Dédé LACOUX,  raconte encore :

Un après-midi de Juillet 1954, Une injustice à la maternelle, Mon copain Jean-Jo, Les quiquis, Les vêpres,

Bonne année, bonne santé, Patos ou Frangaouis, Marque dommage… 

 

- Les photos  sont de : Jean MARCHAND et André GEX

 

Un après-midi de Juillet 1954...

 

Et la micheline, après un retentissant « Ta....Tout’tat !.. » qui nous fit sursauter et battre le cœur, démarra pour un après-midi de bonheur !

 

« On va à la mer ! » avait annoncé Papa, ce matin-là.

 Et, tandis que mes deux sœurs s’affairaient à empiler dans le grand sac de sport leurs nouveaux bikinis et les serviettes-éponges, Alain mon petit frère et moi, nous nous disputions encore pour savoir qui de nous deux, allait porter le ballon de caoutchouc.

Pendant ce temps, Maman consciencieusement, avait rangé dans la cabassette d’osier de Papa, la coca encore chaude qu’elle venait de préparer et la bouteille d’Antésite toute fraîche qu’elle avait pris soin d’entourer d’un linge humide.

Papa, tel un grand capitaine, avait consulté sa montre d’un air réfléchi et lancé à sa troupe :

  « C’est bon, on va avoir celle de 17 ! »

Celle de 17, c’était la micheline de 13h17, qui devait nous emmener à destination. On était arrivé à la gare à 12h30, car Papa en bon cheminot, préférait ne pas être en retard...

 

Tout MENERVILLE avait eu la même idée, car la micheline grouillait d’enfants énervés qui s’appelaient et gesticulaient. Chacun avait déjà collé son nez contre la vitre, comme pour mieux contempler le paysage...

     « Faudra attendre 4 heures pour vous fout’à l’eau, faut faire la digestion d’abord ! »

Papa avait sans doute raison, mais le temps d’arriver, il n’en serait pas loin !..

« BELLE-FONTAINE ! » La micheline s’arrêtait déjà ! « Du temps perdu ! » pensions-nous... Enfin, quelques minutes après,  « l’ ALLELIGUIA » était en vue.

« L’ ALLELIGUIA », c’était une petite halte, toute seule sur le bord de la voie ferrée, qui abritait comme seuls locataires, hirondelles et moineaux.

 

 

 

La micheline, d’un seul coup se vidait...

Alors commençait à s’étirer, toute une file de gens armés de fouines, de cannes à pêche et, roulant de grosses chambres à air sous le soleil de plomb, pour les deux à trois kilomètres qui allaient nous mener au « ROCHER-NOIR ! »

 

 

 

Après un  premier kilomètre d’une route rectiligne et non abritée, on commençait à apercevoir en contrebas, le liseré bleu de la mer. Et, les commentaires fusaient :

  «  Y’à des moutons vous avez vu, y’à des moutons ! »

  « Faudra pas faire les zouaves ! » avertissait Papa.

Après une longue descente, tantôt à l’ombre d’eucalyptus, tantôt à découvert, le bruit martelé d’une pompe nous rappelait que l’arrivée n’était plus très loin...

Un petit pont qui enjambait un oued à sec, une grande courbe et puis, c’étaient les cinq cents derniers mètres.

 Encore une ligne toute droite bordée d’un côté d’un grand verger, et de l’autre par les dunes de la grande plage.

 

 

 

 

Le village de cabanons juché sur son rocher, et dominé par son château d’eau nous faisait à présent face.

Les roseaux, courbés par le vent, semblaient saluer notre arrivée. L’odeur d’iode et le bruit des vagues maintenant toutes proches, confirmaient l’état de la mer.

 Le pas s’accélérait comme par magie,  jusqu’à devenir une course pour arriver les premiers, à la meilleure place !...

La meilleure place, c’était celle la plus proche des grandes grottes d’où émanait toujours une douce fraîcheur.

 

 

 

 

Chaque famille avait depuis longtemps choisi : la petite plage ou la grande

plage ! Ce jour-là, la grande plage était beaucoup plus appropriée. On pourrait sauter dans les grosses vagues et se faire rouler sur le sable au milieu des cris de joie des copains !

A peine arrivés, les  " guitounes " étaient mises en place. Fabriquées avec une vieille couverture, de la ficelle et des épingles à linge, elles allaient abriter tout ce petit monde, empressé de s’installer et d’aller vite « goûter l’eau ! »

 

 

 

La petite plage si prisée d’habitude lorsque la mer était calme, avec ses rochers  la passerelle et son canal, était boudée aujourd’hui, car les vagues très fortes risquaient de mettre à mal les baigneurs.

Papa avait tout de même traversé le canal  pour  «faire des moules » sous les : 

« Attention Jorjo, que la mer elle tape ! » de Maman.

 

 

 

 

 

Mais, sur un : « Cause à l’autre ! » il avait disparu dans l’écume, avec son sac et sa raclette.

Pourtant, il dut vite renoncer à son activité préférée... Remontant son maillot de coton, et avalant une grosse moule rapidement ouverte, il se rendit à l’évidence :

 « Ben mon ami, elle tape aujourd’hui, rappelle-toi qu’elle tape ! »

Maman avait la lourde tâche de nous surveiller tous les quatre, pour bien observer la sacro-sainte durée de la digestion.

 

 

 

 Mais, à force de tremper les pieds au bord de la plage en regardant Maman comme pour lui dire : «  C’est pas encore la digestion ? » elle finissait par céder en lançant : « J’vais le dire à vote père ! »

Après de longs moments de plongeons, de tasses et de roulades, l’iode emplissait nos narines et creusait nos estomacs.

Maman accourait alors vers nous avec les serviettes, en nous criant :

« Vite, ou vous allez attraper froid ! » 

La coca était alors dévorée, arrosée de la bouteille d’antésite que Maman avait pris la précaution d’enterrer dans le sable, au bord de la plage.

Ensuite, on allait se rincer à la fontaine. La fontaine, était actionnée par une grande roue. L’eau qui  jaillissait très fraîche et très fort, donnait à la peau une douceur agréable et bénéfique.

 

 

 

 

Certains allaient se rafraîchir d’un verre de « Gazouz ou de Sélecto » à la terrasse ombragée de canisses de la « Sardine qui tête », le bar de la grande plage...

                 

  ...18 heures...C’était déjà l’heure du retour...

