Il était une fois, la Sablière..
Dans un quartier un peu excentré, près d'un joli bois d'eucalyptus, le maire, Mr ZEVACO, avait fait construire trois immeubles de deux étages, de six logements chacun.
L'un d'eux nous fut attribué. Quelle joie, nous avions éprouvée !…
Avant d'y emménager, on s'était risqué à visiter les "H.B.M"(Habitations Bon Marché) en cours de construction.
Dès le début, j'avais alors une dizaine d'années, on s'était vite fait des copains…
La découverte :
Les premiers temps, c'était la reconnaissance du quartier.
Quelle merveille !…
Tels de nouveaux explorateurs, on traversait ce bois d'eucalyptus, un peu sombre mais tellement mystérieux pour commencer à rêver aux innombrables aventures que l'on allait vivre !…
Le long du bois, à gauche, un ruisseau.
Dans le bout, il y avait plusieurs maisons, locaux que la commune utilisait pour entreposer divers matériels, que l'on aurait l'occasion de découvrir plus tard…Dès lors, on l’avait baptisé « La commune », cet endroit..
Toujours dans ce bois, en tournant sur la droite, et tout au bout, on aperçu un terrain plat.
Ce terrain plat, depuis longtemps adapté aux matchs de football était entouré, d'une falaise de sable d'une quinzaine de mètres de hauteur.
A mi-hauteur de cette falaise, un gros trou.
Un trou, que nous avions essayé d'explorer aussi, mais qui se terminait en forme de cône où logeaient des araignées. Encore un mystère…
D'où provenait-il ?…Qui l'avait fait ?…Et pourquoi ?… Toutes nos hypothèses de copains ne répondaient pas à cette question mais cela ajoutait au mystère…
A droite, un grand talus arboré, avec un sentier
qui nous fit découvrir une excavation dans son centre !…
Un volcan ? Oui, c'est ça, c'est un volcan éteint !…
Un volcan !…A la sablière !.. Parce qu'il s'appelait comme cela notre quartier, la Sablière…
On descendit dans le cratère, qui faisait au moins, au moins, quatre à cinq mètres de diamètre…
Un cratère cimenté, une dalle présentant dans un coin une faille assez large pour pouvoir y laisser passer les plus courageux d'entre nous.
Après une petite glissade, on se retrouva à l'intérieur d'une pièce nauséabonde, où certains explorateurs devaient avoir la mauvaise habitude de faire leurs besoins.
Première déception, mais cela resterait quand même notre volcan, même si l'on apprit par la suite que cette construction avait servi de "cochonnier !"
En sortant, la falaise paraissait encore plus haute, car l'entrée du volcan était à un niveau plus bas que le terrain plat.
On poursuivi notre visite, avec toujours des cris de surprise et de joie à chaque découverte.
"Ouais, vous avez vu les gars, une mare !…"
Une mare, au pied de la falaise. Pour y descendre, il fallait emprunter un petit passage étroit creusé dans le sable.
On avait presque fait le tour de notre nouveau domaine, mais pas celui de toutes nos surprises. Tout ce bois d'eucalyptus embaumait le quartier et entourait un court de tennis. Et puis une baraque en bois, où étaient enfermés des cochons.
On arriva à un grand champ cultivé, et en suivant un petit chemin qui le bordait, on tomba sur une très haute construction métallique rouillée, posée sur d'énormes blocs en ciment, du haut de laquelle partaient deux longs câbles qui traversaient toute la campagne environnante. Au loin, un wagonnet, resté accroché.
Bien entendu, on avait escaladé l'édifice jusqu'à ce que notre courage plus que notre prudence nous arrête…
L'inauguration de notre nouvelle résidence fut l'objet d'un banquet installé devant notre immeuble. Toutes les personnalités du village y furent conviées.
Face à nos "bâtiments", un terrain fortement en pente, à droite duquel
un grand olivier nous permettrait de faire des nôtres.
L’un des anciens du quartier, Alain A., avait accroché ce jour-là, une solide corde à l'une des branches surplombant un versant encore plus raide, d'une dizaine de mètres.
