Bibliothèque Verte »  était sans doute la plus sollicitée. Mais cette manifestation n’existe plus de nos jours. Est-ce forcément une bonne chose ?

A la fin du Cours Moyen, les élèves étaient dirigés vers Ménerville, une localité située à une dizaine de kilomètres. Naturellement, il fallait prendre le train ou une Micheline pour s’y rendre, mais ce n’était pas le principal des inconvénients. La mixité n’existait pas encore, il y avait une école de filles et une école de garçons à chaque extrémité du village. Les garçons étaient le plus souvent amenés à aller en CEG, section « fer » ou section « bois » ou encore à passer le « certificat d’études», après quoi, ils sortaient du système scolaire.

Mon père – à qui je dois beaucoup et qui n’avait pas eu la chance d’user longtemps les bancs d’une école – alla trouver notre instituteur, alors que j’étais encore en CM1 (Cours Moyen 1ière année) et lui demanda s’il n’y avait pas la possibilité de suivre des études plus longues, car, à Ménerville il y avait aussi les C.C (Cours Complémentaires) qui allaient de la Sixième à la Troisième. Notre instituteur lui conseilla d’effectuer directement ma préparation en CM2 à Ménerville, car c’était une classe spécifique où tous les élèves étaient du même niveau, alors que ce n’était pas le cas dans son établissement.

C’est ainsi que j’affrontais pendant une année en CM2 le terrible M. DRAI dont les « tornioles » et les colères sont encore dans bien des mémoires. Et c’est ainsi que François 1ier fût dans les derniers à être reçu à l’examen d’entrée en Sixième ! La méthode forte ne lui convenait certainement pas…

M. DOUBLIER avait été muté comme professeur à Ménerville quasiment en même temps que moi, c’est-à-dire vers 1951/52.

Si vous accédez sur le site des Ménervillois (ou par le bas de mon blog) :

http://menerville.free.fr/

cliquez sur la rubrique « portraits », vous y lirez Dédé Lacour, un excellent narrateur, qui fait le portrait de M. DOUBLIER du temps où il exerçait à Ménerville.

Pourquoi avoir fait à 71 ans, un inventaire des activités de M. DOUBLIER alors que je suis un bien piètre narrateur ?

Non pas uniquement parce qu’il était mon instituteur, mais surtout parce que c’était un homme d’exception avec des qualités que l’on ne retrouve plus aujourd’hui. Et puis, ses descendants voudront sans doute savoir quel homme il était, comme cette fille qui est dans l’enseignement et qui veut en savoir davantage sur son père qui était professeur d’histoire quand j’étais au C.C de Ménerville. Nous sommes de moins en moins nombreux à l’avoir connu, alors que sa notoriété est indiscutable : Il a exercé à Bellefontaine, puis à Ménerville, mais cette région n’est qu’un champ de ruines, suite aux récents séismes qui l’ont frappée. D’après ce que je sais, l’église de Bellefontaine est appelée à être démolie (si ce n’est déjà fait), par mesure de sécurité, elle risque de s’écrouler, le village que j’ai connu a bien changé, une prison pour jeunes délinquants a été créé, …

Je viens de voir que j’utilisais le passé comme si M. DOUBLIER n’était plus de ce monde ; en réalité, je n’en sais strictement rien, mais il y a un élément dont je suis certain, un élément dont la force est encore plus grande que celle des séismes, c’est qu’il est encore gravé dans le cœur de ceux qui l’on connu, mais dont l’effectif va, hélas, en s’amenuisant et, en moi résonne une petite voix qui me dit : Fais ceci,….