 

Les « guitounes » étaient démontées, les affaires rangées. On se disait :

   « Au revoir, à la prochaine ! » et de nouveau une longue file de Ménervillois  alors  moins empressée, allaient rejoindre la halte, sous un soleil plus doux qui donnait maintenant, de belles couleurs orangées à ce décor.

Un dernier coup d’œil à la plage, une dernière cabriole dans le sable fin, et cette fois-ci, il fallait y aller ! 

Tout le long de la route, on se montrait ses coups de soleil, en  échangeant les trucs et les remèdes :

  «  Moi, je mets de l’huile et toi ? »  

  «  De l’huile, ça i’ manque ! Mais non, ma grand-mère, elle m’a toujours dit de mettre de la tomate, rien que de la tomate ! »

On retardait encore l’heure de la rentrée, en cueillant sur le bord de la route, des pompons que l’on teindrait avec de l’encre bleue et rouge, et aussi les premières mûres encore acides.

Des parfums de maquis et d’eucalyptus émanaient d’une partie très boisée qui jouxtait la route qui montait à présent.

 La halte était prise d’assaut, mais le banc maculé de tâches brunes et blanches était naturellement réservé aux grandes personnes. Les jeunes traditionnellement en attendant le train, disposaient sur la voie en face, un ou deux gros cailloux, que l’on s’évertuait à « dégommer » sous le regard réprobateur des plus anciens.

Enfin, la micheline de 19h arrivait, sous les :

   «  Attention, voilà l’train ! »

Tout le monde s’installait rapidement sur les banquettes de bois verni et déjà commentait l’après-midi :

  « Elle était bonne et chaude, mais elle tapait ! » et s’adressant aux voyageurs qui revenaient de la Capitale :

   « Vous auriez mieux fait de venir profiter de la mer, au lieu de faire les « GALERIES DE FRANCE » ou «  le « GAGNE-PETIT » avec cette chaleur ! »

Et puis... C’était le grand et interminable escalier de la gare de MENERVILLE que chacun reprenait avec les jambes plus lourdes, un peu essoufflé,  le visage qui chauffait, mais heureux...

... Heureux... Puisque plusieurs semaines ensoleillées nous séparaient encore de Novembre, Novembre...1954.

 

Les colonies de vacances :

(Petit texte dédié à Raymond BIDENNE, mon moniteur de colo…)

 

LODI,  TIKJDA, La MOTTE-les-BAINS, SAUVETERRE de COMMINGES,  cela évoque t’il quelque chose, pour vous ?

Oui ? Non ? Bien sûr ne sont concernés que les enfants de cheminots, et à MENERVILLE, ils étaient légion…

Alors pour les autres, voilà :

LODI, c’était tout de près de MEDEA. Ma première colonie du P.C.M, traduire « Le Petit Cheminot à la Montagne ».

  Passé le premier instant où l’on se trouve un peu perdu, on est vite pris en main par nos moniteurs, plutôt par les « chefs ».

Et cette année là, il y avait chef Henri, Etienne, Régis, Ben, et bien sûr le chef Raymond, et j’en oublie.

On emménage dans un grand dortoir, et on fait connaissance avec nos nouveaux copains. Le directeur, Mr CHASSAGNOL, nous réunit devant le réfectoire, et nous commente notre futur petit séjour, en mettant en garde les turbulents, au cas où il y en aurait…

 Les chansons* ! Du matin au soir, il y en avait toujours une, pour chaque lieu, pour chaque instant ! Le réfectoire, le dortoir, le cinéma, la salle de lecture, les lavabos, les douches, le terrain de basket, lieu de gymnastique et de veillées, l’infirmerie, les adieux . Les promenades, les chansons, les jeux.

 

Exemples, pendant :

La promenade du matin après le petit déjeuner, on grimpait dans ces collines couvertes de rosée et qui embaumaient la menthe sauvage, en chantant :

« Le matin tout resplendit tout chante, la terre rit, le ciel flamboie, et pour nous qui pleuve, ou tonne, ou vente, de tout temps nous chantons notre joie, car chaque jour est un jour de fête… »

Sur la route, « Gauche, gauche, c’est nous les carabiniers, gauche, gauche, chargés de la sécurité, …dans la troupe, y’a pas de jambes de bois, y’a des nouilles, mais ça ne se voit pas… » ou en défilant dans les rues de LODI, cette chanson à consonance chinoise « Lomé toc et la pitchoula..la, et la pitchoula..la et la pitchoulala… »

 

Devant le réfectoire, à midi, c’était : «  Ohé, tous, ohé tous, il faut courir bien vite, ohé tous, ohé tous, il faut nous rassembler… Et, « Ca y est tout le monde est là, s’agit pas de s’en faire… »

Dans la journée, il y en avait de multitudes pour chanter, chanter encore… 

« Savez-vous messieurs et mesdames ce qu’il faut dans une maison, quatre murs, une chaude flamme, de la joie dans toutes saisons… »

A table, le soir, c’était : « Trempons la soupe, trempons la bien, trempons la soupe, car nous avons faim… »

 

A la nuit tombante, c’était « Doucement, doucement, doucement s’en va le jour, doucement, doucement à pas de velours… »

Le dimanche après-midi, on avait le droit à une crème glacée avec ces chansons : « Une jeune fille de 90 ans, en mangeant de la crème, en mangeant de la crème, Ah lui dit sa maman, en mangeant de la crème ça c’est épatant… » et « Un anglais en bras de chemise, un beau soir d’été, sur le pont de la Tamise, ne cessait de répéter :  «BILIBILIBI, BILIBILIBI, Olala, BILIBILIBI… » 

 

 Nos plus belles  promenades, c’était celle du château, du cimetière abandonné, et l’excursion au barrage du GRIB, au Ruisseau des singes et à MEDEA.

Le château en ruines, avait du être une sorte de forteresse, où l’on pouvait jouer aux soldats, à Robin des bois, et aux Mousquetaires, en faisant bien attention de ne pas pénétrer dans certains coins défendus et dangereux… Sur le chemin, on trouvait des petites flèches striées en noir et blanc, de porcs-épics. Le cimetière abandonné, avec ses cyprès, avait un air assez mystérieux… On avait soulevé une dalle assez lourde qui nous fit apparaître des …ossements… L’un des chefs, après nous avait réprimandés, nous fit découvrir un joli caméléon très docile qui grimpait sur son épaule.