Les Tarzans, se balançaient tour à tour dans le vide et revenaient au point de départ, pour passer la liane au Tarzan suivant…
L'impression étant tellement enivrante, que j'essayai de tricher et de faire un deuxième tour en faisant semblant d'être emporté par mon élan…
Mais, c'était sans compter le réflexe d'Alain :
Il essaie de me retenir, et à cause de l'élan, nous restons tous les deux accrochés à la corde qui se balance encore dans le vide ! Mais, le poids de mon camarade me fait lâcher prise et je commence à dévaler en tourbillonnant sur plusieurs mètres. Je suis comme éjecté pour atterrir au fond du ruisseau avec seulement une belle bosse et des égratignures !…
Chaque bâtiment, été couvert par une grande terrasse, sur laquelle chaque locataire, un jour par semaine, faisait sécher son linge. De cette terrasse, le point de vue était très beau.
Des côtés droit et gauche, les montagnes du col de MENERVILLE, dont une culminait à environ mille mètres (Béni-Aïcha), et au loin, on apercevait les crêtes du DJURDURA, enneigées l'hiver.
Autour de cette grand terrasse, un large bord d'au moins cinquante centimètres, donna l'occasion à mon frère Alain d'en faire le tour en courant, et en faisant dresser les cheveux de Madame G. notre voisine, qui eut la sagesse d'avertir ma mère avec ménagement…
Alain était sagement descendu du bon côté…
Les jeux :
La rue non encore bitumée, et pas encore passante, était pour nous, le lieu de "deux-camps" (matches de football), de partie de "mïotes", jeu de billes arabe.
Le terrain plat, servait aussi aux parties de "canettes"…
Ce jeu difficile et dangereux, joué à deux équipes, se terminait souvent en bagarres.
Sorte de "base-ball" rudimentaire, où la balle était remplacée par une canette, petite tige de bois dur, aux deux bouts taillés comme un crayon.
Celle-ci était posée à cheval, au départ, sur deux pierres.
Le lanceur, à l'aide d'un gros bâton, tapait un coup sec sur une de ses extrémités
pour la faire virevolter, et lui donner un coup
violent, pour l'expédier le plus loin possible.
Il recommençait encore deux fois la manœuvre.
Le jeu consistant, pour l'équipe du lanceur, de comptabiliser la plus grande distance entre le point de chute final et le point de départ, en la mesurant à l'aide du gros bâton.
L'équipe adverse, loin d être passive, devait tenter d'attraper la canette en plein vol, des deux mains ou d'une main (plus de points…) ou en s'interposant quelquefois entre le lanceur et la canette !…
Le lanceur alors, ne faisant pas de "détails" en frappant de toute façon la canette ou l'adversaire téméraire…
Hormis le risque pour l'équipe adverse de recevoir (dans la tête ou dans l'œil) la canette pointue, il y avait donc celui d'être également blessé par le gros bâton du lanceur…
L'équipe qui recevait, marquait des points en attrapant la canette en plein vol, selon qu'elle ait été saisie à une main, à deux mains, ou… avec les dents !…
Oui… avec les dents !….
La canette ayant pu être perchée sur une branche du bois voisin…
Lorsque chaque membre de la première équipe avait lancée la canette, on comptabilisait les points et chaque équipe changeait de rôle.
Je ne souviens pas qu'une seule partie, ne se soit pas terminée en injures, en cris et en pleurs, bien qu'avant d'en recommencer une, on se promettait d'être plus prudents et de ne pas être aussi violents que la fois d'avant !…
KADER, nous avait appris à découper dans du bois d'olivier un manche de
" taouète", tire-boulettes, (fronde en français) et à le passer dans le feu pour le durcir.
Les élastiques, selon notre budget étaient achetés chez le cordonnier arabe (Celui qui mangeait des clous… Voir « Portraits ménervillois ») celui "du marché-couvert" qui les découpait dans de la chambre à air, ou chez Madame ROUFFIGNAC, qui tenait le plus beau magasin du village.
Elle nous vendait ses beaux élastiques carrés, en nous recommandant avec son accent de France :
" C'est pour une fronde, non ?… Les enfants, faudra être prudents, hein ?"
Le grand spécialiste avec Kader, c'était Roger S. Roger était très bon chasseur. Il revenait de la chasse avec au bout d'une cordelière, quatre à cinq "djaos" (oiseaux en français), chardonnerets, verderons (verdiers) ou petits pierrots (moineaux).
Malgré nos perpétuels exercices de lancer de pierres, et notre habilité, je ne me souviens pas avoir pu abattre un quelconque "djao"…
Alors, on s'entraînait beaucoup sur les grenouilles de la mare, qui paressaient sur de gros troncs flottants… On arrivait bien à les "dégoter" (atteindre ou tuer) mais elles n'appréciaient pas toujours, car elles poussaient un gros croassement avant de faire la planche sur le dos…
Kader nous apprit aussi à découper de gros
roseaux pour fabriquer des arbalètes très sophistiquées, avec gâchette !... Pour
les flèches, on employait un végétal appelé le "dis", qui donnait de grandes
tiges droites et légères.
On lestait leurs pointes, avec du fil de fer.
Dans les pompons de roseaux, il nous avait montré comment faire de longues sarbacanes, pour lancer loin et fort, des petites boules d'eucalyptus très dures.
La cible c'était souvent les cuisses des filles
très douillettes qui hurlaient en pleurant. Entre garçons, c'était la règle,
on ne s'en envoyait rarement des boules d'eucalyptus, car ça faisait très
mal !!
Toujours Kader avec son couteau, nous montrait comment débiter et décorer une petite branche d'olivier passée au feu, qui servirait à monter un arc puissant.
On employait encore le dis pour confectionner les longues flèches.
La portée de ces arcs était impressionnante.
Kader R. et Christian D. étaient de très bons copains.
Kader disait souvent :
" Ouala, (Ma parole d'honneur !) Christian, c'est comme mon frère de
sang !…
Christian s'était fait une entaille à la main, en coupant un roseau. Le sang coulait un peu et il dit à Kader :
" Comme on est comme des frères, comme les indiens, entaille-toi la main pour mélanger nos sangs !"
Kader prit son couteau, réfléchit, puis répondit :
" Non !".
La décision de Kader n'altéra pas l'amitié des deux copains.
Entre autres réalisations, on savait faire des pièges pour les oiseaux ou autres bestioles :
Un petit trou creusé bien au carré, dans lequel on plaçait des boulettes de pain. Au-dessus, une dalle de pierre en équilibre sur un bâton. Attaché à ce bâton, une corde assez longue.
L'astuce, c'était d'avoir suffisamment de patience pour tenter d'apercevoir si un oiseau volontaire pourrait satisfaire notre désir de capture.
Mais parmi nous, il y avait toujours un impatient qui annonçait à voix haute :
" Les gars, je crois que j'ai vu quelque chose entrer dans le trou !
Et s'il y avait bien un hypothétique oiseau suicidaire, il avait tout son temps pour prendre son essor.
Le piège n'a pas plus fonctionné avec ce système qu'avec celui tenté ensuite : Nouer une petite ficelle au bâton soutenant la dalle, et attacher un bout de pain à la ficelle. La future proie devant faire basculer la dalle et rester capturée, après avoir tirer sur la grosse boulette de pain… La encore…échec !..
A onze ans, on a du mal à imaginer qu'un oiseau si petit qu'il soit, ne puisse pas (ou ne veuille pas) mettre toutes ses convictions pour faire fonctionner le piège!…
Un autre piège que l'on confectionnait était lui, plus sordide…
(J'ai vraiment honte aujourd'hui, « Ouala, la hachma ! », mais à l'époque, on en riait d'avance.
C'était souvent à la plage… Après le bain, au moment de se rhabiller, si on n'y songeait plus, il en y avait toujours un pour proposer :
"Eh les gars ! On fait un piège, on fait un piège !"
Et les gars creusaient un grand trou dans le sable… Au-dessus, on disposait de légers roseaux entrecroisés sur lesquels on posait, des feuilles de journal. Puis, on saupoudrait l'ensemble avec du sable fin pour masquer le piège.