 Les veillées se faisaient sur le stade de basket, mais aussi pour le feu de camps, sur une aire déserte derrière la gare. Les chants, les jeux et les sketchs alternaient pour notre plus grande joie.

 

 La sieste, c’était le moment le plus ennuyeux de la journée, car dans le dortoir sombre, il fallait faire silence…Ca c’était très difficile, alors, avec nos voisins, on chuchotait en se racontant des histoires de Marius et Olive, mais les rires à peine étouffés, faisait surgir le Chef, qui nous tirait l’oreille…. 

Enfin, pour nos adieux avec « Ce n’est qu’un Au-revoir », il y avait celle-ci, très belle, que nous chantions la gorge un peu serrée : 

« Il n’est si bonne compagnie, qui ne se quitte, hélas enfin, séparons puisque la vie, déjà sépare nos chemins, mais avant de nous dire au-revoir, tendons nous une main fraternelle, et tous à tous fidèles, restons unis comme ce soir… » 

Le chef Henri, avait une allure de cow-boy, avec sa pipe toujours glissée dans la poche arrière du pantalon. Le chef Ben, d’origine certainement africaine, nous avait donné les rudiments de la boxe, et nous a fait combattre, gentiment, en contrôlant nos gestes…Les chefs Régis, et Etienne nous avait chanté cette chanson, en l’adaptant à leurs prénoms : « Et le seau, il est troué, chef Régis, chef Régis…Avec quoi il faut le boucher, chef Etienne, chef Etienne… »  

 

Une injustice à la maternelle.

 

"Le couteau à droite avec la cuillère, la fourchette à gauche, et mettez bien le verre devant l'assiette, sinon vous pourriez le faire tomber avec votre coude…"

Mme R.,   notre institutrice, nous mimait la scène.

Je revois bien cette petite classe avec sa bonne odeur de craie et de pupitres en bois verni.

Cette maîtresse était charmante et douce mais n'hésitait pas, lorsqu'elle avait à faire à des élèves un peu bavards et remuants, à leur déposer sur la bouche un petit bout de papier collant !

Pas encore du SCOTCH, mais du papier collant.

Pour l'avoir souvent testé,  je me souviens encore aujourd'hui du goût un peu salé et acre de ce "fermoir de caquet". Heureusement, à l'heure des chansons, les petits  indisciplinés en étaient délivré et je pouvais alors chanter avec les autres :

" J'ai descendu dans mon jardin, pour y cueillir du romarin"…

 Mme R. ce jour-là nous annonça :

" Je vais m'absenter ce matin, il faudra être sage, c'est Liliane qui va vous surveiller."

Nous la croisions souvent dans l'escalier avec son balai ou son frottoir.

Liliane M. ne nous semblait pas aussi gentille que Mme R., car elle poussait des cris quand on posait le pied sur les marches qu'elle venait de laver.  

Elle avait un air très sévère quand elle nous parlait, car elle fronçait les sourcils, alors qu'on ne lui avait encore rien fait :

" Prenez vos ardoises, et appliquez-vous bien à faire un dessin au crayon d'ardoise !

Et elle rajouta en levant son index comme pour nous terroriser :

" Attention à ceux qui n'auront pas fait de dessin ! Je les enfermerai dans le cachot noir !"

Le cachot noir… On avait déjà entendu les cris et les pleurs des élèves que l'on y enfermait !....  Alors, chacun s'était tout de suite penché sur son petit rectangle noir et avait commencé de tracer le plus beau dessin qui soit.

La roue de ma brouette était bien ronde, et les brancards bien horizontaux. Elle était bien réussie, ma brouette. J'avais terminé avant les autres. Je jetais un coup d'œil vers le bureau où s'était installée le cerbère. Liliane, les bras croisés, scrutant d'un air méchant les petites têtes qui faisaient mine de se lever, lançait :

" Attention, le cachot !"

Moi, je pris la position du bon petit élève sage et obéissant, en croisant bien les mains, le doigt sur la bouche. Mais, en effectuant ce geste, la brouette avait en grande partie disparu !..  Alors, c'est au moment où je finissais de passer mon petit chiffon humide, pour refaire mon dessin que Liliane annonça :

" Bon, vous avez eu assez de temps maintenant, je passe voir vos dessins !"

Paniqué, j'essayai de tracer une vague brouette sur l'ardoise humide, mais le crayon refusa de m'aider…

"Comment ? hurla Liliane, tu n'as rien fait !… Tu es le seul de la classe à me désobéir !… Allez !… Au cachot !"

Je crois qu'elle ne voulut ni écouter mes protestations ni me croire, car elle me traîna littéralement au bout de la classe, descendit les marches en me tiraillant par les manches, et les dents serrées, et d'un ton presque cruel et amer, cria :

"Au cachot, allez, au cachot !"

Elle me poussa violemment au fond d'un réduit tout sombre où elle entreposait ses balais, bouteilles de Javel, et autres produits à l'odeur piquante.

Je me tapis quelques longues minutes dans un petit coin, le plus proche de la porte, mais mes larmes firent vite place à la révolte.

"C'est pas juste, je le dirai à Mme R. ! C'est pas juste, j'avais dessiné le premier une belle brouette, c'est pas juste, c'est elle qui devrait être punie, Liliane !"

La porte s'ouvrit et dans la lumière vive m'apparut un visage souriant, clément, presque maternel :

"Viens !"

Liliane était absente. Mme R. me prit la main doucement, et je compris que son silence un peu complice, valait bien toutes les explications du monde…       

Pourtant un matin, à l'heure de la récréation, un grand cri nous parvînt d'une salle de classe. Les institutrices s'y précipitèrent, très angoissées.

Quelqu'un venait de se trouver mal et s'était évanoui…

Quelqu'un que l'on essayait de réveiller à grands coups de claques...

Quelqu'un qui venait d'ouvrir une bouteille "d'esprit-de-sel" et qui l'avait respirée… Quelqu'un qui faisait le ménage… Quelqu'un sur qui maintenant s'affairait et s'apitoyait tout le monde …  Tout le monde, sauf…sauf, ce petit garçon qui n'avait pas bougé de son banc, tout seul, le regard vaguement tourné vers le ciel et qui souriait bêtement…  

 

 

 

Mon copain Jean-Jo.

 

Une cour de maternelle semblable à celle de milliers d'autres écoles françaises, mais…

Mais, pas tout a fait comme la notre… La notre, elle avait ceci de particulier :

Elle surplombait le marché à bestiaux, et dans un angle on apercevait une halle où travaillaient les bouchers. De ce coin de la cour, ma mère faisant son marché, me passait souvent une banane à travers le grillage, à l'heure de la récréation.