On riait d'avance, en imaginant la chute d'un "gros ballot" qui se promènerait avec sa grosse femme et qui se retrouveraient tout ridicules au fond du trou !…
Jusque là, rien de très méchant me direz-vous…
Non, sauf, qu'au fond du trou, quelques fois…on y rajoutait quelques…oursins…
Plus scientifique, la lampe à carbure de René E., de la "Cité-Just".
Deux possibilités :
La première, en déposant dans une bouteille de verre, quelques morceaux de carbure d'Acétylène (chipés dans un gros bidon à la gare). On enfilait dans le bouchon de liège deux petits tuyaux, et avant de fermer, on ajoutait de l'eau. Le gaz s'échappait par l'extrémité des tuyaux, et on approchait une allumette pour faire naître une jolie flamme au bout de l'un des deux.
La seconde, plus rustique, sans bouteille, mais avec plus de dextérité…
On creusait un petit trou, et on déposait les morceaux de carbure. Puis, on façonnait une petite motte les recouvrant, en essayant de laisser un peu d'air entre le carbure et la terre. Toujours deux petits tuyaux, que l'on pique dans la terre. L'un servant à faire écouler un peu d'eau, l'autre à allumer la lampe !…
Pour cette opération, on faisait toujours éloigner les plus petits d'entre nous…
Les plus grands arrivaient à faire naviguer un petit bateau sous lequel étaient fixés deux gros tubes d'aspirine remplis de carbure.
Nous, on avait bien essayé, mais le nôtre n'arrêtait de tourner sur lui-même en faisant un bruit de marmite en ébullition, et c'était encore un échec !…
Les grands aussi nous apprirent à jouer au "deux-sous":
Un jeu d'adresse, se jouant au pied comme le foot. A la place de la balle, une espèce de pompon découpé dans du papier, comme une papillote. On la glissait et la fixait dans le trou très étroit d'une vieille pièce de "deux-sous" et voilà…
Le jeu qui pouvait se pratiquer à plusieurs, consistait à jongler avec "la balle" sans la faire tomber. En la passant à un autre joueur, avec amorties de la poitrine ou de la tête éventuellement… Des variantes comme au "tennis-ballon", avec deux camps séparés par un trait symbolisant le filet.
Le jeu des cailloux, se jouait comme aux osselets, mais avec une seule main.
En gardant dans la main l'un des cinq cailloux, on le lançait, et on devait rattraper les autres, d'abord un par un, puis deux par deux, puis un et trois, puis les quatre à la fois. Ensuite, on devait effectuer des figures plus difficiles :
Le petit pont, l'omelette, l'appel des camarades etc…
Moins sympathique et plus cuisante…était le jeu des savates. Mieux valait des espadrilles à semelles de corde qu'en caoutchouc…
Les joueurs sont en cercle assis en tailleur. Ils lancent tour à tour les deux savates en l'air. Il y a trois positions d'arrivée au sol. Celles-ci déterminent qui sera :
Le Roi : deux savates sur la face supérieure.
Le bourreau : deux savates sur la face cordée (ou caoutchoutée…).
Le condamné : une savate de chaque face…
Alors, tour à tour la sélection se fait…Jusqu'à ce que soit déterminé le rôle de chacun.
Les rois prononcent la sentence : "x" coups de savates sur les mains du condamné. Le bourreau s'exécute, les mains brûlent et les condamnés d'un tour pouvant être les rois ou les bourreaux d'un autre… Alors, les vengeances font rage, et le jeu, comme à la canette, se termine souvent en querelles.
Les jours de marché, il y avait le marché aux bestiaux, dans un grand terrain clôturé très proche de chez nous.
Certains bourricots étaient attachés à des arbres, dans le terrain qui nous faisait face. D'autres, comme celui qui nous avait attiré, mon frère et moi, n'était pas du tout attaché et broutait paisiblement.
"Allez ! On monte dessus, et on va le faire galoper !"
Je monte devant, Alain grimpe derrière moi.
Avec un claquement de langue, et de deux coups de talons bien placés, on fait démarrer notre petit "brel" !...