Les jours de marché, c'était évidemment une grande animation pour les enfants.  Les "indigènes" (parce que c'était, si je m'en souviens, le mot le plus respectueux pour désigner les arabes) amenaient leurs vaches et leurs bœufs dans ce grand espace. D'autres, s'évertuaient à pousser et à tirer de têtus petits bourricots qui rechignaient avec leurs "Hi-Han". On pouvait apercevoir même quelques chameaux, (dromadaires plutôt, car une seule bosse)…

Au milieu de la cour, un grand massif fleuri et dans un angle, une balançoire en bois fichée dans un carré de sable. Voilà la cour de récréation de mon école maternelle.

Autour du bac, je jouais déjà "aux cow-boys" avec un copain légèrement plus grand que moi.

"Moi, je m'appelle Dédé et toi ?"

"Moi, Jean-Jo.

Jean-Jo mon aîné de quelques mois, était dans une classe supérieure, et jusqu'à la "grande école", nous n'avons jamais partagé la même classe. Lui, en plus il ne redoublait jamais. Alors que moi… Bon, hum..au fait…

On se retrouvait pendant presque toutes les récréations, avec nos "mains-pistolets" pour attaquer les bandits ou les méchants indiens.

Au fil des années, il ne se passait pas un seul dimanche, sans que je n'aille rejoindre Jean-Jo qui habitait un ranch,  au bout du village.

A la "Cité SIEGWALD."

Le nom de ce quartier, faisait déjà un peu américain.

Jean-Jo m'attendait donc et avait préparé consciencieusement "les armes".

Les armes, c'étaient de beaux pistolets et revolvers dignes des célèbres cow-boys que nous étions.  

Il habitait donc un grand ranch, où le bureau  du "schérif-buanderie" était aménagé et bien indiqué :

Sur la porte, étaient inscrites en lettres à la craie blanche : " Bureau du shérif", avec une étoile...

On élaborait des merveilles de scénarii à faire pâlir d'envie, les plus grand réalisateurs du genre. Vraiment. On était transporté par les histoires de redresseurs de torts, mais on avait toujours du mal à trouver d'autres copains qui veuillent bien assumer le rôle des bandits ou des méchants indiens.

Vu que les héros de l'histoire, c'étaient nous, Jean-Jo et moi.. Et toujours nous, pas les autres. Le problème, c'était que tous les autres voulaient être avec nous, et qu'il ne restait pas d'adversaires à combattre !..

Alors, on les imaginait !…

Jean-Jo c'était "Plume-blanche", ( ou Flèche loyale) un indien gentil, fort et loyal, toujours copain de "Rex-Malone" un cow-boy vêtu de noir (dans les illustrés) gentil, fort et …loyal.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

Alors, pour donner plus de véracité à ces histoires les deux héros parlaient exactement comme les doublures des vedettes de cinéma américain. On arrivait même à se surprendre de nos  reparties. Trouvailles que l'on aurait pu revendre aujourd'hui aux scénaristes de western, si pauvres en idées par rapport à l'imagination dont nous faisions preuve alors. (mais non, je n'exagère pas !)

Je me souviens qu'il m'arrivait, en regardant un film de cow-boys  d'imaginer en anticipant, le déroulement de ce film, et être un peu frustré et déçu lorsqu'il ne se déroulait pas comme prévu !…

Etait-ce de la vanité ?… Possible, mais il m'arrivait de préférer notre cinéma à Jean-Jo et à moi. Des aventures plus concrètes et plus réelles vécues avec nos émotions à nous !…  

D'autant que derrière le ranch de "Plume-Blanche", il y avait un grand terrain en friche, avec de hautes herbes, une savane ou une vallée perdue (comme on voulait)…

Ce décor était un terrain propice à toutes les situations d'attaques, de galopades de chevaux sauvages, où les méchants étaient tués et re-tués plusieurs fois dans le même film, car on manquait souvent de ce type de  figurants…

Il arrivait que l'on adapte même un quelconque incident au scénario de notre western :

Un jour, me balançant à une potence de sa maison, pardon…de son ranch, j'écrase un nid de guêpes avec une de mes mains !…

Bien sûr, quelques piqûres au bras et à la main.

"Flèche-loyale" fronçant le sourcil rassure le visage pâle et va chercher dans le tepee de sa mère, l'onguent du vieux "Sorcier-pharmacien ZEVACO", pour soigner Rex Malone.

        Ce dernier, sert les dents, mais ne pleure pas, comme un super cow-boy qu'il est !… Le bras et la main sont enroulés dans deux ou trois bandes de "Peau de coyote-Velpo". Ca paraît excessif, vu les deux ou trois petites piqûres de guêpes, mais ça rajoute un nouvel élément dans le scénario.

Le dimanche passait très vite, malgré que nos films en Technicolor, durent plus longtemps que la moyenne des films de cow-boys ordinaires…

En plein tournage, souvent en fin de soirée, la maman de "Plume-blanche" apparaissait pour rappeler à son fils qu'il se faisait tard et que Madame "Rex-Malone-mère pouvait se faire du mauvais sang !...

"Rex-Malone" devait donc regagner sa sablière sur son cheval blanc,  en restituant son pistolet à "Plume-Blanche", et en se disant :

"A bientôt,  la prochaine fois, on fera peut-être "MOGAMBO" !…

Ces parties de cow-boys se déroulèrent assez longtemps, jusqu'au moment où le temps était venu de troquer nos pistolets pour des genouillères et des ballons de foot.

La sablière, comme la Cité Siegwald et la Cité-Just avait son équipe de football.

Des matchs épiques nous faisaient confrontés l'un à l'autre, et je me souviens d'avoir arrêté un penalty qui donnait la victoire à notre équipe.

Jean-Jo était lui aussi gardien de but, et je crois me rappeler qu'il débutait alors dans ce nouveau rôle. Si j'étais, à l'époque, peut-être plus expérimenté, Jean-Jo, lui, fit d'énormes progrès et prit une dimension digne d'un futur "ESCALE".

Au début, j'en étais un peu…jaloux, il faut le dire, car il dépassait de loin dans ses plongeons d'une efficacité et d'une grâce presque féline, les petits goals  de quartier que nous étions.