Il prend de la vitesse, on rit et on essaie de s'accrocher où l'on peut…
Moi, au cou, mais Alain n'en a pas le temps…
Le bât, détaché par le propriétaire du bourricot, se met à glisser en nous emportant avec lui !… Nous sommes par terre. Moi, je ris encore mais pas mon frère !
Il se relève et regarde son bras qui a prit une forme bizarre.
Alain le saisit et avec le poignet cela lui fait maintenant deux courbes ! Il pleure, pire, il hurle de douleur !
Je me précipite, il s'accroche à mon cou et pleure alors très fort :
" J'ai le bras cassé, j'ai le bras cassé ! Mon petit frère !"
Je ne rectifie pas, car ce n'est pas le moment. Maman après avoir poussé un
" Mon Dieu", maintient avec moi le bras d'Alain. Nous grimpons très vite la petite côte qui nous mène chez le Docteur CHOUSSAT.
Heureusement, le Bon Dieu a bien fait les choses, le cabinet médical est très proche de chez nous.
J'attends dans le couloir, tandis que maman et Alain pénètrent dans le cabinet.
Quelques instants après, le plâtre est posé. Mon frère ne pleure plus.
"Vous aviez besoin de monter sur ce bourricot, hein ?"
Deux têtes se baissent, deux bouches se ferment pas fières, tandis qu'un petit bourricot au bout du champ continue de s'alimenter, et pousse un " Hi-Han !" en arabe, comme pour nous faire comprendre :
" Ci bien fi ! Quand on si pas, on monte pas !"
Le bras dans le plâtre, aurait pu être un handicap pour mon frère. Pas du tout, la preuve :
" Tu vois LACOUX, c'est ton frère qui m'a fait ça !"
Un élève se dirigea vers moi en pleurant et me montra lui aussi une bosse, preuve d'un nouveau coup sur le crâne, nouvelle marque d'Alain LACOUX, le terrible.
Comme je rigolais des exploits de mon petit frère, le blessé me répondit que puisque c'était comme ça, il irait le dire au maître, lui aussi, comme les autres…
Le plâtre à cette époque devait être aussi résistant que les têtes des ennemis d'Alain.
Lorsque le plâtre avait été enlevé, Alain s'était peut-être senti moins fort, comme un certain Samson dans l'Antiquité.
Quelques temps après, Alain m'accompagna en colonie de vacances en France, en Isère, à la " Motte-les-bains ".
Pas de chance… Courant derrière un camarade, peut-être pour lui faire passer un mauvais moment, Alain butte sur un petit obstacle dans la cour, et chute.
Il se relève, et à nouveau son bras prend une forme que je commence à connaître…
A l'infirmerie, on me rassure, Alain est dirigé vers l'hôpital de Grenoble…
Le retour à MENERVILLE se passe bien, et Alain dans l'avion partage ses noisettes avec l'hôtesse de l'air…
" Re-Bonjour M. CHOUSSAT, c'est mon fils qui s'est re-cassé le bras, et je
re-viens pour que vous lui re-enleviez son plâtre !.."
Le professeur CHOUSSAT, en professionnel prévoyant avait bien du commander assez de plâtre pour faire face aux mésaventures de mon petit frère, pourtant…
Pourtant, heureusement que c'était sûrement un homme très avisé, car…
Car, juste avant la rentrée d'octobre… Passa dans notre rue un gros camion.
Il ne passa pas très vite, car Alain s'accrocha aux ridelles pour se faire transporter, mais …
" Re-re-bonjour M. CHOUSSAT, annonça Maman, c'est encore nous !"
Le professeur, avait certainement jeté un coup d'œil sur son gros stock de plâtre, en se félicitant d'avoir bien senti venir…le coup !
Alain avait lâché prise, et le camion lui avait roulé sur le pied…
Tout petit déjà, il avait fait hurler maman, car il avait pris une grosse pierre sur la tête ! Le sang avait pissé et inondé le visage…
Un autre jour, il avait quelque peu taquiné un certain René L., quand ce dernier excédé lui lança dans les jambes, une lourde poignée de porte.
Le mollet avait été bien ouvert, et le sang avait encore giclé.
Le cabinet médical n'était pas loin de chez nous, mais je l'ai déjà dit…
Alain était toujours assez taquin, mais courait très vite… Et lorsque je m'avisais de lui donner une correction, il me semait et mon asthme me rappelait vite à l'ordre…
Ce jour-là, dans la salle à manger, on se disputait une nouvelle fois.
Papa nous avertit une fois, puis deux, puis se fit menaçant…
Il fonça sur nous la main tendue. Alain et moi, commencions à tourner autour de la vieille table, poursuivis par notre paternel qui lança :
" Vous allez voir, si je vous attrape, vous allez voir !"
Oui, on allait voir… Mon père ratant son virage, glissant et se rattrapant tant bien que mal à l'un des pieds du corps supérieur du vieux buffet…
Oui, on allait voir… Et on voyait…
On voyait, les deux portes qui s'ouvrirent et tous, oui tous les beaux verres en "semi-cristal", glisser les uns derrière les autres et atterrir sur le carrelage…
On voyait stupéfiés, sans un mot, sans essayer de l'aider Papa qui appelait Maman à l'aide, mais qui n'arriva à sauver de son beau service, qu'un seul, oui qu'un seul verre !..
Ca criait, à la maison, ça criait !
Alors, avec Alain, pour une fois d'accord, on se retrouve tout en haut de MENERVILLE.
Tout en haut…
Assis dans un champ au-dessus de l'hôpital, on n'ose pas évoquer ce qui allait se passer au retour…
On ne bouge pas de notre coin, mais le soir tombant, on décide de redescendre affronter les foudres des parents…
A la maison, tout est paisible…
Un ange chargé de martinets passe, sans un bruit.
Maman nous désigne de son index notre place à table, sans un mot.
Papa ne commente presque pas l'affaire de cet après-midi…
Je crois qu'il a dit simplement : « A table ! »
Ce matin-là, Gilbert nous réunit :
" Chut, les gars on a un secret !… On est descendu dans une maison de « la commune » en passant par le toit !
Y'a plein de choses dedans, vous allez voir !… On a trouvé…
Alors, on le suit avec l'air de gamins s'apprêtant à faire des coups pas recommandables…
On regarde bien si "y'a personne", on grimpe sur le toit en se hissant à partir du gros tas de gravier…On soulève quelques tuiles, et on se glisse doucement à l'intérieur de la grande maison sombre. On aperçoit des tas de pupitres d'écoliers amassés les uns sur les autres, mais Gilbert nous dit :
" Regardez !…"
Et il nous tend des masques à gaz de la guerre 14-18, semblables à ceux portés par les poilus.
" On les emmène ?…, lance l'un de nous…
Oui, mais si les parents les voient, on va recevoir une "tannée" !…
On était presque devenu raisonnable, car on les avait laissés là. Mais on allait souvent les voir nos masques à gaz, et puis on refermait bien les tuiles après notre passage sur le toit.
Du toit, le jeu consistait à s'élancer pour atterrir sur un gros tas de gravier à trois ou quatre mètres plus bas. Les plus courageux sautaient du sommet du pignon, moi, je ne sautai seulement que du milieu de la corniche...
Gilbert et le petit Ali avaient aussi sauté d'une maison encore plus haute, mais nous ne les avions pas suivis dans cet exploit.
Au printemps, quand le joli pollen des eucalyptus faisait son apparition, les grands façonnaient des petites pipes, dans des roseaux. Ils les bourraient de ce pollen, et après une grosse bouffée, crachaient et toussaient, puis nous les tendaient :
" Si vous voulez être des hommes…"
La fumée acre et piquante envahissait la gorge et les poumons des nouveaux hommes qui eux aussi, crachaient, toussaient et pleuraient…
Après plusieurs jours de pluie, le ruisseau se prenait pour un torrent bouillonnant, car il imitait bien son bruit…
Jour d'école, à la pause après le repas du midi, on se lance avec les copains dans la construction d'un barrage. Les pierres sont posées les unes près des autres et la baignoire est superbe et profonde.