Plus tard, lorsqu'il m'arriva de le voir s'entraîner ou jouer avec l'équipe "réserve" du S.C.M, mon admiration cachée, me disait au fond de moi-même :

" Dédé, ça t'embête tant que ça, qu'il soit si bon ? Non… Bien évidemment, parce que c'est ton meilleur copain !"

 "Un jour, si ça continue, il sera Goal de la première", disait quelqu'un dans les tribunes.

"Plume-Blanche", "Flèche-Loyale" ou "Rex-malone" ont bien grandi et ont affronté dans leurs vies d'autres méchants indiens et tellement de bandits, qu'ils auraient pu oublier ces petits détails qui ressemblent peut-être à de la nostalgie, mais sûrement à de la fidèle camaraderie.

         

 

 

Les "Quiquis"…

 

Je revenais de colonie de vacances, et sur le chemin de la maison, un copain m'accosta avec des grands gestes :

" Tu vas voir, je ne voulais pas le croire, ta mère, elle a un petit oiseau qui se pose sur son épaule, et qui est maintenant apprivoisé parce qu'il ne s'enfuit pas, il reste chez vous !… "

 Je presse le pas, et je monte quatre à quatre les escaliers de l'immeuble.

A peine arrivé, en oubliant presque d'embrasser ma famille et de poser mon sac, je demande :

" Ou il est l'oiseau ?"

"Ah Quiqui ?, Viens-voir !"

Dans une petite cage, dont la porte devait restée toujours ouverte, un petit moineau se balance et me souhaite la bienvenue :

" Tuit, tuit !"

A première vue, il s'agit d'un petit pierrot semblable à ceux que l'on essaie de "dégotter" avec nos "taouètes", rien de plus… Mais, ma mère s'avance et lui dit :

"Quiqui, viens, viens !"

Elle se penche vers la cage et lui tend son index. Le petit oiseau, y saute comme sur une branche, et pousse à nouveau ses "tuit-tuit"!….

Comme elle lui parle tout doucement, il fait un petit bond sur son épaule, et chante encore. Ensuite, il avance encore près de son  cou et se réfugie sous les cheveux…

" Mais Dédé, tu n'as encore rien vu !…"

Elle le replace au-dessus de sa cage, fait mine de s'éloigner et l'appelle à nouveau. Il prend alors son envol, traverse toute la cuisine et la salle à manger et se repose sur l'épaule de ma mère qui s'esclaffe :

" Tu as vu ? "

Comme je n'en crois pas mes yeux, mes sœurs demandent à ma mère :

" Vas-y sur le balcon manman, vas- sur le balcon !"

Et Manman, va sur le balcon. Mon père saisit doucement Quiqui et le place sur son épaule. Je suis la scène, attentivement. Mais je leur dis :

" Il va s'envoler et se sauver !"

" T'inquiète pas, dit Papa, tu vas voir comment il est intelligent !"

Effectivement, le petit moineau que mon père avait pris sur son épaule, saute sur la margelle et par petits sautillements va rejoindre tranquillement l'épaule de ma mère à l'autre bout du balcon !..

J'en suis stupéfait. Je lui caresse doucement la tête avec mon index. Il se laisse faire, et repousse un "Tuit" de satisfaction !

Extraordinaire, à tel point que je repense à ceux tombés de leurs palmiers de la place du village, et  que l'on tuait sauvagement en les claquant par terre !   Oui, on était si sauvage que ça !…

Des remords m'envahissent bien sûr, et je me promets de n'être jamais plus aussi méchant avec eux .

"Quiqui" était visiblement amoureux de ma mère, et Papa n'en semblait pas jaloux.  Même si le matin…

Le matin, très tôt, il nous réveillait souvent par ses petits "Tuit", et aller rejoindre Maman, dans son lit. Oui, dans son lit.

Plus précisément, d'un petit "Frrt!", il arrivait sur l'oreiller de Maman et allait s'enfouir sous les cheveux, dans son cou…

Maman faisait alors attention de ne pas bouger, et lui adressait un petit "Bonjour Quiqui !…"

Quelquefois, lorsque la chambre restait fermée, le petit Roméo n'hésitait pas à cogner à la porte de son petit bec !…

Chaque repas était alors un vrai délice. Il laissait sa cage, pour venir picorer les miettes et les petits bouts de pain que l'on lui tendait.

A cause de ça, Papa s'énervait en criant :

" Bon maintenant, laissez-le, et mangez, ça va être froid !"

Mais, en douce, on poussait une petite boulette près de notre assiette, et Quiqui arrivait … Le problème, c'est que Quiqui laissait souvent sur la toile cirée, des petites déjections qui nous faisaient hurler de rire, sauf Papa !…:

" Tu vois Margot, c'est pas propre quand même !"

Mais Margot haussait les épaules et essuyait avec un chiffon l'objet de la petite discorde…

Sa cage ne lui servait que de refuge, car il était le plus souvent sur la table, le grand potager carrelé en blanc, ou aussi sur le sol…

Sur le sol… C'était alors toujours une angoisse de ne pas l'apercevoir, car on craignait un jour, malencontreusement de l'écraser.

Un jour il avait failli être pris dans l'encoignure de la porte des w;c, mais sa petite patte avait été un peu tuméfiée, endolorie.

Bien vite, il avait été soigné, cajolé, mais on avait eu très peur de le perdre. ..

"Un jour, disait Papa, tu vas te faire écraser si tu restes comme ça par-terre !"

Malheureusement, Papa avait eu raison de craindre le pire…

 Tandis que je jouais en bas de l'immeuble, Papa m'appelle, un peu affolé.

 Il m'ouvre la porte, et je vois une larme dans ses yeux.

Dans une main, il me tend une boîte de métal, et me dit :

" C'est Quiqui, sans le vouloir, je l'ai écrasé ! Alors, va à la sablière l'enterrer !"

C'était vraiment un deuil. Je me souviens que tout le monde pleurait.

Comme si nous avions perdu quelqu'un de notre famille qu'il était devenu, ce  petit pierrot.

Au-dessus de la mare, au pied de la falaise , j'avais creusé dans le sable, et j'étais revenu de cette mission, très triste.

Bien après, dès qu'un "Tuit" se faisait entendre, chacun pensait "

Et si c'était lui ?"….

Plusieurs mois plus tard,  mon père ramena de la gare, du "dépôt", lieu où les trains étaient mis en dépôt comme son nom l'indique, une copie conforme de notre premier phénomène à plumes.