Nos chaussures de tennis posées sur la berge, sont envahies par l'eau qui les transporte presque dans l'énorme buse où se perd le ruisseau. Heureusement, on arrive à les rattraper, trempées.
On les fait sécher au soleil, et on recommence à empiler des pierres et des pierres.
A un moment, René évoque le cours de l'après-midi et chacun sursaute !
" Purée, il est quelle heure ?…C'est bizarre, rajoute-t-il, on n'entend plus les autres enfants jouer aux alentours !"
Et oui, ce jour-là, on sera en retard pour l'école… On enfile nos chaussures de tennis encore trempées, et chacun élabore dans sa tête "un plan d'excuses" pour les prof. de cet après-midi.
Moi, j'ai "Arabe" en première heure.
Au prof. qui me réprimande, je commence à mentir très bien en lui affirmant :
" Je suis allé chercher un pot de colle au village pour ma sœur !"
" C'est sûr ça, LACOUX ? Je peux le vérifier chez le commerçant ?"
"Oui, bien sûr, re-mentais-je !"
Ouf, il me croit, je ne suis pas fier. Seul, mon voisin de classe incrédule, me lance furtivement en se tapotant la joue :
" Eh Dédé !… Petit pot de colle…Tzzz !… !"
La neige :
Le plus beau visage que " la Sablière" m'ait offert, c'était ce matin-là…
Ma mère en ouvrant les fenêtres, avait lancé :
" Les enfants, venez voir, c'est tout blanc, il a neigé !
Nous écarquillons les yeux !… C'est ça la neige ?…
Ma mère, l'avait connue autrefois, la neige à ABOUTVILLE…
Dans des conditions tellement difficiles. Les pieds dans des espadrilles qu'elle fourrait de papier-journal, pour donner à ses pieds un semblant de chaleur…
" Ne touchez pas la neige, sinon, vous aurez des doigts comme des boudins !"
On était tout de même, remonté avec les doigts gourds, en se plaignant.
Ma mère avait trempé nos mains dans une bassine d'eau chaude en nous lançant :
" J'vous l'avait dit ! Ah lala, qu'ils sont "caboutes !" (têtus)
Le décor était grandiose. Nous étions dépaysés.
Le ciel d'un bleu intense et la neige recouvrant nos collines et nos eucalyptus…
"Bon, dit Maman, gardez vos pyjamas sous le pantalon, et ce matin vous n'irez pas à l'école, il fait trop froid !…"
C'était donc jour de fête !…
Avec les copains, dont les parents avaient eu la même bonne idée, on allait découvrir notre sablière enneigée…
Tout semblait tellement calme, reposant… Le soleil faisait scintiller des milliers de petites étoiles sur le sol.
Même la mare était blanche et méconnaissable. Un autre monde…
On était enchanté, ébloui par le spectacle qui nous était offert aujourd'hui.
Le contraste de ce ciel bleu intense et de cette épaisse couche de neige d'un blanc inouï donnaient un décor tellement nouveau que nous en faisions le tour à pas feutrés …
A onze heures, Papa avait fait un feu dans la cheminée et on s'était tous groupés autour, avec sur les genoux une assiette de pois cassés dans laquelle trempait une tranche de pain grillé.
L'après-midi, compte tenu de la tiédeur de la température, chaque parent avait quand même pris la responsabilité de nous envoyer à l'école.
Apparemment, très peu d'élèves n'étaient venus ce matin, à en croire le tapis immaculé de la cour de récréation…
Toutes les classes avaient été rassemblées sur une terrasse de l'école, pour une photo exceptionnelle !…
Ce jour-là aussi, tant les enseignants que les élèves, chacun avait un regard rêveur, souvent tourné vers l'extérieur, contemplant cette superbe image du village, comme on contemple un miracle de la nature…
Les petits soldats :
Comme dans les pays où se déroulent des évènements semblables aux nôtres, les enfants que nous étions, imitaient les soldats.
Armés de mitraillettes "Mat-49" en bois, on patrouillait dans notre rue.