Nous avons vécu quasiment les mêmes péripéties, et sans oublier le premier, "Quiqui 2" nous donna encore beaucoup de joies.

Lui, il eut la chance de faire un très beau voyage…

Mon père en tant que cheminot, bénéficiait tous les deux ans, d' un voyage gratuit pour "aller en France", et depuis quelques années, c'était pour nous une énorme joie, de faire la traversée sur le "Ville d'Alger" ou le "Kairouan". De plus, le voyage en 2ème classe nous permettait de prendre les repas dans une luxueuse salle à manger.

Pour quelque temps nous vivions comme dans un rêve, "au-dessus de nos moyens", mais c'était un bonheur rare, car nous faisions partie des familles plutôt modestes du village.

"Quiqui2" fit la conquête des serveurs, qui défilaient à notre table, pour faire la connaissance de notre phénomène…

Il avait pris pension dans la poche de la veste de ma mère, et ce sont toujours ses "Tuit!" qui alertèrent l'équipage de la présence de ce passager clandestin.

  "Quiqui 2", avait fait partie de l'expédition, jusqu'à …Paris.

Pendant le voyage en train le petit moineau avait encore fait l'étonnement et l'admiration des autres voyageurs.

A Paris, mes parents avaient rejoint des amis qui habitaient le 14ème Arrondissement.

  Pendant notre séjour, ces amis nous laissaient gentiment leur appartement pour séjourner dans une jolie petite maison de banlieue près d' ORSAY.

Quiqui2, ne quittait pas la poche de ma mère, et quand il leur arrivait d'aller au cinéma, les "Tui-tuit" du petit moineau faisaient lever les yeux des autres spectateurs, qui scrutaient le plafond en essayant d'apercevoir le volatile !…

Malheureusement, le destin devait s'acharner sur nos petits compagnons !..

Il ne devait pas revoir son pays natal.

Lui non plus…

Ma mère l'avait retrouvé au matin, près de son oreiller, sans vie…

  Aujourd'hui, dans mon jardin, les petits "Quiquis" ne manquent de rien. Enfin, j'essaie qu'ils trouvent toujours, même pendant l'hiver, de quoi affronter ses rudes journées, et quand il m'arrive de recueillir l'un d'eux au creux de ma main, il y a toujours, dans ce contact doux et chaud, les battements d'un petit cœur qui me rappellent nos petits "pierrots".

 

 

 

Les vêpres.

 

Le moment privilégié de mes dimanches d’enfant, c’était celui des vêpres.

Non que je fusse d’une ferveur immense, mais surtout, ce fût pour moi un moment béni, où je pouvais côtoyer toutes les filles, et même… les frôler.

Nous étions tous assis sur le perron de l’église, abrités par deux arbres, face à la prison.

Alors commençaient jeux et rondes agrémentés de jolies chansons qui me reviennent encore. Mais par-dessus tout, c’était le bonheur de les aborder enfin les filles, moi qui pouvais être classé parmi les garçons les plus timides, j’arrivais à leur parler. Enfin, à travers des jeux des métiers entre autres. Les filles, de concert, s’amusaient à « coller » les garçons avec leurs devinettes très difficiles comme :

«  A….e » et mimaient vaguement un métier dont on ignorait de toute façon l’existence, et après un « Vous donnez tous votre langue au chat ? »

Alors se moquant de nous, elles annonçaient :

« C’est pourtant facile : AUTORHINOLARYNGOLOGISTE !... »

Ou encore dans le même esprit, elles nous demandaient de trouver le mot le plus long, et devant nos bouilles ébahies, elles reprenaient encore :

« Qu’est-ce qu’ils sont bêtes ces garçons ! C’est tout simplement ANTICONSTITUTIONNELLEMENT… »

 

« A…..e » énonçait alors la jolie petite Jocelyne qui mimait un vieux bonhomme, scrutant les étoiles…

« ASTRONOME !» avais-je crié bien fort, le cœur battant, fier d’avoir deviné si vite, et peut-être de m’être attiré l’attention de « mon petit béguin »…

En fait, tous les copains le savaient bien que c’était elle, ma « fiancée », mais la principale intéressée en était-elle au courant ?…

Quand elle m’avait croisé pour me remplacer devant tout ce petit monde, j’ai senti son parfum, un peu comme celui de la maîtresse du C.P, qui me rendait un peu bizarre, heureux mais un peu bizarre…

Et là, à ce moment, le petite Jocelyne qui me dépassait presque d’une tête, vu que j’étais « petitou », me rendait bizarre, parce que pendant quelques instants, je n’avais pas envie de me concentrer sur ce jeu, non… Je regardais la petite Jocelyne, comme il m’arrivait de regarder la montagne de zlabias du marchand de la rue de la mosquée, quand je n’avais pas au moins cinq francs dans ma poche pour en acheter une...  

Les jeux défilaient… « Il court le furet », « Laissez-les passer les olives vertes », où deux par deux, en se donnant la main, on devait passer sous le pont des autres enfants…

Le sort me mit enfin en face de Jocelyne. Alors qu’il me suffisait de tendre la main pour danser avec elle cette petite ronde, non ! J’avais, comme un gros nigaud, légèrement détourné la tête, et elle avait déjà filé…

Puis les rondes se succédaient, comme « derrière chez ma tante, la vieille etc… »

Apparaissait Monsieur le curé qui claquait très fort dans ses mains pour nous inviter à le suivre :

« Les enfants, nous allons entrer dans l’église doucement, en silence, en n’oubliant pas le signe de croix pour bien laisser le démon dehors. Allez ! »

Et Mimile nous précédait. Les filles se rangeaient sur les bancs de gauche, nous les garçons sur les bancs de droite.

Mimile nous faisait réciter un premier « Notre père et un Je vous salue », avant de s’installer devant nous sur la première marche de l’autel. Puis, posant un très gros livre sur ses genoux, il commençait à nous raconter de sa voix rauque et chantonnante les très belles histoires des Cananéens, d’Hérode, et de Saül.

« Ca y est ! » me disais-je, je le savais bien que la petite Jocelyne ç’était mon béguin ! Deux fois, elle s’était retournée, m’avait sourit et chuchoté à sa grande camarade Rolande F., qui s’était à son tour retournée et esquissé un petit signe de tête !! C’était bien le signal! C’est comme ça que l’on devenait fiancés ! 

Alors arrivait le moment de réciter chacun notre tour, la première partie du « N.P », tandis que l’ensemble reprenait en chœur la deuxième partie, ainsi pour le « Je vous salue »

Les vêpres se terminaient, et Mimile nous donnaient rendez-vous pour le mardi à 11heures, jour du catéchisme.

Ce jour-là, bien sûr, en quittant l’église avec les copains, j’avais plein de choses à leur raconter, et il me tarda d’être déjà au Dimanche suivant…

 

 

Bonne santé, bonne année…

 

Noël, à MENERVILLE, comme partout était très attendu, mais le jour de l’an, le jour de l’an !...

Et bien, au petit matin,  on s’était tous fait beau comme pour un dimanche, et allait commencer la ronde des petits bisous auprès de toutes nos connaissances, parents, amis, tout allait y passer pour leur souhaiter la « Bonne Année ». Rien d’original, me direz-vous, peut-être mais, c’était l’occasion de venir chercher (pas quémander) nos étrennes… Oh bien entendu, ce n’était jamais de gros cadeaux, mais à la fin de la journée, avec les copains, on avait récolté de quoi, aller acheter chez Rahmoune, le commerçant arabe, des quantités de gros caramels « FAUSTA », de confiseries  en poudre, acides et colorés, des Peppermints, et, et…un vrai paquet de « Camélia-sport » !

Bien sûr, on le méritait, car il fallait passer par les :

 «  Bonjour, Bonne Année ! » et les bisous souvent à des vieilles dames aux joues piquantes, et les interrogatoires qui n’en finissaient pas :

 « Alors, ils vont bien tes parents, et tu travailles bien à l’école, Ah c’est bien, parce que comme ça plus tard tu seras bureaucrate, quel âge as-tu maintenant, et bien mon Dieu comme tu as grandi, et tes sœurs, elles travaillent bien aussi, quel âge ça leur fait ?… »

Alors il fallait répondre, la bouche pleine de chocolats ou de pralines, qu’elles avaient du garder depuis l’année dernière car elles sentaient souvent le moisi, ou en grignotant leurs oreillettes pas bonnes du tout… Mais on savait bien jouer la comédie jusqu’au moment où on recevrait, enfin, une belle pièce de monnaie.    

La réponse sous-entendue à : « Bonne Année, bonne santé » c’était : « Mets la main dans le porte-monnaie » et les plus poétiques terminaient par : «La paille au c… pour toute l’année ! » En fin d’après-midi, avec les copains, on montait la côte qui menait à la ferme GITTON, et on glissait avec notre butin dans un petit ravin bien à l’abri pour nos bêtises… On partageait tout. On faisait des petits tas de caramels, de bonbons, et chacun croquait, croquait en riant…

Après venait le moment de la cigarette. René, en allumant une allumette, l’air sérieux, regardait autour de nous. Bon, il n’y avait personne, alors les cigarettes étaient allumées comme les vrais gangsters au cinéma « Le ROXY », on prenait l’air important, en jouant des épaules mais surtout en crachotant, et en toussant. Et puis, on n’oubliait pas de se dire : « Eh les gars, en arrivant chez vous, avant d’embrasser les parents, foncez au lavabo pour vous laver les dents, sinon, vous allez avoir droit à la raclée ! » C’était bien la seule fois de l’année que les dents étaient lavées sans que les parents nous le demandent…

En revenant au village, on avait envie de faire encore les zouaves, alors en passant devant le petit local du marchand de zlabias, on lui lançait :

 «Bonne anni, ! » et le commerçant nous répondait en riant : «Boune anni, boune santi, ti  li genti toute l’anni ! »…    

 

"Patos* ou frangaouis"…

*Patos : de l’espagnol, canard…

 (Note : Si vous êtes Patos, ne lisez pas que la première phrase…)

 

Rougeauds, à la démarche en…canard, aimant boire, avec un accent paysan, voilà comment à 12 ans, j'imaginais à force d'entendre leurs descriptions, ces militaires venus de France.

 Pourtant, cette année-là, avant Noël, Mr ZEVACO, le maire demanda à chaque famille, d'inviter au moins "un petit militaire"…

Josette, ma sœur, arriva de la mairie où elle travaillait et annonça triomphalement à maman :

- Ca y est, j'en ai invité !

- T'as invité quoi ?"

- Et ben pour Noël, j'en ai invité trois de militaires !"

- Ben mon ami, rétorqua maman, les langues de MENERVILLE, elles n'ont pas fini de dire du mal !…

Il faut dire que notre village n'échappait pas à la règle des commérages de province. Alors, pensez-vous, si on avait invité trois militaires à Noël, c'était forcément pour marier les filles !…

Les trois militaires s'étaient présentés devant la porte. Ni rougeauds, ni »démarche en canard », ni accent paysan…  

Souriants, sympathiques et même polis. Pas ces "patos" que l'on ne connaissait si peu et dont on se moquait. Pas ceux non plus qui ne voulaient pas que l'on joue à la guerre, non…

Des gars très bien :

Le premier, Joseph V., immense, à l'accent belge… Ca commençait bien.

Le second, Bernard P., aussi grand, moustachu et bien élevé.

Le troisième, Clément M., plus petit, le teint blanc, avait une voix douce et posée comme le prêtre qu'il souhaitait devenir.

 "Un séminariste, dommage pour notre réputation que ma fille n'ait pas invitée que celui-ci", pensait maman.

  Le repas se passa magnifiquement après l'anisette et la kémia. Maman avait mis les petits plats dans les grands.

Clément le séminariste, le boute-en-train de l'équipe, nous fit mourir de rire.

Papa avait failli s'étouffer comme d'habitude en avalant de travers, mais cette fois c'était à cause de l'humour de Clément.

Avant de repartir, les trois militaires promirent à mes parents de revenir nous rendre visite une autre fois.

Joseph, originaire de Belgique avait choisi la nationalité française et avait donc   embarqué pour l'Algérie.

Nous revîmes très souvent ces trois militaires qui nous firent changé d'opinion sur les "patos ou frangaouis" rougeauds, etc…

Joseph et Clément correspondèrent longtemps avec mes parents.  

Les bons contacts avec les "patos" s'amplifièrent d'autant plus qu'un régiment aussi "prestigieux" que le Bataillon de Joinville s'installa près de notre village.

 Au Rocher-Noir et à Belle-Fontaine exactement.

Alors, on pouvait croiser à MENERVILLE, de grands champions.