On avait même abordé et suspecté une vieille Algérienne, courbée sous un gros ballot d' herbe :
" Y'a pas des armes dedans ?"
On avait été un peu vexé, quand elle m' avait répondu en posant son index sous son œil :
" Toi militaire ? Alli… digage à l'icole !" (Allez…dégage à l'école !)
Bon…
On pensait vraiment être investi d'une mission, mais même nos talkies-walkies en bois avec leurs antennes "aiguilles-à-tricoter" avaient du mal à impressionner…
Trois appelés du contingent en promenade dans notre quartier nous accostent un peu durement avec leur typique accent de France :
" Ouais, les petits pieds-noirs, vous croyez que c'est marrant de jouer à la "gué-guerre" pendant que nous on se fait tuer pour vous !"
On était interloqué, surpris. On n'avait rien compris, nous les p'tits pieds-noirs.
"Arrête, ils y sont pour que dal, les mômes, laisse tomber, lance un autre !"
Alors, Gilbert le plus brillant élève d'entre nous, leur répond au "tac-au-tac" :
"Vous savez, dans de grands bateaux, nos grands-parents et nos parents, eux aussi sont partis faire la guerre en 14-18 et en 39-45, pour se faire tuer pour vous !…"
Ce jour-là, Gilbert nous fit un cours d'histoire après avoir lancé un :
" B 14-116… Allo B 14-116 ?" pour rejoindre notre camp.
Le camp, un beau terrain en friches situé derrière nos immeubles, nous permettait de fabriquer nos cabanes…
Les gros roseaux étaient employés pour les armatures, tandis que les plus minces entrecroisés et couverts des longues feuilles composaient la toiture.
L'inconvénient de ce camp, c'était que les parents de leurs fenêtres ou de leur balcon pouvaient aisément nous surveiller…
Pendant l'absence de locataires du rez-de-chaussée, M et Mme R., on avait même eu le toupet de "squatter" leur balcon pour en faire un P.C !… Pratique et génial, car il faisait office de "tour de guet" et on y entreposait l'ensemble des armes, munitions en tout genre, etc…
Mais, parmi toute la compagnie, personne n'avait pas prévu que nos voisins reviendraient de vacances si tôt…
A l'heure de la sieste, on avait projeté de récupérer notre attirail…
J'avais alors escaladé sans bruit le balcon, mais une main sortie de derrière la persienne m'avait saisi l'oreille…
Après une brève remontrance, notre voisin assez clément, m'avait fait promettre de ne plus recommencer mais me dit qu'il en parlerait aux parents…
Dans un coin de ce terrain, l'un de nous avait découvert quelques belles pierres taillées comme de gros pavés…
On avait tout de suite creusé et creusé, car notre imagination alors décuplait en même temps que s'élargissait l'excavation…
"Un trésor, ouais les gars… un trésor, allez on creuse !"
Et les gars creusèrent…
Quelques minutes après, une odeur bizarre nous parvint du fond de la mystérieuse cachette…
"C'est peut-être du pétrole ?"
Avec un autre chercheur j'avais osé glisser une main dans cette espèce de petit canal sombre qui plongeait un peu plus profondément…
Un liquide noirâtre, visqueux et surtout nauséabond s'écoula des doigts
des intrépides chercheurs !…
Ce n'était pas du pétrole…Cela n'avait pas du tout la même odeur !
Une infection !…
"Beurk !… Ca pue ! s'écrièrent les autres copains, en se pinçant le nez et s'écartant.
Hélas, l'objet de notre recherche, n'était en fait…qu'une vieille fosse sceptique que l'on avait réussi à mettre à jour !...
On avait rebouché le gros trou et bien nettoyé nos mains.
Malgré cela, les infortunés explorateurs avaient été mis en quarantaine, le temps que l'odeur très caractéristique veuille bien disparaître…
Voilà… C’est comme cela que je la revois encore et que je vous la conte, notre « Sablière », avec tant de moments heureux, mais aussi tant de moments de peur, d’angoisse, quand elle retentissait d’énormes bruits de rafales de mitraillettes, ou d’explosions de grenades en pleine nuit…
Mais ceci, est une autre histoire…