Un jour, avec des copains, je tombai nez à nez avec un certain Alain GILETTI, patineur français. N'osant aborder le champion, je me cachai derrière un arbre et  l'appelais :

"GILETTI, GILETTI !" Ce dernier se retourna, surpris peut-être d'être reconnu, mais reprit son chemin en n'apercevant pas qui criait son nom… 

D'autres comme Roger RIVIERE, Guy PERILLAT, DUPUIS (PIPIOU) le rugbyman et ces footballeurs de haut niveau, (comme SAUVAGE, VAN-SAM, PIUMI, NITERAGE,(excusez l’orthographe) qui créèrent une équipe pour affronter en match amical notre équipe du S.C.M, qui évoluait seulement sous la division d'honneur…

Le premier match se solda sur un 8-1. Le second sur un score de …21-1 !… Le seul but marqué par Mirabet ("Choux-fleur", le marchand de légumes) fit exploser de joie les supporters du village !…

A la sablière, des militaires venaient chercher du sable, en ambulance, pouri remplir de nombreux sacs entreposés autour de l'école maternelle transformée en camp militaire.  Les "bidasses" nous invitaient à grimper et c'était pour nous une fête que de les accompagner et d'échanger nos conversations.

L'un d'eux, parisien fut tout étonné d'apprendre que je connaissais non seulement son Paname natal, mais aussi le "Métro PERNETY" et la rue

Didot !…

Mais toujours la même question revenait…

" Qui a une sœur parmi vous ?"

Moi, les voyant venir, je ne répondais pas, mais j'étais trahi par les copains, qui répondaient :

" Lui, Dédé, il a deux sœurs !"

" C'est pas une tare que d'avoir des sœurs, Dédé, tu pourras nous les présenter… (Ben voyons…)

 

Il faut dire que les "petits militaires" avaient quand même du succès.

Peut-être, un peu comme les américains au moment de la libération…

Si cela pouvait agacer les adolescents du village, les filles, il faut le reconnaître, affichaient une sorte de "distance hypocrite" vis à vis des militaires, car elles adoraient aller se promener près du camp au bout du village, malgré les recommandations des mères de famille…

Et alors, les commères s'en donnaient à cœur joie :

" J'ai pas vu votre fille se promener au bout de la Cité SIEGWALD et faire plein de sourires aux militaires ?"

  " Ma fille, ça m'étonnerait, elles me l'aurait dit !…"etc…etc…

 

Bien plus tard, le même phénomène d'incompréhension vis à vis alors des "pieds-noirs" devait nous causer tellement de problèmes qu'il m'arriva de me souvenir comment nous-mêmes nous avions appréhendé les petits "patos" avec nos a priori…

 

Et, lorsque  certains anciens d'Algérie évoquent encore le fameux "verre d'eau" que les pieds-noirs leur auraient fait payer deux francs, je  souris en moi-même et je me dis :

 

" C'était peut-être pas les mêmes "patos" ou pas les mêmes "Pieds-noirs" !…

 

 

 

« Marque dommage ! »

 

J’entends encore  NEGRO, le marchand de lait et de glace, derrière son comptoir, s’esclaffant devant un petit Dédé penaud quand son pot au lait, à peine rempli avait chuté et s’était répandu à ses pieds…( Le pot au lait avait été tout de même rempli de nouveau, gracieusement…)

«  Marque doumage » Cette expression était accompagnée d'un haussement d'épaules, et d'un léger sourire, montrant comme une certaine résignation ou impuissance devant un problème ou un fait…Cela signifiait dans notre langage :

"Tant pis, c'est comme ça, on n'y peut rien !" un peu comme :

« INCH' ALLAH ! » ou «  MEKTOUB ! »

 Avec l'accent Arabe ou Pied-noir, c'était " Marque doumage !"…

 

Bien sûr, des " Marque doumage !", j’en ai souvent entendus ou prononcés :

 

   Quand… le "S.C.M", échouait cette année (encore) à son passage en promotion d'honneur en perdant son dernier match, à cause d’un super Jean-Paul ESCALE, arrêtant un pénalty !

 

  Quand…  la jolie petite Jocelyne, mon premier petit "béguin", me refusa, le jour de ma première communion, l'image pieuse que fébrilement je lui tendais.

 

  Quand on avait voulu acheter un paquet de « CAMELIA-Sports », pour fumer en cachette à la Sablière, et que le commerçant arabe nous avait lancé cette fois-là :

 «Lala !Vous ites trou piti !Plou tard ça va ! » 

 

 Quand… mon copain Kader D. l'air mécontent et plein de reproches nous annonça à la récréation, que les grands H.L.M  nouvellement construits avaient été prévus en séparant bien :

Les Français dans un immeuble avec un confort plutôt moderne, et les Arabes, dans les deux autres équipés d'une façon plus rudimentaire…

 

  Quand… un certain Charles de Gaulle, oublia de tenir sa promesse : " Tous Français de Dunkerque à Tamanrasset !"

 

  Parce que le train avait démarré trop rapidement, ce matin du 15 JUIN 1962,  car elles passaient alors trop vite derrière ma vitre, ces gares… Belle-Fontaine, Le CORSO, L’ALMA, REGAÏA, ROUÏBA, MAISON-BLANCHE,  MAISON-CARREE, puis HUSSEIN-DEY, L’AGHA, ... mais que ce train allait vite aujourd’hui…et… déjà la gare d’ ALGER, et un bateau qui nous attendait, comme si cela pressait tellement…

 

Et puis," Marque doumage !" Quand…elle avait disparue notre belle église… Puis, le joli kiosque à musique au milieu de la place…  Quand …elle avait explosé, la mairie…

 

 " Marque doumage !" Quand…en 2003, ce terrible tremblement de terre avait détruit, notre belle école de garçons, maisons et quartiers, et tué tellement d’habitants parmi lesquels certains de nos camarades d’école.

 

" Marque doumage !" Quand…avait disparue cette image d'un village où se côtoyaient deux populations pas si éloignées que ça d'un espoir de vivre mieux ensemble, à preuve cette très belle réflexion que me fit il y a quelques années, un certain LOUNES, et qui est gravée depuis dans ma mémoire : 

 "Tu sais Dédé, MENERVILLE ç'était le creuset de l'Algérie !"

 

Et enfin,  quand…ce rêve de revoir un jour MENERVILLE ou THENIA, s’estompe doucement, doucement, laissant la place à un sentiment toujours plus fort, malgré les années, celui de la nostalgie…… alors " Marque doumage …